Quelle offensive pourrait fendre la compacité du discours politique, me suis-je demandé en visionnant jeudi dernier l’émission « Des paroles et des actes » ? Il y avait là les mêmes, enfermés dans leurs stéréotypes, Nathalie Kosciusko Morizet se protégeant derrière un sourire méprisant, Marine Le Pen, pérorant à en casser les oreilles, Jean-Christophe Cambadélis, dans une placidité bonhomme, tel Raminagrobis… et les autres… Il y avait leur langage codé, usé jusqu’à la trame, et leurs joutes attendues. Il était comique de voir Marine Le Pen et Pierre Laurent lutter pour parvenir à se différencier.
C’est alors qu’un moment de révolte se produisit enfin : il provenait d’une salariée syndiquée invitée Avec véhémence, elle soulignait l’essentiel : tout ce beau monde ne savait rien, ne pouvait rien savoir des difficultés existentielles dans lesquelles se débattaient, jusqu’au désespoir, les plus démunis. J’eus un moment l’image de nobles et croquants comme si les inégalités avaient juste changé de forme. Les propos de cette femme donnaient une impression de vérité et de justesse, qui rendait bien médiocres ceux des politiques. On aurait dit une voyageuse frappant à coups de poings la porte d’une chapelle hermétiquement close. On put croire un instant que la porte s’entrebâillait lorsqu’ils se tournèrent vers elle, mais il fallut vite déchanter devant leurs tentatives de séduction ; je ne veux pas dire qu’ils furent sans compassion mais celle-ci n’est-elle pas toujours ambigüe, voire condescendante ? Quoiqu’il en soit, il me fut vite évident, qu’ils n’écoutaient pas une voix mais voulaient gagner des voix. Pourtant, cette voix a dû résonner aux oreilles des téléspectateurs comme aux miennes, en tant que porteuse d’un message : si une écoute s’ouvrait, l’évolution vers une meilleure distribution des richesses et des chances pourrait se dessiner, favorisée par des échanges tenant compte des réalités et de la vérité des uns et des autres. Il est vrai que l’on pouvait, bien sûr, se demander si cette femme n’était pas « l’ouvrière de service » et donc, elle aussi, piégée dans un rôle. Nous le sommes sans doute tous quelque peu…Mais sa parole soulignait à juste titre l’inégalité sociale.
Dans un deuxième temps de cette émission, deux philosophes furent sollicités et, là aussi, même constat : tout comme les politiques, ils étaient enfermés, Michel Onfray et Alain Finkielkraut dans leur systématisation, libertaire pour l’un, identitaire pour l’autre. Du moins une pensée critique s’exprimait-elle là bien plus que dans la première partie de l’émission. Et une évocation d’Alain Finkielkraut ouvrit un instant de grâce Même si je suis souvent en désaccord avec ses convictions, je me suis sentie partie prenante de son intervention. Il évoquait la question de la Ferme des Millevaches, projet d’élevage industriel intensif dans la Somme. Il rappelait cette « réponse » d’un paysan de la région telle qu’elle avait été présentée dans un journal de 20h. sur la 2. Ce paysan disait que pour tout l’or du monde, il ne renoncerait pas au plaisir de voir brouter ses vaches en liberté. Et Alain Finkielkraut interpréta : lorsque le paysan leur ouvrit le pré, les vaches blanches dansaient. Pourquoi « blanches » me direz-vous ? De fait, je n’ai pas souvenir précis de leur couleur au moment dé l’émission consacrée au paysan. Mais telles, qu’elles jaillirent soudain des doigts fébriles d’Alain Finkielkraut, aériennes et dansantes, elles étaient blanches, assurément.
Ce qui me heurta, après ce moment de pure poésie au service du vivant, ce fut la stupéfaction incrédule de David Pujadas. A son rire et à son embarras, l’on voyait bien qu’il s’agissait là, pour lui, d’une fantaisie du philosophe, voire d’une douce folie. Dommage pour l’écopoésie, c'est-à-dire une « écologie intérieure » me suis-je dit. .
Pour la seconde fois, dans cette soirée, la chance d’un échange de fond avait été perdue.
nc