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Billet de blog 2 février 2014

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La manif qui sert à rien

La manif contre l’ordrétabliophobie est un grand succès ici, à Lyon, il faut dire que les manifestants partaient victorieux : l’argent, le pouvoir, les emplois, la messe du dimanche, les relations sociales, les activités péri-scolaires, les siècles des siècles, enfin tout ce qu’il faut, mais courageusement ils iront "jusqu’au bout" !

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La manif contre l’ordrétabliophobie est un grand succès ici, à Lyon, il faut dire que les manifestants partaient victorieux : l’argent, le pouvoir, les emplois, la messe du dimanche, les relations sociales, les activités péri-scolaires, les siècles des siècles, enfin tout ce qu’il faut, mais courageusement ils iront "jusqu’au bout" ! Oui ! jusqu’au bout ! Ils l’ont dit dans le mégaphone : "On n’arrêtera jamais !", car le combat contre la “salsa du démon” n’a pas de fin, le diable, ça continue alors il faut se serrer les coudes contre une telle adversité, forcément. Ces manifestants déterminés à lutter avec des drapeaux, des sweat-shirts, des briquets, des sifflets à roulette, s’insurgent collectivement, en famille française, avec leurs enfants, contre “le diktat d’une théorie mortifère” ! ils veulent que leurs enfants soient des petits garçons et des petites filles, et c’est très réussi car les enfants de la manif sont effectivement déguisés en fille et en garçon, les mamans en maman, les papas en papa, les curés en intégriste et les scouts en scout, car “nous ne voulons pas être des personnes assexuées” et "interchangeables", car "oui à la complémentarité", car "non à la familiophobie" !

                                              L'exercice de la bêtise, Photo Clémentine Duchemin.

Les anti-ordrétabliophobes sont en effet anti-familiophobes, la France est une fille aînée de l’Eglise constituée de familles unies devant Dieu. “Tous ici nous sommes la France que nous aimons !”  Voilà, c’est dit, les manifestants contre l’ordrétabliophobie et contre la familiophobie sont pour la France qu’ils aiment, dont ils agitent le drapeau, entre d’autres drapeaux montrant des silhouettes suggérant clairement que l’homme descend du singe, d'une France menacée. Par quoi  ? Je te le donne en mille, camarade catholique , "par la dictature socialiste".

Haha ! Avoue, tu ne t’attendais pas à un ennemi aussi puissant ! Enfin du solide ! Le socialisme ! Mais oui ! Ce socialisme de peu de foi ! Ce socialisme du diktat dictatorial qui ne croit pas en la Sainte Famille ni en la France que nous aimons qui sent bon les régions, la fête des mères, les fleurs de lys et la joie des JMJ !

Les manifestants contre l’ordrétabliophobie ne vont jamais cesser de lutter contre la dictature socialiste. Vingt-cinq ans après la chute du mur de Berlin, ces vaillants combattants sont toujours mobilisés grâce à leur foi inébranlable en la légitimité d’un combat sans merci pour des valeurs qu’il s’agit de défendre.

Quelles valeurs ? Pas le capitalisme qui n’existe pas, ni  le patronat qui n’existe pas non plus ni la bourgeoisie qui n’existe absolument pas. Non, les ordrétablistes défendent des “valeurs éternelles” de la chrétienté de France contre le socialisme, les “LGBTistes”, les “genristes”, ah oui, et j’oubliais, contre les “violeurs d’enfants”.

Une mère au courage tout-à-fait exemplaire, une mère dont la conscience politique extrêmement affutée s’exprimait par l’ingéniosité des slogans explosifs, agitait dans l’air des ballons de baudruche sur lesquels on pouvait lire ce puissant message révolutionnaire  : “Stop aux violeurs d’enfants !”

C’est vrai, je me dis, trop c’est trop, allez il faut stopper ces violeurs ! Mais lesquels ? Où sont-ils, ces salauds  de violeurs ? Je me demande si les violeurs d’enfants ne seraient pas des gens pas catholiques, des espèces de pervertis des valeurs par l’inversion sexuelle ! Les violeurs d’enfants ne seraient-ils pas … des pédophiles, par hasard  ? pas les prêtres, non non … je veux dire les pédérastes… les pédés, quoi … c’est bien comme ça qu’on appelait les homos, autrefois, au bon temps des écoles secondaires de mon enfance bénie ? Donc, déjà on se débarasserait des pédés, ça ferait moins de violeurs d’enfants, pas vrai madame ?

A côté de cette courageuse maman qui participait à ce que les ordrétablistes appellent la "liberté de conscience”, il y avait, devant sa ribambelle de mômes parfaitement identifiables du point de vue vestimentaire, et dont l’orientation sexuelle était donc  assurément décidée par la nature culturelle des barettes dans les cheveux d’une part et des bermudas d’autre part, un môme de sept ou huit ans, pardon, une fillette – “nous aimons les petites filles, nous aimons les petits garçons” -, enfin une gamine déguisée en fille qui sautait à côté de sa mère en criant  “Bavoirs pour tous ! Bavoirs pour tous! ” , brandissant ces trucs de bébé qu’on appelle des bavoirs et je me demandais, mais où est donc passée la bavophobie stigmatisant les bébés qui ne sont pas encore très déterminés à devenir une fille ou un garçon sexuellement orienté ? Dégueu, non, les bébés d’autrefois qu’on habillait, dans cette classe bourgeoise qui n’existe pas, inconsciente des risques et périls de l’indifférenciable, de dentelle blanche, de bonnets à troutrous et qu’on laissait baver sur des bavoirs horriblement unisexe ?  - plus loin, heureusement, deux garçons masculins se battaient pour de faux avec des épées en plastoque. Bon enfant, cette manif.

D’ailleurs voilà la voiture-balai et son avant-garde de ramasseurs de détritus en gilet fluo accompagnés d’une police proxémique. La police, de bonne humeur, fait remarquer au travailleur probablement arabe, sinon carrément musulman vu son emploi, mais bon, donc lui fait remarquer :” il n’y a pas beaucoup de papiers ! c’est bien, hein ?”  Oui ce défilé est exemplaire. Un homme de sexe masculin habillé d’une moustache annonce fièrement que dans ces manifs “il n’y a jamais de voitures brûlées”, que “les familles sont pacifiques”, mais regardez, voilà qu’arrive déjà la tête du cortège, côté Rhône, tandis que la queue n’a pas encore tout à fait quitté la place côté Saône. Quelle réussite !

Sur le podium, l’animateur de mariage, pardon de manif pour tous, accueille l’arrivée des militants de la domination au son d’une regaine joyeusement techno, façon danse des canards mais en plus à la mode.

"Et voilà nos courageux marcheurs !"

"Est-ce que ça s’est bien passé cette petite marche ?"

"Est-ce que la promenade s’est bien passée ? "

La foule de Lourdes crie "ouiiii ! "

Parce que les manifs contre l’ordrétabliophobie, voyez-vous, c’est pas la place Tahrir, et pas non plus Saint Jacques de Compostelle, juste une ballade en famille du dimanche, d’ailleurs l’animateur d’homophobie pour tous invite à une petite collation  : "Allez manger des crèpes ! il est l’heure du goûter !"

La grande roue tourne à vide sur la place Bellecour. Contre une façade en ravalement, une grande bâche publicitaire signée Coca-Cola nous prévient qu’il y a, pour chaque fin d’année, 365 raisons de croire à un monde meilleur…

Les hommes sont vraiment connes, des fois.

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