Aucun service météo n’a le moyen de vous prévenir. Aucune alerte orange pour vous éviter le danger. Vous le vivrez seule. Vous l’affronterez sans sable et sans sel. C’est un plaisir extrême. C’est une douleur torride.
Cela débute insidieusement. Parfois par une colère. Contre un mot. Une idée. Et vous n’êtes pas du genre à courber. Fut-il le plus brillant. Le plus courtisé. Vous lui direz. D’ailleurs, il vous agace. Sa lenteur à se mouvoir. Son regard. Sa beauté un peu italienne. A la « Guido Reni ». Vous n’allez certes pas rejoindre la meute de ses admiratrices. Et ça, il l’a compris. Il aime déjà votre mépris. Il sait déjà tout de vous. Vous allez apprendre tout de lui.
Au début, c’est comme un jeu. Le mot codé glissé dans le gris d’un couloir. La perpétuelle référence à votre impertinence. Lui, le magicien du verbe, il invente des nouveaux alphabets. Des ballons de couleur gonflés de mots étranges. Vous retrouvez votre âme de petite fille. Vous ne le savez pas encore. Vous êtes perdue.
Pourtant le cercle se rétrécit. Il habite vos jours. Il enjolive vos heures. Il a tous les mots pour le dire. Pour l’écrire. C’est la première phase. Celle de la béatitude. Vous ne le recherchez pas. Vous savez qu’il sera là. Ce que vous ne savez pas, c’est qu’il est expert en la matière. Un maître. Vous l’avez dédaigné. Il vous veut. C’est la règle du jeu.
Vous n’êtes pas née proie facile. Qu’importe ! Il a du temps pour une chasse longue et difficile. Il sait attendre. Embusqué. Vous ne savez que gambader. Libre et rieuse. Jusqu’à cette veille de Noël.
Une fête. Comme il y en a tant. Vous n’en avez pas envie. Engoncée dans un chagrin trop récent. Mais les autres vous y mènent. Et c’est le premier faux pas. Vous n’avez vu que lui dans cette pièce enfumée. Il vous invite. Et vous dansez. C’est irréel. Comme une neige poudreuse au tout petit matin. Avant qu’elle ne soit meurtrie par la botte du passant. C’est la deuxième phase. Celle de la terreur.
Vous partez loin. Très loin. A l’autre bout de la planète. Là où les Père Noël se vautrent dans le luxe des maisons où enquête le lieutenant Columbo. Vous avez mis son premier livre dans votre valise. Et vous sortez pleurer sur une pelouse pelée alors que les coyotes crient dans la nuit. Ces premiers instants sont des minutes de cristal. Vous ne pourrez jamais les égarer.
Vous allez vous débattre. Ecrire mieux que lui. Plus vite. Plus fort. Etudier aux Etats-Unis. Réussir des examens impensables. Mais c’est déjà trop tard. Il vous a marqué de son empreinte. Plus profondément qu’un tatouage. Vous ne le savez pas encore. Mais dans tout ce que vous faites, il y a quelque chose de lui.
On vous disait charmante et vous devenez belle. Sous son regard. Viennent alors les premières jalousies. Les tentatives des autres séductions féminines. Il s’en moque. Lui aussi est épris. Mais vous souffrez. Consciente qu’un jour il ira jusqu’à céder. Vous aussi vous êtes courtisée. Ce dont vous vous moquez. Votre vie ne se résume plus qu’à lui. Vous relisez Racine. Vous aimez Nabokov. Vous révisez les premières rencontres. Grisants moments d’éternité : Mme de Clèves et le Prince de Nemours, Manon Lescaut et des Grieux, Julien Sorel et Mme de Rénal, Félix et Mme de Mortsauf……… Il se passera bien du temps avant que vous ne compreniez avoir joué la Tourvel dans la pièce de ce Valmont-là.
Et pourtant vous allez trahir la première. Par peur d’être trahie. Et vous allez souffrir. Car il se vengera. Haut et fort. Ne reste alors que la fuite. La vie ailleurs. Revue et corrigée. Réfugiée affective à perpétuité.
Mais maintenant vous savez. Que tout comme la venue de la neige prévue par la météo, il existe des signes avant-coureurs. Vous ne les négligerez plus. Vous avez d’ailleurs un système d’alerte personnel. Un panneau clignotant que vous avez même équipé d’une stridente sirène : Attention : Passion !
Liliane Langellier