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Billet de blog 27 novembre 2012

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L'antiracisme est une conquête : Il faut se battre pour cela

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Il n'est pas aisé de donner du racisme une définition qui fasse l'unanimité. C'est pour le moins étonnant à propos d'un sujet abordé tant de fois et de tant de manières. On comprend les raisons de cette difficulté lorsqu'on s'avise que la base du racisme, c'est-à-dire le concept de race pure appliqué aux hommes, est mal définie et qu'il est pratiquement impossible de lui découvrir un objet bien délimité. D'autre part, le racisme n'est pas une théorie scientifique, mais un ensemble d'opinions, peu cohérentes par surcroît. De plus, ces opinions, loin de découler de constats objectifs, extérieurs à celui qui les exprime, sont la justification d'attitudes et d'actes, eux-mêmes motivés par la peur d'autrui et le désir de l'agresser, afin de se rassurer et de s'affirmer à son détriment. Enfin, le racisme apparaît comme le cas particulier d'une conduite plus générale : l'utilisation de différences biologiques, mais qui pourraient être psychologiques ou culturelles, réelles ou imaginaires. Il y a donc une fonction du racisme. Il résulte de tout cela que le racisme est la valorisation, généralisée et définitive, de différences biologiques, réelles ou imaginaires, au profit de l'accusateur et au détriment de sa victime, afin de justifier une agression.

Quoi qu'il en soit de l'extension du racisme, la généralité des conduites qu'il engendre à travers de nombreux groupes sociaux et la ténacité des opinions et des attitudes qu'il suscite prouveraient déjà qu'elles répondent à des motivations similaires, individuelles et collectives, puisqu'il existe un racisme tant individuel que collectif. Autrement dit, il faut rechercher les fonctions psychiques et sociales du racisme.

L'agression contre autrui, en actes ou en paroles, a besoin d'être légitimée. Il semble possible de le faire pour deux raisons : la peur et l'intérêt.

La peur de l'Autre vient du fond des âges, de l'époque où il fallait vivre dans la méfiance, faute de quoi un Autre, plus fort ou plus rusé, pouvait vous enlever la proie ou la femme convoitée, vous condamner à la faim ou à l'humiliation, ou même à la mort. L'Autre, c'est l'inconnu, duquel tout peut arriver, mais surtout le pire.

Le passage au racisme est clair : il faut se défendre contre cet Autre, étrange, étranger, ou, mieux encore, prévenir ses attaques en attaquant avant lui. Et, si son existence est nocive, il doit être mauvais en lui-même et l'on est justifié à le haïr. Devant cette peur de l'Autre, le racisme explique et rassure, il excuse et légitime l'agression.

Laconduite raciste se traduit en somme par deux mouvements complémentaires : refuser l'Autre et s'affirmer soi-même, qui aboutissent au même résultat : se fortifier contre l'Autre. Si l'on utilise le vocabulaire psychanalytique, on dira que le racisme permet d'affermir le moi, individuel et collectif. Ceci sera fait, fallacieusement sans doute, provisoirement peut-être, au prix d'une injustice certes, mais, en ce domaine, le besoin est tel que la morale s'incline et le mythe triomphe aisément.

Pourquoi le citoyen suisse ou français actuel, de condition moyenne ou modeste, est-il si souvent raciste à l'égard des travailleurs étrangers qui viennent pourtant remplir un rôle indispensable à l'économie de son pays ? Parce qu'il a peur, ce citoyen est obscurément saisi d'angoisse devant tant d'hommes différents de lui, qui risquent d'ébranler les structures de l'édifice social auquel il est attaché. Il sait bien, par ailleurs, que les travaux les plus pénibles, souvent mal payés, dotés d'avantages sociaux plus ou moins discutés, sont dorénavant le lot des immigrés. Par contrecoup, il lui faut légitimer ses privilèges, limités certes mais réels tout de même.

Si l'esprit humain a de telles tendances à être raciste, il y a des chances pour qu'un tel comportement se perpétue. Cependant, l'alibi fondé sur la différence biologique, sur le refus de l'Autre et sur l'agression n'ayant pas toujours existé, on peut supposer qu'il laissera place à un autre. La biologie a été un support longtemps commode des angoisses de l'humanité. L'universalisation et l'unification de la Terre, l'affirmation des peuples d'Afrique, d'Asie et d'Amérique rendront peut-être dérisoire de considérer autrui comme inférieur à cause de la couleur de sa peau ou de la forme de son nez, ou encore de certains traits de son caractère. Mais l'exclusion biologique n'a fait que remplacer l'exclusion théologique ; il n'est pas impossible qu'elle soit relayée à son tour par l'exclusion politique par exemple. Le mécanisme fondamental n'en aura pas disparu pour autant.

Pour lutter efficacement contre le racisme, l'indignation morale et la simple persuasion ne sauraient suffire ; il faut tenir compte de ses racines, c'est-à-dire de la peur, de l'insécurité foncière et de l'avidité économique, qui sont dans l'homme les sources de sa tendance à l'agression et à la domination. Il faut lutter contre les agressions et les dominations, et les prévenir. C'est le racisme qui est « naturel » (il fait partie intégrante de l'humain) et l'antiracisme qui ne l'est pas (il faut combattre pour gagner la liberté face à ce fléau) : ce dernier ne peut être qu'une conquête, fruit d'une lutte longue et difficile, et toujours menacée, comme l'est tout acquis culturel.

Albert MEMMI

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