- Une omniprésence numérique au sein de la sphère internet complotiste
Dans une vidéo publiée le 30 octobre 2022 sur sa chaine Youtube, Florian Philippot s’extasie : « Aujourd’hui un entretien exceptionnel sur cette chaine et j’en suis très heureux, avec Alexis Poulin ! Je pense que vous le connaissez ». Alexis Poulin s’est en effet progressivement affirmé comme l’une des figures du net engagée pour la critique de l’Union Européenne et contre le pass sanitaire et le vaccin contre le Covid 19, chevaux de bataille de l’ancien vice-président du Rassemblement national. Omniprésent sur les réseaux sociaux, il communique régulièrement sur twitter, via sa messagerie Telegram ou sa chaine Twitch. L’homme jouit d’une certaine renommée sur la sphère virtuelle de l’information « alternative ». Son invitation par Florian Philippot fait ainsi suite à de nombreuses autres survenues sur les chaines vedettes de Youtube dont le décryptage de l’actualité partage plusieurs points de convergence : critique de l’action du gouvernement, remise en question d’une vision jugée « dominante » des relations internationales, soutien plus ou moins ostensible à la Russie de Vladimir Poutine, rejet de l’Union Européenne... Il est ainsi honoré depuis deux ans par les invitations de TV Libertés, JT pionnier dans la diffusion de l’information complotiste sur internet. Le 21 juillet 2022, il est reçu par Idriss Aberkane, pseudo docteur en sciences cognitives qui a appelé à voter Marine Le Pen contre Emmanuel Macron en 2022 pour un entretien diffusé en direct. Le média d’extrême droite de plus en plus en vogue du révisionnisme informationnel « Livre Noir » invite également Alexis Poulin pour un entretien aussi diffusé en direct le 5 octobre 2022. La présence médiatique d’Alexis Poulin ne se réduit cependant pas seulement à internet. Il est depuis 2018 éditorialiste sur RT France et depuis 2021 à Sud Radio. S’il cumule ainsi des temps de parole auprès de médias et de personnalités complotistes affiliés à l’extrême droite, sa présence est loin d’être circonscrite à ce seul bord du camp politique. Depuis plusieurs années, Poulin entretien en effet de nombreux liens avec le parti de La France Insoumise et fait l’objet d’une intégration régulière dans les médias liés à cette dernière.
Comment une telle circulation s’est-elle opérée au cours de sa trajectoire dans l’espace médiatique et numérique ? Pourquoi le discours d’Alexis Poulin, mâtiné de complotisme, a-t-il pu jouir d’un crédit dans des sphères opposées médiatiquement et politiquement ? Enquête sur la trajectoire d’une figure dont la présence dans l’espace public opère un brouillage pouvant à terme s’avérer dangereux pour la démocratie.
- De l’entrepreneur au commentateur de l’action gouvernementale
Alexis Poulin n’a aucune formation lui conférant des compétences réellement journalistiques ou d’expert d’un domaine scientifique particulier. Si l’on se réfère aux mentions de ses expériences[1] ce dernier cumule à la fois un parcours de communiquant et de directeur d’entreprise. Certaines de ses anciennes activités professionnelles ont un rapport avec le monde des médias (salarié de « Reporters sans frontières » de 2008 à 2009). Il révèle au cours d’une interview publiée sur la chaine Youtube « anti thèse » que c’est son expérience au poste de directeur de publication d’Euractiv, réseau en ligne de médias européens spécialisés dans les questions européennes, qui le convaincra de proposer une information alternative à celle proposée par « la presse qu’on dit mainstream »[2]. Il lance ainsi une revue en ligne gratuite en 2016 intitulée « le Monde Moderne » dans le but de proposer une approche alternative au traitement de l’actualité « quand 9 milliardaires se partagent la majorité des supports médias d’un pays ». Cette nouvelle revue affirme répondre au « besoin de décryptage face au flux d’informations, aux faits divers permanents et à une hiérarchie de l’info qui empêche parfois de voir les enjeux réels »[3]. Celle-ci valorise une approche critique de différents domaines de l’actualité (politique, société, écologie) à travers différents contenus (articles, podcasts, entretiens filmés) mais dont les contributeurs sont d’avantage issus de la société civile que du journalisme. Le lancement du « Monde Moderne » permet toutefois à Alexis Poulin d’intégrer pour la première fois le champ des médias en étant régulièrement invité à partir de 2017 au sein de différentes émissions de l’audiovisuel public telles qu’à France 24, France Info mais surtout à Arte où celui-ci devient un chroniqueur appelé à plusieurs reprises par « 28 minutes » pour commenter l’actualité de 2018 à 2021. Les prises de parole de Poulin au cours de ces interventions ne se distinguent pas par un parti pris pouvant l’associer au complotisme mais dont l’emploi d’un certain vocabulaire souligne déjà une certaine inclinaison critique de l’action gouvernementale. Ainsi, lors d’un sujet présenté sur France Info en août 2017 sur le droit à la publication des images du Président de la République après qu’une plainte d’Emmanuel Macron ait été déposée pour atteinte à la vie privée, Alexis Poulin livre l’analyse que « s’il n’y a pas de contrechamp, on est en dictature ». Toutefois, parallèlement à des interventions globalement policées sur les chaines du service public, Alexis Poulin va se faire remarquer sur des contenus à caractère plus partisan et développer un réseau plus politisé.
