Rue Victor-Hugo, des gens distribuaient des tracts, c’est une rue commerçante, il y a toujours des prophètes pour annoncer la bonne nouvelle des prix sacrifiés et des produits miracle, c’est une mission sur Terre qui rapporte presque rien, l’essentiel est d’y croire, ces prophètes ont le sourire de l’économie de marché sinon ils sont virés, c’est la servitude du travail volontaire à ce qu’il paraît, c’est pourquoi je leur dis toujours bonjour poliment, non merci sans haine et bonne journée sans reproche. Pourtant j’ai remarqué, mon père aussi, que le sourire d’une fille qui venait vers moi était bien trop radieux pour être celui de la gueule de l’emploi. Il n’y avait pas de signe ostentatoire, mais quelque chose de mesuré dans sa façon de sauter sur les passants indiquait l’énergie des profondeurs obscures.
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— Ce sont des fascistes, a dit mon père.
— Vous êtes des fascistes ! J’ai dit par mon père à la fille.
— Non on est pas des fascistes, a répondu la fille sans s’offusquer, comme si elle s’attendait à cette remarque tout de même insultante quand on est pas fasciste, elle n’avait pas l’air de trouver ça bien grave et en effet il n’y avait pas de quoi fouetter personne. C’était simple et de bon sens, populaire et tout bête, ce qu’elle donnait à lire aux innocents passants : on est chez nous, c’est tout.
— Elle est médiatrice culturelle dans la hiérarchie du fascisme d’ici, c’est les pires, il faut les insulter. Mon père s’est retourné, il a crié : fascistes !
— Fascistes! j’ai répété après lui, moins fort, quand ils étaient trop loin.