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Larry Ellison, co-fondateur et président d’Oracle, a bâti une fortune colossale qui le place parmi les individus les plus riches du monde et compte parmi les soutiens proches de Trump. Son entreprise, Oracle, traditionnellement connue comme un éditeur de logiciels, s’est récemment positionnée comme un acteur majeur de l’infrastructure de l’intelligence artificielle. Son fils, David, est désormais un magnat des médias.
La vision orwellienne d’Ellison
Cette ascension économique fulgurante est indissociable d’une vision politique et sociale profondément troublante. Larry Ellison a publiquement exposé sa conception d’une dystopie de surveillance perpétuelle, un cauchemar orwellien alimenté par l’IA. Lors d’une réunion avec des analystes financiers, il a décrit un avenir où l’intelligence artificielle traiterait d’énormes quantités de séquences vidéo enregistrées par des caméras omniprésentes, installées sur les voitures, les systèmes de sécurité et même les policiers. L’objectif affiché est d’assurer que « les citoyens seront sur leur meilleur comportement, car nous enregistrons et rapportons constamment tout ce qui se passe ». Ce système de contrôle, loin d’être un fantasme lointain, s’appuie sur des technologies existantes (drones, caméras intelligentes, reconnaissance faciale), dont l’efficacité à réduire la criminalité est remise en question, mais qui coutent des milliards. Cette idéologie de surveillance correspond parfaitement à l’inclination libertarienne et autoritaire d’Ellison, qui a affiché son soutien à l’extrême droite trumpienne.
Entre IA, MAGA et TikTok
L’engagement d’Ellison en faveur de la droite dure et sa puissance technologique se conjuguent pour cimenter son pouvoir dans le secteur de l’intelligence artificielle, un domaine actuellement au cœur de la spéculation financière mondiale. Oracle a réalisé une percée spectaculaire en se positionnant comme fournisseur d’infrastructure pour l’IA. L’entreprise a notamment conclu un accord massif de 300 milliards de dollars avec OpenAI pour l’achat de puissance de calcul sur cinq ans. De plus, OpenAI a signé des accords avec Oracle et SoftBank pour la construction de nouveaux centres de données dans le cadre du gigantesque projet Stargate. Cette manne financière est vertigineuse : lors de son dernier appel aux résultats trimestriels, Oracle a cité 455 milliards de dollars de contrats, en hausse de 359 % par rapport à l’année précédente.
Cette fusion entre l’infrastructure des données et le pouvoir politique a trouvé une expression concrète et très médiatisée dans l’acquisition de la branche américaine de TikTok. Larry Ellison et Oracle sont devenus des acteurs centraux dans la gestion des opérations de l’application aux États-Unis. L’accord, qui a vu la création d’une nouvelle coentreprise américaine incluant Oracle, a été rendu possible par le soutien direct de l’administration Trump. En effet, le président Trump a signé un décret ouvrant la voie à la transaction, après que le Congrès eut exigé que la société mère chinoise, ByteDance, se dessaisisse de TikTok sous peine d’interdiction. Oracle a été désigné comme le « préstataire de sécurité » de l’entreprise, supervisant l’algorithme, les mises à jour de l’application et le stockage des données des Américains. Le deal garantit que l’algorithme de recommandation de contenu se place sous le contrôle des investisseurs américains. Cette intervention politique directe, menée par Trump pour forcer la vente sous couvert de sécurité nationale, met l’algorithme d’une plateforme utilisée par 170 millions d’Américains entre les mains d’un oligarque proche du pouvoir, soulevant d’énormes préoccupations quant à l’influence sur le discours public et la manipulation des données.
Le fils, magnat des médias
En parallèle de cette consolidation technologique et de surveillance, le fils de Larry Ellison, David Ellison, forge un empire médiatique tout aussi inquiétant. À la tête de sa société Skydance Media, il a finalisé la fusion controversée de 8 milliards de dollars avec Paramount, donnant naissance à un nouvelle entité. David Ellison, désormais PDG de Paramount, contrôle ainsi un conglomérat englobant des marques majeures telles que MTV, Showtime, Nickelodeon, et surtout la division d’information CBS News, qui est l’un de trois principaux réseaux de télévision nationaux aux US.
Les implications politiques de cette acquisition sont rapidement devenues évidentes. Peu après l’accord, la société a versé 16 millions de dollars à Donald Trump pour régler un procès en diffamation sur l’émission 60 Minutes, un paiement que certains ont dénoncé comme un "pot-de-vin" lié au processus de fusion lui-même. David Ellison a ensuite nommé Bari Weiss, fondatrice de The Free Press, au poste de responsable éditoriale de CBS News, après que Paramount ait racheté sa publication numérique "anti-woke" pour 150 millions de dollars. Weiss, qui se décrit elle-même comme une "centriste radicale" et une "fanatique sioniste", a vu son arrivée susciter une vague de critiques et une inquiétude au sein de la rédaction, où beaucoup perçoivent ces changements comme une tentative de pousser CBS News vers la droite pour plaire à Trump. Le départ de Claudia Milne, cadre de CBS News, quelques semaines seulement après la nomination de Weiss, témoigne du climat de tension et de la remise en cause des standards journalistiques traditionnels.
De la concentration aux restructurations et aux licenciements
La nouvelle direction de David Ellison a immédiatement initié une restructuration brutale. Il a affirmé vouloir dépasser les 2 milliards de dollars d’économies prévues, par le biais d’« optimisations dans les domaines du personnel, de l’immobilier, des achats et des flux de travail ». Ces coupes se traduisent par la perte de milliers d’emplois à travers l’entreprise, y compris une réduction de 10 % du personnel de CBS News. Dans le cadre d’une chasse aux coûts visant 500 millions de dollars d’économies au niveau mondial, Paramount devrait fermer les chaînes musicales MTV dans plusieurs pays, notamment le Royaume-Uni, l’Australie, la Pologne, la France et le Brésil. Cette rationalisation menace la diversité des contenus, sacrifiant des marques historiques comme MTV ou Game One, chaîne spécialisée en France dédiées aux gamers et à la culture japonaise, au profit d’une concentration sur le streaming et les franchises grand public jugées plus rentables.
Cette concentration de pouvoir sans précédent, rassemblant les secteurs de l’informatique, des centres de données, de l’intelligence artificielle, des médias d’information (CBS) et des industries culturelles (Paramount) entre les mains d’une seule famille adhérant à une idéologie libertarienne et d’extrême droite, représente une menace existentielle pour la démocratie libérale. La vision orwellienne de Larry Ellison de la surveillance totale se double de l’influence politique et culturelle de David Ellison sur l’information et le divertissement. Cette mutation du néolibéralisme, qui évolue vers une forme autoritaire et hyper-concentrée, remet en cause des principes fondamentaux sous-jacents à la démocratie sous capitalisme, tels que le pluralisme de l’information et la nécessité d’une régulation économique. En contrôlant à la fois l’infrastructure de la pensée (l’IA, les données, les algorithmes de réseaux sociaux) et les vecteurs de l’opinion (les grands médias d’information et de divertissement), la famille Ellison s’octroie les moyens d’exercer une forme de censure et de manipulation idéologique à l’échelle globale au service d’un pouvoir quasi-fasciste.