Ainsi, il rejoint au cours de l’année 2017-2018 les équipes du « Média TV », pour la première saison de ce média en ligne proche de La France Insoumise. Dans le cadre d’une série d’entretiens portés sur les questions européennes intitulée « l’entretien européen » on peut le voir mener un échange publié le 28 mars 2018 sur la chaine Youtube du Média avec François Asselineau, candidat connu pour ses prises de positions eurosceptiques mais également conspirationnistes, publié le 28 mars 2018. Au cours de l’entretien avec Alexis Poulin, il remettra ainsi en cause la légitimité de l’expulsion des diplomates russes faisant suite à la tentative d’assassinat de Sergueï et Ioulia Skripal selon l’idée qu’ « on était obligé de croire sur parole le fait générateur » arguant qu’il « n’avait pas vu l’agent double » russe, et ce sans être contredit par son interlocuteur. Alexis Poulin soupçonnable de proximité avec un discours favorable au Kremlin ?
- Une présence et un discours médiatiques de plus en plus ambigus
Refusant de s’engager pour une deuxième saison du « Média TV » à la rentrée 2018, Alexis Poulin quitte la chaine insoumise et commence à intégrer d’autres médias situés alors à l’opposé du spectre politique. Le 11 octobre 2019, il répond à une invitation (qui inaugurera une série d’autres entretiens) du média en ligne d’extrême droite « Boulevard Voltaire » au cours desquels Alexis Poulin présentera son analyse de divers phénomènes liés à l’actualité, notamment d’un évènement qui fera office de véritable ascenseur pour sa carrière médiatique : la crise du Covid. Ce dernier mettra en effet tout son capital médiatique en œuvre pour critiquer la stratégie gouvernementale de la gestion de la crise en remettant en question la vaccination et l’instauration du pass sanitaire. Rejoignant le discours de ceux qui associent ces mesures à un projet de contrôle de la population à long terme il dénonce « les lois d’exception et les lois scélérates de contrôle de la parole et de l’expression libres (…) poussées par l’agenda sanitaire et sécuritaire »[4]. Se posant en chantre de la défense des libertés et de l’expression démocratique il prend la plume et la parole à plusieurs reprises pour appeler le peuple à « faire mentir Orwell »[5]. Sa fonction d’éditorialiste sur Sud Radio, pour laquelle il officie désormais tous les mercredis, lui permet de trouver un espace accueillant pour la parole critique du vaccin contre le Covid 19 et du pass vaccinal. La station de radio s’est en effet distinguée pour avoir donné complaisamment la parole à des figures controversées de l’analyse de la pandémie du Covid 19 comme au docteur Louis Fouché, fer de lance du mouvement antivaxx et créateur du collectif « Réinfo covid ».
La présence médiatique d’Alexis Poulin n’a donc fait que croître au cours des dernières années. Son parcours semble révéler, au premier abord, un attachement progressif à la sphère médiatique complotiste et d’extrême droite. Cependant, ce dernier parvient toujours à l’heure actuelle, à naviguer entre plusieurs espaces du champ médiatique et politique.
