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Billet de blog 8 octobre 2013

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La rue de Braque

Me voilà encore assise par terre. A fouiller dans mon sac à mémoire. L’annonce de la mort de Patrice Chéreau a tout déclenché… Processus habituel. Larmes et souvenirs en vrac.

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Me voilà encore assise par terre. A fouiller dans mon sac à mémoire. L’annonce de la mort de Patrice Chéreau a tout déclenché… Processus habituel. Larmes et souvenirs en vrac.

La rue de Braque…. J’y suis allée à reculons la toute première fois.. Printemps 1981… Mon Langellier travaillait chez « Face ». Une boite anglaise située dans le Marais. Et il était tombé fou amoureux de ce quartier.

Nous habitions un si joli trois pièces. Rue Larrey. Cinquième étage sans ascenseur. Mais vue imprenable sur la place Monge. Boiseries aux murs. Moulures aux plafonds. Et petit balcon avec rosiers et chèvrefeuille.

Rive gauche vs rive droite. Le combat allait s’avérer plus que dur !

J’ai daigné visiter. Pour voir un appartement sombre de trois pièces avec vue sur une cour triste. Troisième étage, mais au moins cinq à voir la quantité de marches. Premier étage : appartement de maître. Qui donnait à la fois sur la petite rue et sur la cour. Deuxième étage : idem en moins grand. Troisième et quatrième étage : logements des domestiques.

Je n’y comprenais rien. J’avais épousé un homme sensé. Et voilà qu’il était brusquement pris de folie pour un endroit sombre dans une rue sombre.

Comme je suis vive, la réponse fut « niet ». Le temps de redescendre. Et de remettre la clé à la concierge. Elle était flanquée d’une jeune femme au nom de fruit : Clémentine, Mandarine… je ne me souviens plus très bien. Qu’elle nous présenta avec beaucoup de salamalecs : « Madame la propriétaire ». Ce n’est pas ce qui allait changer mon avis. Loin s’en faut.

Elle m’a demandé mes coordonnées « à tout hasard » si quelque chose d’autre se libérait. J’ai donc tendu ma carte de visite. A l’époque, y figuraient mes deux noms. Réaction immédiate : « Vous êtes parente avec le journaliste du Monde à Nairobi ? » Et oui, c’était le grand frère. La célébrité de la famille. Mon Langellier s’agita. « Je l’ai rencontré en Afrique. Je suis la nièce de X, ministre des affaires étrangères. » Oui, et alors, devais-je pour cela vivre dans un trois pièces crasseux ?

Mais elle avait plus d’un pépin sous son écorce… « Remontons, voulez-vous ? Si je vous autorise à faire des travaux et à joindre en duplex l’appartement du dessus, vous penseriez quoi ? »

Alors, il a pensé pour deux. Et il a fait vite. Rue Larrey, notre voisin de palier terminait Architecture. Il pouvait présenter un plan. On pouvait abattre des murs. On aurait des subventions de la ville de Paris pour aider à tout ça…

J’avais envie de ma Place Monge. Vite. De ne plus traîner dans cet endroit.

Alors il a tout organisé. Bien sûr, j’étais d’accord. Enfin pas complètement. Laurent a dessiné les plans. Il a choisi les corps de métiers. La dame au nom de fruit a fixé un loyer modeste et nous a refilé en récompense deux chambres de bonnes. Séparées de l’appartement « mais qui seraient tellement pratiques pour la jeune fille au pair ! » Nous n’avions pas encore d’enfants. Et tout ce futur couleur bonbons acidulés me mettait le cœur au bord des lèvres.

J’ai toujours aimé la décoration. Et puis l’autre, avec son histoire de jeune fille au pair, elle avait du me refiler des abeilles dans la tête.

Pour être sublime. Il fut sublime. D’autant plus, qu’entre deux jobs, j’avais tout le temps pour chiner. Et aussi pour rapatrier de Chaudon les meubles de mes grands parents.

