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Billet de blog 30 novembre 2010

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Grand jeu gagnant : Chacun pour soi et Dieu pour personne !

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Nous avons tous des charismes différents. On les appelle aussi des dons. Oui, nous en avons tous. Plus ou moins. Mais certains sont bien gênants. Et la société les met vite à son ban.

Expérience du jour : même sous un pseudo, via internet, dans un jeu quelconque (très quelconque, d’ailleurs) sur le vocabulaire, je suis encore atypique. Et bien oui, je lis, je remarque, je dis, j’écris. Il y a des forums pour cela. Si quelqu’un triche, on peut espérer qu’un modérateur montrera le bout de son nez. Que nenni ! C’est qu’il faut du courage pour départager des joueurs. Même s’il n’y a rien à gagner à ce foutu jeu. Et le courage n’est pas l’apanage de certains êtres qui pratiquent plutôt le « courage-fuyons ». Et ils n’ont pas tous lu « L’éloge de la fuite » de Laborit. Ils sont « débordés », « superbookés », « occupés ailleurs ». Ils ont même le culot d’intervenir sur le forum pour le dire. En fait, ils ont surtout peur de déplaire à la majorité. D’où absence et silence, leurs deux grands potes au quotidien.

Car voilà où le bât blesse : « la majorité fait loi ». Même composée de cerveaux amidonnés, de vieilles filles acariâtres, de frustrés de tout poil, c’est une réalité « la majorité fait loi ». Je ne parle pas là de suffrage universel mais d’une co-optation muette pour défendre l’oppresseur. Et l’on vous sert des « Soyez magnanime », « Vous êtes de mauvaise humeur », « vous portez des jugements ». Et bien oui ! Mais tous les jours de la vie les choix sont nécessaires. Et pour qu’il y ait choix, il faudrait qu’il y ait réflexion préalable, ce qui induit obligatoirement un jugement. Bon. Ce jeu n’a aucune importance. Il est juste une manifestation de notre société actuelle : lâche. Très lâche. Complice. Très complice.

Une société où les S.D.F. meurent dans des halls d’immeubles. Habités les immeubles. Mais on doit les enjamber ces gens-là avant de rentrer bien au chaud chez soi. Et encore se plaindre qu’ils encombrent. Qu’ils doivent boire, avoir bu, boiront. Nul ne connaît le début vrai de la déchéance de l’autre. Mais c’est atypique de se réfugier dans un hall d’immeuble pour trouver un peu de chaleur. Les lignes téléphoniques devaient être coupées ou en dérangement. Le Samu social existe. Il a même un numéro. Rien qu’à lui. Mais faut encore le composer. Alors quand on a fait sa journée. Un S.D.F. de plus ou de moins ? Où est la différence.

Une femme hurle tous les soirs car son mari la bat. Il va même jusqu’à la poursuivre dans le couloir. Tous les voisins entendent. Mais la surdité est un mal très répandu. « C’est pas nos affaires », « C’est leur couple », « On sait pas ce qu’elle a fait », le pire « Vous connaissez le proverbe arabe…… » Quand elle meurt et que la télé se dérange, là le ton change. « On aurait jamais cru », « Oui, bien sûr, on voyait bien que lui buvait mais vous savez………. », « Et les enfants, ils vont faire quoi des enfants ? » (brusquement crise de lucidité la femme battue avait deux petits en bas âge qui pleuraient fort quand les coups tombaient sur leur maman).

La liste est longue et non exhaustive. C’est la jeune fille violée dans le R.E.R. sans que personne ne bouge, la grand-mère volée et ligotée chez elle, la femme enfermée seule trois semaines durant dans sa salle de bains, dans un immeuble où tout le monde se connaît.

Mais que sommes-nous donc devenus ? Quelle civilisation reflétons-nous ? De quel bien être parlons-nous ? Quels éléments ont bien pu déclencher cet égoïsme à tout crin ? Qu’est-ce qui nous sépare donc comme une frontière infranchissable de la génération de nos grands parents ? Car eux, de droite ou de gauche, cathos ou communistes, ils la pratiquaient la charité, et de façon innée. « On ne refuse pas de pain aux pauvres », « On aide ses voisins », « On visite les malades ». Non, non, je ne parle pas du temps d’ « Autant en emporte le vent », juste de celui de ma grand-mère et de ma mère. Et surtout du temps qu’elles donnaient pour les autres. Ce n’était pas même une corvée. C’était naturel. Et elles n’étaient pas des dames d’œuvres. Elles bossaient.

Alors la cause ? La télévision et la paupérisation intellectuelle qu’elle engendre avec ses feuilletons débiles (on peut cambrioler toute une résidence de personnes âgées au moment où sont diffusés « Les feux de l’amour »), la course à la consommation qui a engendré la jalousie : «Quoi, il a ça, lui, et pourquoi pas moi ? », les rivalités sur les lieux de travail où l’on se suicide de désespoir et de solitude tant les collègues ont peur de perdre leurs précieuses places, les harcèlements des minorités ignorés par les majorités. « C’est pas des gens comme nous », « On peut pas les comprendre ».

Alors oui, ce ridicule petit jeu de vocabulaire sans aucune importance est pourtant très « actuel », il reflète notre société dans ce qu’elle a de pire : les mensonges, la tricherie, l’écrasement de l’autre, l’éviction de quiconque est différent. Mais ce petit jeu me permet au moins de constater que je n’ai pas perdu ma rage. Que je ne subis pas d’érosion de mon enthousiasme. Que je ne laisserai pas l’oppresseur au pouvoir, qu’il soit un mari ivrogne ou un ado toxico. Que le « Chacun pour soi et Dieu pour personne » n’est pas ma tasse de thé. D’ailleurs, c’est clair, je n’aime pas et je n’ai jamais aimé le thé.

Liliane Langellier

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