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Billet de blog 8 septembre 2025

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Une dépossession démocratique : traité de non-prolifération de l'IA et appel à l'action

L’IA est une technologie qui nous dépossède. Face au péril anti-démocratique et au techno-solutionnisme naïf qu'elle implique, nous appelons à un mouvement citoyen face au développement des IA génératives, à une refonte des politiques publiques et à l’instauration de normes internationales contraignantes pour encadrer la consommation d’eau et d’énergie des data centers.

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Texte écrit par @Travata_ et moi-même

L'IA : un recul démocratique

De l’industrialisation, de la 5G, jusqu’à l’IA générative, de l’extrême gauche à l’extrême droite, aucune offre politique institutionnelle ne remet en cause, aujourd’hui, la sotériologie du progrès technique. La critique de la révolution industrielle semble être un point mort de l’actualité. Il faut aller de l’avant, la preuve, Emmanuel Macron a affirmé que la France allait investir 109 milliards de dollars dans l’IA. Il faut progresser, quoi qu’il en coûte.

Quiconque s’y oppose se voit affublé de qualificatifs dégradants, décrédibilisants. Souvenons-nous du moment où l’ancien député européen, Benoit Hamon, émettait des réserves vis-à-vis de la 5G, et ce, à raison. Les infrastructures 5G sont bien plus énergivores que celles de la 4G. Son déploiement a nécessité le remplacement de nombreux appareils, ce qui n’était pas sans générer des déchets électroniques. Le potentiel des ondes électromagnétiques est encore mal connu, mais elles sont à risque de perturber les écosystèmes, plus particulièrement, les insectes et les oiseaux. Les inquiétudes de l’ancien candidat socialiste n’étaient pas sans fondement. Les médias n’ont pas tardé à le qualifier d’arriéré. Le Président de Générations n’était même pas fondamentalement anti 5G. Il souhaitait tout simplement que cette décision soit prise après des expertises scientifiques et un débat démocratique.

Remettre la décision dans les mains des citoyens n’a pourtant rien de révolutionnaire, c’est l’une des caractéristiques propres d’une démocratie. Le débat d’idée n’a pas été inventé par Benoit Hamon. Cette nouvelle technologie nous a été imposée par le haut sans aucune consultation possible. Nous, citoyens, sommes totalement dépossédés de cette décision politique. Nous n’avons pas un mot à dire sur l’imposition de technologies qui vont pourtant profondément modifier nos structures sociales, notre quotidien, sans parler de toutes les externalités négatives. La 5G est très loin d’être la seule technologie concernée par ce cas, puisque c’est quasiment le cas de… tous les dispositifs techniques que nous utilisons aujourd’hui. De nombreuses utilisations ont été imposées par le haut. Les annuaires en papier ont été peu à peu supprimés, au profit des téléphones. L’expression qui était autrefois satirique « On arrête pas le progrès » fait désormais preuve de vérité à la fois indéniable et incontestable.

Techniques autoritaires et techniques démocratiques

Nous ne pouvons espérer, ni justice sociale, ni réelle démocratie tant que nous sommes soumis à ce règne de la machine. Lewis Mumford distingue les techniques démocratiques des techniques autoritaires.

Les techniques démocratiques sont accessibles, décentralisées et adaptables aux besoins de chacun. Elles favorisent l’autonomie des individus et des communautés puisqu’elles permettent une participation active à leur création et une maîtrise collective des outils et des processus. Le panier en osier est un exemple parfait. Ces techniques renforcent le caractère égalitaire et démocratique des sociétés.

A contrario, les techniques autoritaires sont centralisées et d’une grande complexité. Elles nécessitent des infrastructures extrêmement lourdes, ce qui les rend inaccessibles à la plupart des individus. Par exemple, la gestion d’un chemin de fer nécessite non seulement une très forte division du travail pour sa fabrication, mais également pour son maintien. Plusieurs ouvriers doivent être coordonnés à des moments précis de la journée. Aucune souplesse n’est possible dans ce système. Ces techniques renforcent les hiérarchies sociales et économiques puisqu’elles concentrent le pouvoir entre les mains de quelques individus.