On ouvrait la porte sur une immense surface. Avec parquet d’époque. Séparée de la cuisine par un passe-plat. J’avais transformé l’espace salon en jardin. Et l’escalier qui montait à l’étage s’ornait d’un parasol.

Nos nombreux amis ont tout de suite été fous du lieu. Ce qui nous a valu d’y organiser de nombreuses fêtes…

En attendant, il fallait déménager. S’arracher de la place Monge et de la Mouff’ attenante.  Cela m’a valu une belle crise de foie. Et une vision des plus morbides : j’ai vu mon cercueil sortir par la porte du nouvel appartement. « Tu es surmenée » a décrété mon cher époux. La suite me prouvera, hélas, que je ne l’étais pas tant que ça.

Mon Langellier, lui, il avait repéré le B.H.V. Tout près. Et il avait acheté tout le matériel nécessaire à l’installation correcte d’un jeune couple. Avec un lave-vaisselle. Dont je ne voyais guère l’utilité…

Tout fut livré. Installé. Garanti. Les petits rideaux brise bise mis aux fenêtres. On aurait pu paraître sans aucun souci dans « La Maison de Marie-Claire ».

Après avoir parlementé avec la concierge, la première fois que mon père a emprunté l'escalier d'honneur, il a solennellement déclaré : "Mon gendre est devenu député..."

Un après-midi, vers le début de l’été, je corrigeais un livre pour un éditeur quand on sonna nerveusement à la porte. Un bel homme brun aux yeux clairs était plus qu’énervé sur mon paillasson. « Vous m’inondez !!! » Et joignant le geste à la parole, il me fit signe de le suivre à l’appartement du dessous.

Que j’ai traversé vitesse grand V, histoire de voir mon eau couler sur son mur du fond. J’ai vite repéré les beaux objets, les superbes tableaux, le goût dans toute sa discrétion et toute sa splendeur. Je ne pus qu’articuler : « J’appelle notre assureur ! » « Bonne idée, me décocha-t-il, car au premier étage habite le petit-fils de Matisse. Avec les tableaux originaux du grand-père. »

Vous dire l’effet catastrophique sur mon assureur drouais serait encore en dessous de la réalité. Même si on put lui prouver aisément que c’était une histoire de manque de joint avec responsabilité B.H.V.

Je venais à peine de raccrocher quand on sonna de nouveau. Le voisin du dessous voulait partir à Lyon et n’avait pas le temps d’attendre les papiers d’assurances. « Je vous donne mes clés, me dit-il, vous m’avez l’air honnête… » « Je ne sais pas même votre nom ??? » « Chéreau, me décocha-t-il » « Comme Patrice ? » demandai-je au très premier degré. « Oui, c’est cela, comme Patrice, me répondit-il, pensant sans doute que j’avais beaucoup d’humour….

J’ai assumé ses papiers et les miens. J’ai traversé avec l’expert en assurances plusieurs fois son appartement. Il me semblait mieux le connaître chaque fois. Je me souviens d’une brosse à cheveux au dessus d’ivoire négligemment posée sur une table de toilette. On était dans un vrai décor…. De théâtre !

Il était inattendu. Et charmeur. Un certain 24 décembre, alors que nous avions toute la famille (et la belle famille) autour de la table et que j’avais mis les petits plats dans les grands, il a sonné. Je l’ai invité à boire un verre. Il avait à la main une boite de conserve de haricots verts. « Vous avez sans doute un ouvre boite ? » me demanda-t-il. Ma belle-mère, malgré nos explications, nous en fit une galère. « Une boite de haricots verts un soir de Noël ! » Et bien oui. Il était comme ça.

Dans cet appartement nous avons vécu le pire et le meilleur. Les réveillons, les parties avec les potes, les dîners insensés… Je n’ai pas envie de parler du pire. Mais ma vision de la porte se réalisa un sale 18 mars.

J’y suis restée encore une année. A ne plus vraiment savoir qui j’étais. Diminuée de moitié. Et puis, après une gigantesque fête – comme il les aimait – je l’ai quitté.

Je n'y suis jamais retournée.

Liliane Langellier

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