noemi lefebvre (avatar)

noemi lefebvre

Abonné·e de Mediapart

170 Billets

0 Édition

Billet de blog 4 juin 2014

noemi lefebvre (avatar)

noemi lefebvre

Abonné·e de Mediapart

Est-ce que Mishima était un fasciste

noemi lefebvre (avatar)

noemi lefebvre

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Mishima c’était pas un fasciste, pas du tout, il a jamais été un fasciste, dire ça, qu’il était fasciste c’est une erreur sur Mishima. C’était dans le bus qu’il était question de Mishima, alors que défilait le boulevard, et d’abord c’est quoi le fascisme, ça veut dire quoi exactement, on dit n’importe quoi sur le fascisme, on mélange tout. Alors moi je n'avais pas envie de discuter dans le bus de ce que ça veut dire fascisme, sur la question du fascisme j’ai une idée mais exposer cette idée dans le bus était impossible, et argumenter sur Mishima et le fascisme ici comme on parlerait de n’importe quoi véritablement une absurdité, en réalité avoir une simple conversation sur Mishima et le fascisme sur le trajet banal m’apparaissait d’un coup complètement fasciste. J’avais cette impression que ce n’était pas d’abord Mishima qui était fasciste ou pas fasciste, mais cette conversation dans le bus sur Mishima et le fascisme qui avait des relents fascistes, je me demandais pourquoi, je me le disais, que certaines façons d’aborder le fascisme dans certaines circonstances étaient justement caractéristiques du fascisme, je ne savais pas pourquoi. Je n’aurais pas su dire ce qu’une conversation dans le bus sur le fascisme et Mishima pouvait avoir de fasciste mais cette conversation, alors que les gens pensaient à tout autre chose, était tout ce qui me semblait fasciste, je ne pouvais pas en parler mais rien dire n’était pas possible. Et d’abord je voudrais bien tout de même que tu m’expliques ce que tu entends par fasciste il a dit. Le nationalisme n’est pas nécessairement fasciste. Le culte du corps n’est pas nécessairement fasciste. Il était à regarder les clartés crues de l’air après la pluie. Puis il a dit que Mishima était japonais, qu’il était d’abord et avant tout japonais, d’une façon qu’on ne pouvait comprendre qu’en lisant Mishima et pas en ayant une idée toute faite sur Mishima, tu as lu Mishima, est-ce que tu as vraiment lu Mishima ? J’ai dit j’ai lu Patriotisme parce que tu m’as parlé de Patriotisme et que je suis tombée dessus à la librairie, et que j’avais vu le film. Alors, il a dit, est-ce que tu as vu, dans Patriotisme, dans le livre Patriotisme, comment Mishima associe la nature et le mouvement du sentiment le plus profond, une façon unique et japonaise, l’intérieur et les mouvements du temps, je veux dire du temps naturel et historique, inexorable et rempli de significations ? Oui ça j’ai vu. Les métaphores, tu as vu les métaphores ? J’ai dit bien sûr que j’ai vu les métaphores, difficile de ne pas les voir, et lui, parce que les métaphores de Mishima, elles font des paysages, pas des phrases sur le paysage, mais directement des paysages, qui frappent directement, pas du beau langage, des images élémentaires et en même temps des images nécessaires, ordre, tradition et paysage comme nature culturelle, le tout en même temps. Il faut voir comme les pensées et les actes sont toujours si incrustées dans la perfection d’une culture traditionnelle et d’une nature culturelle.

Il a cessé de parler, il devait faire repasser des images japonaises de cerisiers en fleurs et de jardins soignés, de poissons filant dans les courants, de grenouilles chantant et de lucioles allumées et de ruisseaux glissant sur les pierres parce qu’il a dit ensuite Mishima dit tout dans le bruit de l’eau sur les pierres, c’est bien autre chose que la contemplation occidentale, c’est une contemplation nécessaire et pas décorative, les métaphores de Mishima ne sont jamais décoratives, voilà pourquoi Mishima est un véritable génie de la métaphore. Qui a fait mieux que Mishima dans la métaphore comme nécessité ? qui a fait mieux ? 