- Des liens maintenus avec La France Insoumise
Le départ d’Alexis Poulin du « Média TV » en 2018 n’acte pour autant par une rupture avec celui-ci ni avec LFI. Bien au contraire, différents épisodes de la vie politique ont révélé des liens de proximité encore récemment entretenus entre le parti politique et le chroniqueur.
Alexis Poulin est ainsi reçu dans le Gard par des responsables Insoumis locaux pour participer à des réunions ouvertes au grand public sur la réforme des retraites ou sur les services publics le 17 et 18 novembre 2019 au cours desquelles il révèlera son souhait d’une reconstitution d’un « front populaire ». Il est également reçu sur le plateau du « Média Tv » le 17 décembre 2019 dans le cadre d’une série d’émissions sur le « mouvement social en cours » intitulée « Marche ou grève ». Son retour est salué par le présentateur Théophile Kouamo qui le présente comme un individu « que beaucoup de nos socios connaissent et apprécient ». Mais surtout, Alexis sera invité à trois reprises de « l’émission populaire », « le talk-show de la France Insoumise » entre janvier et avril 2022. Diffusée en direct sur internet, cette émission, présentée par Raquel Garrido au cours de la campagne présidentielle, aborde différents sujets de l’actualité en présence de politiciens liés à la France Insoumise mais aussi de figures de la société civile de la culture ou des médias favorable à une candidature de Jean-Luc Mélenchon. Comment un individu travaillant à Russia Today et aux liens étroits avec l’extrême droite peut-il être l’invité d’une émission de la France Insoumise ?
- Une figure symptomatique des dysfonctionnements de l’espace médiatique et politique
Les critiques d’Alexis Poulin envers la politique gouvernementale ou de l’Union européenne sont effet empruntes d’une dimension sociale et économique, celui-ci dénonçant par exemple dans un article du monde moderne datant du 15 septembre 2020[6] « des milliardaires toujours plus riches et des salariés toujours plus précaires ». Il déplore également l’abandon dans les banlieues des polices de proximité et de la non réduction de la « fracture urbaine »[7] Ce discours a priori compatible avec une approche politique de la gauche des thématiques sociétales et économiques suffisent-elles à expliquer les liens entre Poulin et LFI ?
Lors de son invitation sur le plateau de l’épisode du 26 Janvier 2022 c’est pourtant sur la situation diplomatique entre la Russie et l’Ukraine qu’il est invité à prendre la parole par Raquel Garrido (capture d’écran ci-dessus), alors que l’invasion de l’Ukraine par la Russie n’a pas encore éclatée. Présenté par la leader insoumise comme « un ancien journaliste qui a travaillé à Bruxelles » qui « connait par cœur les questions de l’Union européenne et internationales » (sans qu’elle omette son poste d’éditorialiste à RT) elle invite ce dernier à livrer son expertise pour « cette histoire de prétendu risque de guerre entre l’Ukraine et la Russie ». Poulin présentera alors une vision du conflit totalement calquée sur les éléments de langage du Kremlin : le risque potentiel ne guerre ne proviendrait pas de la Russie qui ne ferait « que des manœuvres » le long de la frontière de l’Ukraine. Ce pays (dont la Crimée « est un territoire historiquement russe ») serait historiquement membre d’une « concorde slave » avec la Russie et la Biélorussie et qui en tant que pays « frères » n’auraient pas d’intérêt à se faire la guerre. Or c’est lorsque « arrive l’OTAN » qui est selon lui « l’assurance américaine de dominer la construction européenne » que les tensions s’accumulent. Joe Biden est présenté comme le responsable de l’origine du conflit par un besoin d’obtenir un nouvel ennemi après le retrait de l’armée américaine d’Afghanistan. Cette présentation révisionniste de la guerre en Ukraine ne sera contredite par aucune des personnes présentes sur le plateau. La présence d’un tel discours sur une émission au service de la campagne de Jean-Luc Mélenchon n’a rien d’anodin. Sollicitée comme une parole experte sur la question ukrainienne, la présence de l’éditorialiste de Russia Today parait obéir à une volonté de l’organisation politique de crédibiliser les prises de position de Jean-Luc Mélenchon avant que l’invasion de l’Ukraine n’éclate. Ce dernier avait ainsi affirmé dans l’émission « Elysée » du 10 février 2022 que les Etats-Unis « avaient annexé dans l’Otan l’Ukraine et que la Russie s’est sentie « humiliée, menacée ». Cette situation révèle donc une proximité entre le discours d’un certain type de figure du révisionnisme informationnel et celui des cadres de LFI. Comment l’expliquer ?