Illustration 1

La complexité des technologies que nous utilisons s’accroît au fur et à mesure du temps. Nous sommes absolument incapables d’expliquer de quoi nos iPhones sont faits. Nous savons à peine comment fonctionne une Intelligence Artificielle telle que ChatGPT. Pourtant, malgré un fonctionnement qui non seulement nous échappe mais nous dépossède, l’usage de ces technologies devient de plus en plus simple. Plus une technologie semble simple à manipuler, plus elle demande un investissement fort. Chat GPT comprendra même une demande mal formulée et difficilement compréhensible.

Un techno-solutionnisme naïf

Les plus fervents techno-optimistes affirmeront que l’IA est une superbe nouvelle et qu’elle permettra de « décarboner l’environnement ». Ces derniers font preuve d’une naïveté déconcertante à l’égard des technologies, n’ont-ils pas retenu la leçon de Prométhée ? Les mêmes erreurs, encore et encore : nous souhaitons régler des problèmes que nous avons provoqués nous-mêmes à l’aide des mêmes techniques qui les ont provoqués, et nous répétons ce cercle à l’infini. Ce concept est évoqué par le philosophe Derrida : c’est le pharmakon, ou l’idée qu’une technologie qui se présente comme un remède est en réalité un poison, qui nécessitera, un nouveau remède. Le problème étant, que la compensation, devient à chaque fois de plus en plus coûteuse en raison de l’augmentation de la complexité de la technique. C’est exactement ce que nous sommes en train de faire avec l’IA. Nous voulons nous servir de l’IA comme parade, alors que l’utilisation en elle-même de l’IA se paie à un prix très cher.

D’après l’Institut Supérieur de l’Environnement, l’IA génèrerait à travers la consommation énergétique de ses infrastructures une pollution numérique considérable. Les quantités d’énergie requises pour le fonctionnement de l’IA sont gigantesques. Une infrastructure lourde doit être en mesure de fonctionner en permanence.

Plus que l’assèchement de notre raison critique, l’intelligence artificielle aura bientôt raison de nos nappes phréatiques. Quand l’époque loue le progrès aveuglement, nous nous permettons de mettre la lumière sur la catastrophe que constitue le développement des data centers partout dans le monde.

L’intelligence artificielle, une révolution aux coûts énergétiques et hydriques colossaux

Alors que l’intelligence artificielle s’impose progressivement dans tous les secteurs de l’économie, l’essor des data centers soulève de nouvelles inquiétudes quant à l’impact environnemental et hydrique. L’enthousiasme des gouvernements technophiles et des géants du numérique cache une réalité préoccupante : l’augmentation exponentielle de la demande énergétique et de la consommation d’eau sur des territoires déjà fragilisés par le nucléaire et l’agriculture intensive. Nous nous proposons de recentrer la question de l’IA dans un champs qui ne soit pas seulement celui de la question de la performance et de la concurrence, mais celle des limites matérielles auxquelles confrontent cette course à l’IA.

Une explosion énergétique annoncée

Selon un rapport de McKinsey, la demande énergétique des centres de données en Europe devrait presque tripler d’ici 2030, passant de 62 térawattheures (TWh) à plus de 150 TWh, soit environ 5 % de la consommation totale d’électricité du continent. Aux États-Unis, les chiffres sont encore plus impressionnants avec une consommation actuelle avoisinant les 325 TWh. Par ailleurs, l’agence Deloitte alerte sur un scénario extrême où, avec la plus forte adoption de l’IA, la consommation mondiale des data centers pourrait être multipliée par neuf, atteignant ainsi 3 550 TWh par an. A titre informatif, la consommation électrique de la France en 2024 ne s’élève qu’a 449,2 TWh. La consécration de cette folie numérique demanderait donc l’équivalent de 7 Hexagone. Ces chiffres illustrent l’ampleur d’une expansion qui camoufle un désastre écologique et social derrière des promesses de gains en productivité.

Cette hausse de la demande énergétique conduira au déploiement de plan de construction nucléaire faramineux pour soutenir ces gouffres a KWh. Pharmakon oblige, ce qui croit apparaitre comme une solution pose un problème de plus dans l’accaparement d’espace toujours plus important des centrales et une pression en eau accru pour le refroidissement des centrales.

