(ou deux façons de lutter contre les feux de savanes.)
Le paradoxe de l'insatisfaction croissante de Tocqueville a joué en Tunisie : « Plus une situation s'améliore (liberté, revenus...), plus l'écart avec la situation idéale (inégalités, pauvreté, corruption) est ressenti subjectivement comme intolérable par ceux-là même qui bénéficient de cette amélioration ». Mais ce paradoxe s'est révélé être l'étincelle déclenchant des feux de savanes qui se sont propagés à une vitesse inattendue.
D'abord en Egypte avec un résultat aussi rapide qu'en Tunisie (départ de Moubarak) et maintenant dans d'autres pays arabes, pour l'instant (africains au sud dans le futur ?).
Tout aussi violent, ce feu toutefois n'a pas les même résultats en Libye, car un contre-feu a été allumé par le dirigeant Kadhafi. Ce dictateur pratique la technique du brûlage tardif.
En Afrique, cette technique de lutte contre les incendies a conduit à une régression du couvert arbres, arbrisseaux , arbustes, buissons, ensuite à la formation d'une steppe et aboutit à une forme de désertification. Ce qui semble-t-il est le but recherché par ce régime.
Cet incendie de savanes et ce brûlage tardif risquent de modifier en profondeur les équilibres étasuniens, européens et africains pour le moins.
Pour la Lybie, l'incendie est loin d'être maîtrisé :
Après une semaine de manifestations pro-démocratie en Libye, commencée début Février 2011 demandant la fin du régime de 42 ans du Colonel Muammar Kadhafi, et plus de 300 morts,
Après que les manifestants, avec certains soldats les ayant rejoints, aient repoussé les troupes du gouvernement Kadhafi à Benghazi,
Après que les violences se soient étendues à Tripoli et dans d'autres villes de ce pays,
Après la condamnation générale des massacres provoqués par la mégalomanie du dictateur : plus de 2,000 morts fin février et plus de 200,000 personnes fuyant le pays à ce jour,
Après la mise en place de conseils locaux notamment à Benghazi,
Après le début des réactions de l'ouest et notamment l'arrivée de deux bateaux de guerre américains en Méditerranée, les « diplomates » anglais arrêtés sur place et renvoyés, et les déclarations d'interventions militaires,
Après des batailles terribles entre les deux camps libyens qui se poursuivent toujours dans un ballet destructeur et mortel,
Après la condamnation de la Ligue des Etats Arabes considérant que Kadhafi avait perdu toute légitimité,
Après la reconnaissance par la France du Conseil national révolutionnaire libyen,
Après la résolution 1973 du Conseil de Sécurité de l'ONU du 18 mars 2011 instituant une zone d'interdiction de vol au-dessus de la Libye,
Après le début de l'action militaire internationale mise en place, et les bombardements qui ont suivi,
Après les discussions interminables de la communauté internationale,
on est semble-t-il arrivé à un enlisement de la situation qui risque de s'installer pour des années à venir au détriment de la population libyenne mais au profit de certaines grandes puissances et leurs alliés dans la région. Les combats continus, les négociateurs s'agitent, les opinions s'indignent, les dirigeants louvoient à court terme, et les morts continuent à s'additionner. (schéma traditionnel maintes fois utilisés et ayant fait ses preuves pour arriver à une indifférence et donc une acceptation tacite de l'opinion publique sur le long terme).
POURQUOI ?
LES ACTEURS (par ordre d'entrée en scène) :
- les manifestants qui au départ ont désiré, comme en Tunisie et en Egypte, se débarrasser d'un dictateur
- Colonel Kadhafi et son régime
- l'opinion internationale et les gouvernements étrangers
- l'ONU et le Conseil de Sécurité (avec les votants pour la résolution et ceux qui se sont abstenus)
- le maintenant Conseil national de transition, entité hétéroclite et peu organisé et pratiquement sans voix
- la Ligue des Etats Arabes ayant à sa tête un égyptien (qui a été un des bras droits de Moubarak, qui est proche des USA, actuellement à la tête gouvernement militaire en Egypte et qui a des prétentions présidentielles dans son pays), et la plupart de ses membres qui sont des « amis » redevables de Kadhafi)
- l'Otan, instrument aux mains des Etats-Unis.
LES ENJEUX :
pour la population libyenne (et par effet dominos les populations bien que très différentes au Yémen, en Jordanie, au Bahreïn, en Syrie, en Algérie, en Arabie Saoudite et même pour l'Iran, l'Afghanistan et l'Irak)
>> politiques et sociaux pour accéder à un meilleur niveau de vie, plus de libertés (luttes contre la corruption, le détournements de fonds publics, le népotisme, le chômage, etc. et « décolonisation » pour certains)
pour les Etats-Unis et les pays occidentaux
>> leurs gouvernements : tenter de maintenir un équilibre leur permettant de pouvoir continuer à s'approvisionner en pétrole, en gaz, ne pas modifier le statut quo des pays arabes avec Israël et les Palestiniens, ne pas risquer un affrontement plus général
>> opinions publiques : divisées sur les questions humanitaires, interventions militaires, peurs de déstabilisation risquant de les atteindre, immigration, radicalisation de l'Islam
pour la Ligue Arabe : formée en grande partie des dictateurs du Moyen-Orient et d'Afrique
>> tenter de maintenir un équilibre malgré les remous populaires dans ses relations avec l'occident sans que cela soit trop apparent et maintenir leurs pouvoirs dans leurs propres pays.
CONCLUSIONS ACTUELLES
Là, il s'agirait pour certains de brûlages précoces.
Les enjeux des Etats-Unis, des pays occidentaux et de la Ligue Arabe se rejoignent dans le traitement de la procédure à appliquer.
Donc, leurs intérêts sont de maintenir une situation de conflits durs et durables en Libye pour bloquer les aspirations des populations qui rêveraient de renverser leur propre régime, et éviter une reprise ou une propagation des feux liées à des braises incandescentes combinées à l'ajout ultérieur de produits plus inflammables (fanatismes).