Pour Marie Peltier, historienne spécialiste du complotisme, elle découle d’ « une résurgence d’une vision complotiste » qui sévit « depuis vingt ans, depuis le 11 septembre 2001 »[8]. D’après elle, la proximité avec les thématiques complotistes par les partis politiques est motivée par une stratégie électorale. « L’élection de Trump a montré que la rhétorique complotiste a permis d’accéder au pouvoir » analyse Marie Peltier, pour qui « la propagande du Kremlin, en axant sur le rejet de l’Union Européenne et des Etats-Unis a surfé sur l’anti-impérialisme, un combat de gauche, et a su imposer son récit comme un récit de gauche au nom de la défense du peuple ».
La circulation d’Alexis Poulin entre des espaces politiques de gauche et des espaces politiques d’extrême droite rappelle un phénomène identifié par Philippe Corcuff et Philippe Marlière : le confusionisme. Selon les deux politistes, le débat politique contemporain est marqué par un phénomène de brouillage des clivages idéologiques qui s’applique en raison du « développement de passerelles discursives entre extrême droite, droite modérée, gauche modérée et extrême gauche »[9]. Ce floutage des clivages n’est pas une nouveauté dans le cadre de la France Insoumise. L’un des anciens orateurs nationaux et conseiller de Jean-Luc Mélenchon aux relations internationales et la défense, Djordje Kuzmanovic s’était illustré pour son soutien à l’intervention russe en Syrie. Si pour le politiste spécialiste de LFI Manuel-Cerevera Marzal l’existence de ces passerelles idéologiques sont d’avantage des cas isolés au sein du parti[10], la sollicitation d’Alexis Poulin par les réseaux de La France Insoumise se poursuit. Ainsi, dans la bande-annonce publiée pour informer du retour de l’émission populaire à partir du mois d’octobre, c’est un extrait d’une intervention d’Alexis Poulin qui est sélectionné pour faire l’annonce « qu’il y aura de nouvelles rubriques avec de la critique des médias ».
Les transfuges opérés par Alexis Poulin dans le champ politique questionnent donc les clivages qui l’ont autrefois structuré. Révélant une pénétration des idées de l’extrême droite et du vocabulaire complotiste dans toutes les sphères politiques, ils peuvent représenter une perte de repères pour les citoyens, à terme problématique pour la pérennité du débat démocratique.
Si les organisations politiques ont joué un rôle dans cette intégration de la grille de lecture complotiste dans le débat public, il en va également d’une certaine responsabilité des médias. La médiatisation d’Alexis Poulin a en effet été permise au préalable par son intégration dans des médias d’information traditionnels, qui ont été les premiers à lui offrir un auditoire plus conséquent. Un phénomène de banalisation déploré par Marie Peltier pour laquelle un sursaut de l’ensemble des acteurs collectifs de la société est nécessaire « afin de déterminer ce qui acceptable ».
[1] Expériences présentées sur la page LinkedIn d’Alexis Poulin.
[2] « Ploutocratie européenne, quel avenir pour les peuples? | Alexis Poulin »- 24 octobre 2022.
[3] Présentation de la revue sur la plateforme de financement participatif KissKissBankBank.
[4] «Au revoir, démocratie chérie. »-Le Monde Moderne, 20 novembre 2020.
[5] « Non, nous ne sommes pas « en guerre »-Le Monde Moderne, 23 Mars 2020.
[6] « Le monde d’après, c’est le pire du monde d’avant ! ».
[7] « Les banlieues, champs de batailles oubliés de la « guerre contre le terrorisme » »-Le Monde Moderne, 14 juin 2019.
[8] Entretien du 28 octobre 2022.
[9] « Prendre au sérieux le « confusionnisme politique »-AOC média, 7 octobre 2021.
[10] « Le populisme de gauche. Sociologie de la France Insoumise », La Découverte, 2021.