Marc Fumaroli :
Il est l'homme des humanités et de la conversation, passion française, et a redonné leur poids à des idées qui sont surtout des valeurs : la civilité, l'éloquence, le goût.
Exercices de lecture (Gallimard, Paris, 2006)
Ces Exercices de lecture, bilan d'une vie au service d'une passion, l'enseignement, entraînent à la confession. « Enfant, écrit-il, j'ai été rongé par l'ennui. [...] J'ai eu la chance de découvrir très tôt à l'humeur noire de l'enfance et de l'adolescence le remède à son propre repli, une précoce absorption dans les livres. » Le ver est dans le fruit et décide de sa voie future, prolonger le temps de la lecture par celle de l'étude au service de la scholè, temps de la formation des esprits et de la « germination » intérieure, moment privilégié d'une transmission du savoir. Et Fumaroli de revenir sur les années pendant lesquelles il s'est formé. Temps douloureux dans une Europe de l'après-guerre, où Sartre fait figure d'« usurpateur » préludant à un « carème interminable de nietzschéens staliniens, maoïstes ou khomeynistes, de linguistes et sémioticiens dynamiteurs du langage, de théoriciens du roman exsangue et voyeur ». La polémique n'est pas close mais vise bien moins les ténors de la modernité que les comportements mimétiques de leurs caudataires empressés confondant méthode et mots d'ordre. On n'apprend pas Baldassare Castiglione à Marc Fumaroli qui connaît tous les mécanismes de cour pour les avoir étudiés dans le texte : ceux des modernes valent bien ceux des classiques : « Nul n'aura de l'esprit hors nous et nos amis », décrétait l'Armande des Femmes Savantes. Aussi cette critique considérée comme agression restera-t-elle lettre morte, par son refus des valeurs humanistes, celles dont Marc Fumaroli reconstitue la généalogie.
Tradition est le maître mot d'une critique qui avec Marc Fumaroli n'est pourtant jamais « traditionnelle ».
Quand bien même le critique peut provoquer parfois, le lecteur admire. Car la langue de Marc Fumaroli ne se réduit jamais à une critique sèche, érudite, pontifiante, mais convie à un grand moment de conversation lettrée.
Le lien stylistique avec le xixe et le début du xxe siècle, celui d'un âge brillant de la critique, est ici rétabli, inscrivant ce livre dans la littérature. Marc Fumaroli reste surtout l'un des seuls à ne jamais sacrifier un sujet en le vulgarisant mais à l'approfondir en offrant constamment à son lecteur les moyens de le suivre. Enseignant-né, ses analyses sont ici construites comme des compositions baroques, en variations et points d'orgue, alternant rythmes et périodes, et digressant parfois à loisir. Dès la première phrase, un silence, un espace est posé, un temps aussi, celui de l'étude à l'horizon d'une jubilation, celle de comprendre et d'atteindre ainsi un gai savoir. Car ce livre qui traite des anciens, des modernes et des antimodernes s'écrit entre deux figures tutélaires, presque allégoriques, Montaigne et Chateaubriand : ces Exercices sont aussi en filigrane « exercitations », celles d'un passant mélancolique entre deux mondes.
Jean-Didier WAGNEUR