L’impact hydrique, l’ombre cachée d’un numérique en plein boom

Si la consommation énergétique des data centers fait l’objet de nombreux débats depuis les années 2000, c’est la consommation d’eau qui demeure largement sous-réglementée et souvent occultée. Le recours à l’eau comme moyen de refroidissement des installations, et ainsi pour améliorer le PUE (Power Usage Effectiveness), devient une solution paradoxale. Pour obtenir un bon indice énergétique et se présenter comme plus « vert », les opérateurs misent sur une utilisation accrue d’eau, reléguant ainsi la question de la ressource hydrique au second plan.

Les conséquences sont tout aussi dramatiques : un seul data center peut consommer jusqu’à 5 millions de gallons d’eau potable par jour – soit environ 19 millions de litres – une quantité suffisante pour approvisionner des milliers de foyers ou des exploitations agricoles. Dans des régions déjà soumises à une rareté de l’eau, comme le sud-ouest des États-Unis (Phoenix, Arizona notamment), cette consommation massive vient exacerber les tensions sur une ressource essentielle. Pour ne citer qu’un exemple, Google a négocié à Mesa, en Arizona, un tarif préférentiel de 6,08 dollars pour 1 000 gallons d’eau, alors que les habitants locaux déboursent en moyenne 10,80 dollars pour la même quantité.

Au-delà de l’Amérique du Nord, plusieurs exemples internationaux illustrent l’urgence de la situation : à Bengaluru, en Inde, certains centres de données consomment jusqu’à 8 millions de litres d’eau par jour dans une ville en proie à la pire crise hydrique en 500 ans. En Virginie, aux États-Unis, la consommation d’eau des infrastructures numériques a augmenté de 250 % en seulement cinq ans, aggravant ainsi les pénuries locales. Aux Pays-Bas, une forte opposition populaire a même contraint Meta à abandonner un projet de data center, démontrant que l’impact hydrique et environnemental devient un sujet de préoccupation majeur pour les communautés locales menacées directement par ces centres si peu évoqués dans le discours médiatique.

Une croissance exponentielle au cœur d’un paradoxe environnemental

L’expansion des data centers est intrinsèquement liée à la montée en puissance de l’intelligence artificielle, qui s’infiltre dans tous les secteurs – de la finance à la santé, en passant par l’agriculture et l’industrie. Cette intégration massive crée une demande exponentielle en puissance de calcul, qui, en retour, nécessite la construction de centres de données toujours plus vastes et gourmands en énergie et en eau. Ce paradoxe est d’autant plus flagrant que l’IA est souvent présentée comme une solution pour réduire les émissions de carbone, alors qu’elle impose une pression accrue sur les infrastructures énergétiques et hydriques. Le jeu à somme nulle apparaît ici : utiliser l’IA pour diminuer l’empreinte carbone, tout en augmentant simultanément la consommation d’énergie et d’eau, et en intensifiant le stress sur des ressources déjà limitées. Olivier Ertzsheid souligne d’ailleurs que les conflits d’usage à venir, notamment autour de l’accès à l’eau, mettront en opposition le lobby technologique – avec ses data centers et fermes de serveurs – et le lobby de l’agriculture industrielle. Selon lui, les deux secteurs contribuent à l’appauvrissement des sols et au stress hydrique des populations avoisinantes, sans réelle considération pour l’impact à long terme sur les ressources naturelles.

Des politiques publiques à double tranchant

En France, la politique actuelle de soutien au développement de l’intelligence artificielle s’accompagne d’un régime fiscal et électrique particulièrement avantageux pour les data centers. Tandis que les ménages paient environ 32 €/MWh et les entreprises 22,5 €/MWh, ces infrastructures bénéficient d’un tarif préférentiel de 12 €/MWh. Cette dérégulation, qui vise à attirer des géants du numérique tels qu’Amazon, Microsoft, Google et OVH, a permis d’enregistrer des investissements cumulés de 109 milliards d’euros, mêlant fonds publics et privés. Néanmoins, l’ensemble des infrastructures de transport et de production d’électricité étant publiques – RTE, par exemple, appartient majoritairement à EDF – c’est en fin de compte l’usager qui devra supporter les surcoûts, que ce soit par des augmentations de taxes ou des factures d’électricité en hausse.

L’ADEME et l’ARCEP tirent la sonnette d’alarme : sans mesures de sobriété, la consommation électrique des data centers pourrait plus que tripler d’ici 2050, avec un risque qu’ils accaparent jusqu’à 52 % de la consommation nationale. Ce constat trouve écho dans des exemples internationaux, comme en Irlande où la part des data centers dans la consommation électrique est passée de 5 % en 2015 à 21 % en quelques années seulement.

