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Billet de blog 8 avril 2012

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Maurice Ravel contre le Front National

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Il paraît qu'au meeting de Marine Le Pen à Lyon, le 7 avril, on a pu entendre le Boléro de Maurice Ravel pendant que défilaient les images de la campagne de la candidate du FN sur des écrans géants. C'est une idée bizarre, de choisir cette musique pour illustrer toute cette haine organisée au nom de la Nation alors qu'elle dit tout le contraire. Le Boléro est certes l'œuvre d'un compositeur français mais il n'y a pas le moindre accent national ni nationaliste dans cette œuvre. Inspiré d'une danse espagnole et dédiée à Ida Rubinstein, célèbre ballerine russe d'origine juive, le Boléro n'a aucune sorte de rapport avec le Front National, il en est même la plus géniale antidote ! Il n'y a que la bêtise des organisateurs idéologiques pour ne pas comprendre que ce qu'ils croient utiliser pour leur propagande est tout ce ce que le FN ne peut évidemment pas entendre :

- La possibilité d'une société indépendante :

Pour mémoire, Maurice Ravel a fondé avec Florent Schmitt, Roger-Ducasse et Charles Koechlin une Société Musicale Indépendante (SMI) pour permettre que soient jouées les œuvres d'avant-garde que la Société Nationale, alors dirigée par le très catholique, très antiprotestant, très antisémite et antidreyfusard Vincent d'Indy, ne tenait pas à promouvoir. Après la mort d'Ernest Chausson en 1899, qui avait jusqu'alors veillé à un certain équilibre de la programmation entre les différents courants esthétiques, il devient en effet de plus en plus difficile de se faire entendre pour qui n'est pas issu de la Schola Cantorum, l'école de musique sacrée fondée en 1894 par Vincent d'Indy, Charles Bordes et Alexandre Guilmant. Comme l'explique le musicologue Michel Duchesneau,

"Les scholistes, élèves et disciples de Vincent d'Indy, occupent une position dominante au sein du comité de la SN et leurs oeuvres constituent une part importante de la programmation. Les concerts avec orchestre, concerts très appréciés du public, étaient particulièrement importants, car, ils permettaient à de jeunes compositeurs de présenter des oeuvres inédites que les grandes séries de concerts (Colonne, Lamoureux, Pasdeloup) ne se risquaient pas à programmer. Vers 1900, les concerts d'orchestre de la SN constituaient de véritables tremplins pour l'«art scholiste» dominé par les partitions de d'Indy, Bréville, Ropartz, Coindreau, Bret et plusieurs autres. Le refus du comité de faire jouer au concert d'orchestre de 1909 des oeuvres «debussystes» de Koechlin, Maurice Delage et Ralph Vaughan Williams, ces deux derniers élèves de Ravel, provoque la scission de la société"

-  L'internationalisme nécessaire à l'art, de l'imaginaire, de la connaissance et de la recherche :

 L'expression "la France aux Français" que diffusait déjà la Ligue nationale pour la défense de la musique française, Ravel l'a refusée. Tout patriote qu'il était, il a refusé le repli national et la subordination de la vie musicale à la propagande de guerre , et cela dans la logique même de l’ouverture esthétique de la SMI, contre la restauration d'un soi-disant classicisme musical participant à une tendance au retour à l'ordre qui touchait alors l'ensemble des arts

“Il m’importe peu que M.Schoenberg, par exemple, soit de nationalité autrichienne. Il n’en est pas moins un musicien de haute valeur, dont les recherches pleines d’intérêt ont eu une influence heureuse sur certains compositeurs alliés, et jusque chez nous"

écrit Maurice Ravel au comité de la Ligue nationale pour la défense de la musique français, le 7 juin 1916. (Maurice Ravel, Lettres, écrits, entretiens, Flammarion, 1989, p.570)

Selon Michel Duchesneau," il aura été de la responsabilité de Koechlin, aux côtés de Ravel, de défendre l’autonomie du champ musical en usant de Schoenberg comme symbole pour combattre le repli identitaire”.  

Esteban Buch souligne, dans son article intitulé « Les Allemands et les Boches » : la musique allemande à Paris pendant la Première Guerre mondiale, que "les réticences de Ravel et Koechlin à suivre les anti-modernistes dans leur exécration de l’avant-garde, fût-elle allemande, montrent non seulement que leur conception du nationalisme musical est politiquement moins dogmatique que celle de leurs collègues, mais surtout qu’ils ont compris que le champ de la musique moderne est, qu’on le veuille ou non, un espace international, dont Schoenberg constitue déjà un référent incontournable."

Cet espace international si nécessaire à la création, si évidemment présent dans le Boléro de Ravel, vient ainsi contredire en mode majeur une idéologie qu'elle est censée servir, mais qu'elle condamne dès la première note et de plus en plus fort, à chaque entrée de nouvel instrument !

Merci Ravel.

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