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Billet de blog 18 février 2012

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NEVER GROW UP !

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« Never grow up » hurlait Vladimir Vladimirovitch Nabokov. Dans les pages de sa chère “Lolita”.
Oui, je pourrais traduire, mais c’est très laid en français : « Ne grandissez jamais ».
Et puis je n’ai guère besoin de le traduire puisque, moi, je le vis. Au quotidien.
Il ne suffit pas de grand-chose pour me faire basculer. Et devenir l’enfant terrifiée qui m’habite. Celle qui se surpassait dans toutes les matières pour être aimée. Et qui se ramassait au premier commentaire cinglant du premier homme de sa vie : son père.
C’est un lourd handicap. Qui ne se voit pas de l’extérieur. Bien qu’il soit difficile, comme on dit dans le langage courant « de me donner un âge ».
C’est un lourd handicap. Que je cultive en secret. Depuis des années.
C’est un lourd handicap. Dont j’ai décidé de me débarrasser. Peu à peu.
La leçon, je la connais par cœur. Ne pas répéter les éternels schémas qui ont bousillé notre enfance.
Je viens de m’offrir une dernière répétition générale. D’une dernière pièce de théâtre. Qui m’a blessée. Mais qui m’a permis aussi de revoir mes tablettes personnelles. Et de me réajuster à la vie. Quitte à en perdre quelques rêves.
J’ai une fascination maladive pour les mots. Mon dernier chevalier servant l’avait compris. Et il déclencha l’artillerie lourde. Et il avait à sa disposition des canons de mots. Pires que « les orgues de Staline ».
C’est aussi ça le risque des réseaux sociaux. Ou le bonheur des réseaux sociaux. Rencontrer sur un sujet littéraire les mots d’un autre. Qui collent parfois parfaitement aux vôtres.
Et me voilà achetant mon billet pour « La rivière enchantée » de Disneyland. Qui s’appelle « It’s a small small world ». Avec de jolies poupées et de jolies couleurs partout. Pas de hasard.
Dans une entreprise de charme, et celle-là fut d’envergure, il y a d’abord les mots écrits. Puis il y a la voix. Les mots du téléphone. Les longs appels sans fin. Qui vous rendent vos 18 ans. Que vous n’avez jamais perdus !
J’avais un papa à jolie voix. Et à jolis mots. Et très amateur de femmes.
Après les mots écrits, les mots téléphonés, il y a un jour la rencontre.
Et là, vous commencez à paniquer. De ne pas être à la hauteur.
Mais lui, il continue. De jeter ses mots par les fenêtres de votre âme. Et vous, vous les recueillez précieusement. C’est d’ailleurs lui qui décide du téléphone. Et de la rencontre. Vous, vous acceptez. Balancée entre bonheur et mal de mer.
Vous lui obéissez. Et vous préparez tout comme il vous l’a demandé.
A première vue, il est charmant. Drôle. Brillant. Mais c’est l’enfant qui joue en lui. Et qui s’harmonise si bien avec votre enfant à vous. Une vraie mélodie du bonheur. Mais de bien courte durée.
Car son adulte à lui, il ne peut pas longtemps le cacher. Et là commence la répression. Il devient, dès le premier petit déjeuner, le père punisseur. Celui qui sait. Celui qui dit. Et vous avez tellement de mal à vous adapter au nouveau personnage que vous vous taisez. Il vous a renvoyé à la nullité de votre enfant soumis. Celui que Papa piétinait allègrement.
Et pour vous y renvoyer, il va vous y renvoyer. Après les tonnes de mots doux, viennent les mots durs. Acérés. Les « vous n’êtes pas… » succèdent aux « vous êtes.. »
En fait, vous n’êtes rien. Ou pas grand-chose. Surtout parce que vous l’avez complètement deviné. Un peu trop vite. Et pour cause.
Longue liste de vos défauts imaginaires égrenée par l’homme parfait. Comme un chapelet par une mauvaise grenouille de bénitier.
Et voilà que vous pleurez d’être ce qu’il vous dit. Sans même penser un instant qu’il est juste en train de vous faire endosser ses défauts. A lui. Sans même vous souvenir de ce que vous avez appris, lu, et vécu : la schizophrénie, c’est juste habiter à plusieurs dans une même tête.
Mais le malin a jeté ses filets. Et le petit poisson a bien du mal à s’en sortir. Ce n’est pas faute de se débattre pour enfin retrouver l’eau pure.
Vous vous échappez. Il vous rattrape. Et vous souffrez encore de ce que vous n’êtes pas. Coincé dans les filets de ce qu’il est. Lui.
Enfin, un beau matin, pour un mot de trop. Ecrit à une autre. Car des autres, des mots et des mots pour les autres, il en a plein sa cabane de pécheur. Un mot de trop lu par hasard, et vous trouvez enfin un trou dans l’énorme filet. Et vous vous échappez.
Bien sûr quelques écailles sont restées accrochées aux fils. Bien sûr, vous y avez laissé quelques plumes de votre belle innocence.
Mais à y regarder de bien près, vous pouvez être fière de vous. Dès le premier mot de colère du premier jour, vous aviez compris. Tout ce qu’il n’était pas.
Vous aviez surtout compris que son regard sur lui était caressant et bienveillant. Contrairement à son regard sur vous.
Vous aviez enfin compris qu’il n’avait pas soigné l’enfant blessé en lui. Celui qui avait cruellement manqué d’amour. De papa et de maman.
Alors oui, « Never grow up » pour garder ce bel émerveillement de l’enfance. Mais achetez-vous donc un bon flacon de gélules de prudence. Juste une jolie précaution. Pour ne pas laisser aveugler et sa vue et sa vie par la poudre étoilée mais frelatée des mots des uns ou des autres.
Liliane Langellier

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