J’ai dit que je n’avais pas lu assez Mishima puisque seulement lu Patriotisme et vu le film de Mishima Patriotisme qui finit par le Seppuku, et la musique de Wagner, mais que ça donnait déjà une idée. Que patriotisme en disait long, que l’esthétique littéraire c’est peut-être en rapport avec les idées politiques, et l’esthétique cinématographique aussi un choix politique, que la nouvelle Patriotisme et le film Patriotisme impliquent un choix, qu’on ne peut pas dire que l’esthétique et le fascisme sont sans rapport, je n’ai pas continué parce que ne voyais pas comment  expliquer dans le bus, et encore moins démontrer, que certains sujets et certaines beautés sont des univers qui rendent possibles des idées fascistes. Je lui ai dit Wagner comme musique du film Patriotisme, je ne suis pas certaine que ce soit un idée sans aucun rapport avec le fascisme. Et il a dit la musique de Wagner ça n’a rien à voir avec le fascisme, c’est l’usage qu’on en fait, et il a dit les mouvements fascistes au Japon il y en a eu, Mishima n’en a jamais fait partie. Tragédie ou pas, Wagner ou pas, esthétique ou pas il n’a jamais adhéré au fascisme. On peut tout de même être nationaliste sans être fasciste. Il a redit. J’ai dit d’accord, en fait tu es en train de me dire que choisir Wagner comme musique de film pour Patriotisme est fondamentalement a-politique, que choisir Wagner c’est purement esthétique, mais tu vois le purement esthétique c’est peut-être un truc du fascisme, mais lui ça n’a rien à voir, c’est une intelligence de l’histoire qu’il a, Mishima, la musique de Wagner correspond à l’ère Meiji, il a raison de choisir Wagner, avec Wagner nous sommes au début de l’ère Meiji, 1868, donc les influences occidentales, donc le gagaku aurait été outragé et même de mauvais goût, il n’a en tout cas pas choisi le premier degré, il a eu ce courage de choisir Wagner, il a parlé du courage de Mishima de choisir Wagner, moi je réponds oui le courage en effet une vertu samouraï. J’ai dit ça et me voilà à contribuer à cette discussion aux relents fascistes, tout ça dans le bus et la chaleur de Paris qui avait évaporé les dernières averses, j’en rajoute dans la conversation, comme si la conversation était un mode possible à propos du fascisme. Patriotisme est kitsch à hurler de rire, je dis. Je dis dans Patriotisme, ce qui pourrait sauver Mishima du fascisme, c’est le comique de son courage samouraï, le comique de ce courage décalé, le comique de sa tragédie ratée, la tragédie ratée vraiment comique. Patriotisme est décalé, Mishima est décalé, son coup d’état est décalé, son seppuku est décalé. Mishima vit dans ce monde décalé qu’il a fabriqué et auquel tout de même il serait mieux de ne pas croire. Je pense pour moi-même et sans le dire, le rire, l'autodérision, l’amusement de l'intelligence, c’est ce qui est le plus incompatible avec le fascisme. J’ai dit que j’allais lire Mishima, que j’avait ce projet de lire Mishima, de comprendre ce qu’il y avait réellement dans la tête de Mishima du début à la fin et dans les phrases de Mishima et les visions du monde, que tout ça était au programme. Je lui ai dit que ce qui m’intéressait n’’était pas de savoir si Mishima était fasciste mais cette question de comment Mishima avait pu être classé comme fasciste, plus précisément dans quelle mesure Mishima et le fascisme faisaient bon ménage. Que tout de même la quête incessante de la beauté virile était un aspect de Mishima qui n’allait pas contre le fascisme, et ses aspirations à l’ordre et tout ce truc avec l’armée et la hiérarchie et l’obéïssance et l’honneur, l’honneur tu l’as dit, il a dit, c’est une valeur qui n’a rien de fasciste mais tout de l’esprit samouraï qui est un esprit de chevalerie, alors moi je saisis la chevalerie pour dire que les nazis aussi ils adoraient la chevalerie et qu’ils n’auraient rien souhaité davantage que de se faire une Allemagne wagnérienne avec des châteaux et des chevaux et des filles blondes avec des nattes, des femmes soumises à leur mari et des mères autoritaires, et des types en armure ou en paysan qui se défient en tournois et en concours de chants, il a dit tu rigoles, c’est pas ça Mishima, il avait des valeurs oui bien sûr, il défendait certaines valeurs comme la loyauté l’honneur et un certain rapport à un certain Japon historique et féodal mais aussi quelque chose comme mourir de patriotisme, oui mais aussi une beauté du monde vu du Japon avec des lumières, des éléments, de l’eau, des fleurs de printemps et les reflets de lune sur le lac agité par la brise du soir, des images sonores et pas tout ce que tu dis sur le fascisme de Mishima, comme si la littérature pouvait se résoudre aux idées politiques.

C’est ce qu’il a dit. Ensuite il a dit les idées politiques de Mishima tu les carricatures, tu en fais une telle carricature que ça ne ressemble plus qu’à la morale ordinaire des gens bien pensants qui refusent de réfléchir à ce que ça veut dire, précisément, fascisme. Il y avait ce résidu de musiques transformées et craquements rythmiques échappés des écouteurs des voyageurs solitaires. Il a dit à une époque on traitait tout le monde de facho, je me souviens bien de cette époque, personne ne pouvait défendre une tradition sans qu’il soit un facho, dès que tu parlais des différences de culture et de race alors tu te faisais traiter de facho, il a dit tu parlais du monde tel qu’il est et tu te faisais traiter de facho il a dit, le terme c’était facho, pas fasciste mais facho, de Gaulle était un facho, les flics étaient des fachos, les bons élèves des fils et des filles de fachos, les propriétaires des fachos, les parents des fachos, les valeurs bourgeoises des valeurs fachos. Il a dit ce mot de facho a été le début du grand nettoyage de vocabulaire, de tout le vocabulaire et résultat on peut plus rien dire, il a dit si tu disais nègre en 1920 on ne te reprochait rien, si tu disais nègre en 1950 tu étais un raciste alors Blaise Cendrars il serait un raciste ? Boris Vian, il disait noir pour parler du jazz authentique, toi si tu dis noir aujourd’hui t’es un raciste alors Boris Vian serait un raciste ? il a dit ça. Homme de couleur on a essayé mais ça n’a pas bien marché, après ça a été black. Il a dit ça . Tout de même il y a des différences rien qu’à voir la gueule des gens, il a dit ça, et des différences entre les cultures et entre les civilisations, il a dit ça. Le Japon une civilisation, la Chine une civilisation, et les Incas et on a beau dire, il a dit, il y a des dégrés de développement.

Il en était là, aux degrés de développement quand le bus a ouvert ses portes et qu’on est descendus, les fenêtres brillaient de lumière matinale, les gens allaient à la vitesse de l’été, lente et incertaine, les rues traçaient leurs trajectoires, on entendait surtout le trafic et les oiseaux qui tissaient une atmosphère sonore. Sur le pont je me suis arrêtée pour regarder la Seine. Le vent faisait remonter l’odeur de l’eau, on entendait le carillon, les pompiers faisaient des exercices de sauvetage en faisant tourner un karaboudjan, les bateaux-mouches remplis de touristes offraient un Paris idéal. Qu’est-ce que tu veux faire ? il a demandé. 

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.