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Billet de blog 19 août 2011

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Affaires SOFITEL - BRUAY EN ARTOIS: convergences et divergences

Oui l'affaire SOFITEL a des points communs avec celle de Bruay en Artois : avant tout la position sociale des « protagonistes » aux antipodes les plus extrêmes de « l'échelle sociale et raciale ». L'impact est énorme et tourne pour certains à la lutte de classe.

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Oui l'affaire SOFITEL a des points communs avec celle de Bruay en Artois : avant tout la position sociale des « protagonistes » aux antipodes les plus extrêmes de « l'échelle sociale et raciale ». L'impact est énorme et tourne pour certains à la lutte de classe. Le système de la justice est malmené mettant à jour ses faiblesses et ses carences aussi bien aux EUA qu'en France par « à contrario ». Les médias font « monter la mayonnaise ». Des « têtes soit-disant pensantes » en vue dans la politique et notre société s'expriment sans retenue et très maladroitement. Les prises de parti sont souvent viscérales et exarcébées. Les conditions sociales et politiques aux EUA et en France sont en bouillonnement.

Soit vous optez pour une forte présomption de la culpabilité de l'accusé et vous êtes vous-même accusé de lynchage, vous acharnant sur un individu sans défense (par rapport au lynchage), présumé coupable. Vous seriez donc prêt à exécuter sommairement, sans jugement une personne considérée comme coupable, sa culpabilité même n'étant pas indispensable. Votre prise de position est d'entrée viciée compte tenu de la personnalité et de la position des accusé/accusateur. Donc, vous êtes incapable d'avoir un regard détaché pour vous manifester avec une certaine crédibilité.

Soit vous optez pour une attitude aussi passionnée mais contraire ou vous refusez de prendre parti ou estimez qu'il faut laisser faire la justice et se taire (ce qui veut dire pour les premiers soutenir l'accusé malgré les preuves) et êtes vous-même accusé de sympathie malsaine et aveugle envers les grands de ce monde ou du moins nos « grands » français :

« Les titres imposent du respect ! Que signifient-ils ? Aplatissement devant les grands, car on ne donne les titres qu’à l’obsession ». « Du haut au bas de l’échelle sociale, il faut établir des degrés, et régler toujours sa conduite sur les nuances d’estime qu’on doit à chacun. » Extraits Les Chroniques de Maupassant « L’Échelle sociale ».

La grosse différence entre ces deux affaires est que la victime du « crime présumé » dans l'affaire qui nous occupe actuellement est vivante, peut parler, témoigner. Il y a donc une sorte d'égalité entre les partis qui peuvent plus ou moins lutter à armes égales. Les coups donnés peuvent être des coups "bas" de la part des avocats de l'accusé, mais les avocats de la défendante peuvent utiliser des coups médiatiques style show de "mauvais goûts".(les entre-parenthèses laissés à l'appréciation du lecteur).

La justice quand à elle n'a qu'à enregistrer les points et accepter les interventions sous-jacentes pour se prononcer ou ne pas se prononcer.

Une autre différence fondamentale réside dans les écarts confinant parfois à l'abîme entre les cultures américaine et française, et semble révèler (un des points les plus troublants et qui devrait être approfondi) que cette affaire si elle avait dû être traitée en France l'aurait été d'une façon complètement différente. (elle aurait pû être étouffée ?).

L'affaire Bruay en Artois avait été comparée à une corrida. Même passion de la part des aficionados et leurs opposants. La corrida du SOFITEL est en cours. Difficile de rester indifférent. Mais le taureau à des chances cette fois aussi (peut-être pas les mêmes que pour Bruay).

Rappel :

Affaire de Bruay en Artois

6/4/72 découverte du corps de la jeune fille

un véhicule a été aperçue près du terrain vague.

Elle appartient à Pierre Leroy, notaire.

13/4/72 Henri Pascal, juge d'instruction chargé de l'affaire, inculpe le notaire. (il reconnaît ne posséder aucun indice tangible mais parle « d'intime conviction » devant les journalistes.

Tout autre piste possible dans cette affaire est complètement ignorée par le juge.

22/4/72 le rapport d'autopsie est rendu public.

27/4/72 reconstitution du crime (plusieurs milliers de personnes y viennent, alertées par la presse. La foule conspue la fiancée du notaire qui sera aussi plus tard inculpée).

78/4/72 malgré le manque de preuve et malgré la demande du procureur de la république et de l'avocat de la défense, Pierre Leroy est maintenu en prison.

L'avocat de Leroy démissionne car c'est lui qui devait confirmer l'alibi de Pierre Leroy (ils jouaient ensemble au bridge).