Par ailleurs, la concentration des data centers sur de vastes zones de foncier, souvent à faible densité d’emploi – environ un poste à temps plein pour 10 000 m², contre une moyenne de 50 emplois sur la même surface dans d’autres secteurs – pose une question cruciale sur la viabilité sociale et économique de ces investissements. La fragilisation des infrastructures face aux manifestations climatiques extrêmes ajoute une couche supplémentaire de vulnérabilité à une technologie dont la centralisation la rend plus prompte à s’effondrer sur elle-même.

Appel à l’action

De plus, nous ne devons pas oublier, que l’IA, par son hypercentralisation, tout comme le nucléaire, c’est le recul de la démocratie. L’IA est une technologie qui nous dépossède.

Les citoyens n’ont aucun mot à dire sur le fonctionnement de l’IA. C’est avant tout une affaire de technocrates au pouvoir. On entend très souvent que les risques liés au nucléaire sont moindres. C’est relativement vrai par rapport à d’autres sources d’énergies. Toutefois, d’après Patrick Lagadec, il n’est plus possible de s’en tenir à la seule probabilité lorsque l’on est face à des événements d’une extrême gravité. La question de la possibilité éclipse largement celle de la probabilité, puisque le raisonnement statistique perd de sa valeur dès lors qu’un événement grave se présente. C’est le risque technologique majeur.

L’IA se situe exactement dans le même schéma, plus particulièrement si elle échappe au contrôle humain ou est utilisée à des fins destructrices. De plus, ces risques sont concentrés entre les mains d’une poignée d’acteurs puissants, ce qui accroît les dangers d’une utilisation irresponsable, ou malveillante. Ici encore, dans le cas de l’IA, la possibilité éclipse la probabilité.

Face à ces constats alarmants, nous appelons a un mouvement citoyen, une refonte des politiques publiques et à l’instauration de normes internationales contraignantes pour encadrer la consommation d’eau et d’énergie des data centers. Le mouvement espagnol « Tu nube seca mi río », par exemple, illustre une mobilisation citoyenne contre les impacts hydriques des infrastructures numériques, tandis que des groupes locaux aux États-Unis et en Inde s’organisent pour empêcher la propagation des data centers dans des zones déjà fragilisées par la sécheresse et la pollution.

Tout comme le nucléaire, l’IA présente un risque technologique majeur. Son caractère systémique risque de faire de l’IA et les conséquences de son développement un désastre pour la race humaine. Les dangers liés au développement d’une IA non alignée sont ceux d'une absorption trop importante de l’économie aux mains de monopoles, d’une dérégulation du marché du travail et d’une perte de contrôle totale, à l'instar d'un emballement d’un réacteur à fission.

Nous sommes bien conscients que le jeu de la compétition internationale exigent une surenchère constante, cependant l’histoire nous montre qu’il existe une voie vers la coopération, comme l’illustrent les accords de non-prolifération nucléaire dont la première ébauche date du 1er juillet 1968. Encore aujourd’hui, le développement du nucléaire est un objet de débat constant qui a peu à peu quitté l’arène des états-nations pour devenir un thème international. Tout comme le TNP (Traité de non-prolifération nucléaire) cherche à encadrer la propagation d’armes nucléaires, un traité sur l’IA viserait à limiter ou réglementer le développement d’armes autonomes ou de systèmes d’IA offensifs sans surveillance humaine. Ce traité rendrait obligatoire l’inspection, la transparence sur les mises a jour, l’évaluation des algorithmes, des audits et des contrôles indépendants pour empêcher une accélération du développement qui devienne incontrôlable. Comme pour le nucléaire civil, où la conception des centrales doit respecter des normes de sûreté, un traité international pourrait fixer des standards de sécurité pour la recherche et la mise sur le marché de certaines IA (exigences de robustesse, procédures de tests contre les biais ou les dérives).

Nous appelons à une prise de conscience collective et à une action immédiate pour encadrer le développement de l’IA, protéger nos ressources naturelles et préserver notre démocratie, avant que la course au progrès ne devienne une course à l’abîme.

Vous pouvez signer notre pétition ici.

Texte initialement publié ici.

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