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Billet de blog 6 mai 2013

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Un dimanche à Bellecour

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Les familles étaient en nombre, c’étaient des familles nombreuses, des papas, des mamans et leurs enfants du dimanche, les filles en nattes et barettes et robes aux imprimés d’été, les garçons cheveux courts, polo et bermuda, les bébés en landeau que poussaient les fières femmes de leur mari qui avaient eu ces superbes enfants grâce à Dieu dans le respect de la nature du Seigneur tout puissant et de la Création du ciel et de la terre tout comme Adam et Eve, et pas comme les singes terrifiants qui copulent dans les forêts de pays primitifs où l’armée française intervient régulièrement pour mettre fin aux guerres claniques et sauvageries barbares et garantir la bonne marche du commerce des matières premières dans le respect de la civilisation.

Il faisait beau, les cheveux blonds sentaient la camomille, les enfants radieux et tournés vers l’avenir entraient en politique, tenaient les drapeaux, portaient les t-shirts, et reprenaient les slogans, comptines adaptées à leur petit cerveau plein de cases à remplir, un papa, une maman, quoi de mieux pour un enfant, la France est dans la rue, ah quel bonheur en familles rassemblées autour du Roi Soleil sur son cheval et quel bonheur d’agir et de dire le mot France et les mots papa et maman et enfant, tout ça ensemble, et pas le mot Peuple ni le mot homo et des mots encore pire.  

Un prêtre en soutane échangeait dans la paix du Christ avec des paroissiens sous la musique techno d’un siècle où la jeunesse sera porteuse de tant d’espoirs, grâce à ses vêtements classiques de marque et à toutes les certitudes sur l’ordre du monde contenues dans l’uniforme. Jeunesse, quels chants joyeux as-tu chanté en marchant sur les sentiers de notre beau pays, jeunesse aux dents saines et aux loisirs sportifs, jeunesse pleine d’ardeur, bientôt toi aussi tu seras un papa, une maman, tu auras des enfants qui deviendront à leur tour une belle jeunesse, tout comme toi, les filles innocentes et riant sous l’épaule de garçons sûrs et vainqueurs, bientôt, nous te marierons.

Côté République, une dizaine de jeunes vierges, au moins dans l’esprit, étaient regroupées sous un drapeau de la ville de Lyon et portaient des t-shirts annonçant à qui voulait le savoir que leur utérus n’était pas à louer, ces mots, utérus et louer, sont vraiment d’une incroyable modernité. Debout contre le muret, là où pisse la misère, celle qui tenait le drapeau regardait droit devant, Vorwätz, comme on dit en allemand, elle devait avoir vingt ans et les portait comme le plus bel âge. Des dames et des messieurs, des seniors, pas des vieux, faisaient parmi ces jeunes leur petite promenade. Les crânes rasés, tatoués et treillis, étaient là sans déranger, un peu à l’écart, entre eux, par groupes de cinq ou six, faciles à reconnaitre, les enfants jouaient à s’attrapper en leur tournant autour avec leurs petits drapeaux. Arrivait de Perrache la troupe de Bourg en Bresse et les retardataires du repas du dimanche. Bon ça suffit.

Je vais m’assoir sur un banc à côté d’un type. Je le reconnais, c’est le père Noël. Il vit dans ma rue entre la BNP et le bureau de tabac, sur la marche d’un magasin de fringues. Il dit toujours merci-merci quand on lui file une clope ou un café ou des euros, merci merci ça veut pas dire merci. Merci tout court c’est pour dire merci, mais merci-merci ça veut dire fais pas chier. Je l’aime bien de me dire comme ça fais pas chier.

Le père Noël s’arrête jamais place Bellecour parce qu’il n’y a rien sur cette place à part ce con de cheval avec son roi dessus. Il préfère la rue Victor Hugo, pas à cause des Misérables, mais à cause des magasins et de la violence sociale directe, sans chichi, l’apartheid en bonne et dûe forme se rachète certains jours par ses pièces en aumône.

C’est le spectacle, hein ! je dis au père Noël, parce que lui, un papa une maman vous voyez, ça fait longtemps qu’il s’en fout.

Le père Noël sourit presque jamais, il a de la fierté et il aime pas le social, mais là il a souri pour lui-même et il a dit “Musik”.

Après il en a eu assez, sans doute, de la musique, parce qu’il est parti avec son sac et sa vie dedans.

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