Durant les mois qui suivent, la chambre d'accusation de Douai rejette toutes les demandes de remise en liberté.

De plus les méthodes du juge Pascal (militant pour une « justice à ciel ouvert ») et ses relations avec les journalistes font de plus en plus polémique. Dans un livre qu'il a publié par la suite, il explique que cette affaire a été une opportunité pour lui de populariser ses idées.

Contexte :

  • une presse régionale de droite comme de gauche en pleine déconfiture (elle va se saisir de l'affaire par surenchères pour essayer de retrouver son lectorat)

  • les rédactions nationales envoient pour la première fois des antennes mobiles permettant de couvrir l'évènement en direct, interviews à la clef.

  • Le consensus se fait autour des prises de position du juge et des acteurs du champ judiciaire qui ont régulièrement le droit à la parole.

  • Le juge Pascal (origine familiale très modeste très critique du système) en conflit avec ses pairs utilisent les médias pour faire valoir ses idées

  • La complicité des certains intervenants : par ex. Raymond Thévenin, chroniqueur judiciaire de RTL, téléphone à Me Charles Libman (ils se connaissent) pour lui demander de se constituer partie civile pour le compte de la famille de la victime, ce que ce dernier accepte.

  • La situation politique de la France dans ces années là : une agitation politique et sociale importante qui entraîne un grand bouleversement. A Bruay : fermetures des Houillères ; grèves très violentes

  • l'instrumentalisation par un groupe de gauche prolétaire maoïstes de l'affaire et qui s'applique à rendre compte des mobilisations en les présentant comme spontanées. (« on ne peut aussi concevoir le capital politique qu'a pu apporter une telle lutte » (Bourdieu 2000). Le chef régional du mouvement politique de la gauche prolétaire (Serge July) instaure un projet de presse alternative : Pirate.

Aux enjeux de l’information se mêlent des revendications militantes qui blâment le pouvoir d’État.

Jean-Paul Sartre et Maurice Clavel interviennent dans « La Cause du Peuple ».

Pour les idéologues, la population exprime une haine légitime, et il s’agit de prémices à l’établissement d’une justice populaire. En tout état de cause, le coupable n’a qu’un nom : la bourgeoisie, stigmatisée dans un comportement idéologique homicide et à présent personnifié par Leroy.

L'évocation sans détour de la justice populaire n’est pas sans créer quelques remous au sein du comité de rédaction de La Cause du peuple. Jean-Paul Sartre, compagnon de route des maoïstes et Procureur occasionnel du Tribunal Populaire de Lens, exprime son désaccord avec cette vision caricaturale de la justice de classe. Dans un article titré « Lynchage ou justice populaire ?», le philosophe interpelle les dirigeants maoïstes qui encouragent ce genre d’argumentaire radical. En précisant que cette haine n’est pas sans fondements, il insiste, par ailleurs, sur le fait qu’il « aurait fallu montrer que la haine légitime du peuple s’adresse au notaire pour ses activités sociales, comme ennemi de classe caractérisé, et non à Leroy, assassin de la petite Brigitte, par la raison qu’on a pas encore prouvé qu’il l’ait tuée ». De plus, Sartre introduit dans son article une nuance qui fait la distinction entre assassinat légal et crime intentionnel. Pour le philosophe, « ces homicides intentionnels (la mort des ouvriers dans les mines) , où les employeurs savent qu’ils tuent mais ne savent pas qui ils tuent, ne prouvent pas qu’ils seraient capables d’étrangler une personne connue, de leurs propres mains, en la regardant dans les yeux ».

L'affaire de Bruay est intéressante car elle va être un lieu de reconversions de nombreux militants gauchistes et va développer de multiples expériences journalistiques novatrices. (Les maoïstes avaient convoqué les journalistes militants de la toute nouvelle Agence de Presse Libération créée neuf mois auparavant dans un souci d'information indépendante. Maurice Clavel qui écrit dans Combat, défenseur farouche de la liberté d'expression en deviendra le directeur-gérant et le directeur de publication. Sartre et tous les réseaux intellectuels de la gauche prolétarienne ont cautionné le projet).

Cette affaire criminelle a débouché sur un affrontement de classe sociale.

Rappel : Pierre Leroy est libéré après 3 mois de prison, déclaré innocent 2 ans après.

Le juge Pascal sera dessaisi de l'affaire.

Un ancien camarade de classe de la victime avouera et se rétractera.

L'affaire est classée sans suite et le crime prescrit en 2005.

source : Les Cahiers du Journalisme n° 17 René Guillot / Le fou de Bruay – Jean Ker

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