noemi lefebvre (avatar)

noemi lefebvre

Abonné·e de Mediapart

170 Billets

0 Édition

Billet de blog 9 juin 2015

noemi lefebvre (avatar)

noemi lefebvre

Abonné·e de Mediapart

Clarté confuse

- En attendant que l’Internationale soit le genre humain j’ai visité des sites qui disent où en est le monde et voilà que je tombe dessus. Regarde… - C’est ça le monde ?

noemi lefebvre (avatar)

noemi lefebvre

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

- En attendant que l’Internationale soit le genre humain j’ai visité des sites qui disent où en est le monde et voilà que je tombe dessus. Regarde… 

- C’est ça le monde ?

- Oui

- Tu veux dire en entier ? Que tout le monde est là ?

- Oui, tout le monde. Car ceux qui ne sont pas là, c’est qu’ils ne se sont personne et tu conviendras que quelqu’un qui n’est personne n’est pas quelqu’un et ne fait donc pas partie du monde

- C’est donc que tout le monde ne fait pas partie du monde ?

- Tu as bien compris

- Si c’est comme ça, alors ce monde n’est pas très beau, je trouve

- Pourtant tu conviendras que c’est du beau monde. C’est même précisément ce beau monde qu’on appelle le monde

- Je ne sais pas si nous pouvons dire que ce beau monde constitue le monde.

- Ainsi tu mets en cause le monde tel qu’il se représente ?

- C’est étrange, en effet, cette volonté de représentation. Ce n’est pas exactement la Schopenhauer attitude.

- Qu’entends-tu par là ?

- J’entends que c’est une inversion des termes

- Peux–tu m’en dire davantage ?

- D’après Schopenhauer, l’univers est ma représentation, alors qu’ici, le postulat serait plutôt le suivant : ma représentation est l’univers.

- Tu dis juste. Mais n’est-ce pas que ce monde, dont la réalité est douteuse, a du moins une surface ? Et que cette surface, qui nous le rend visible, est ce qui semble justifier qu’il soit ainsi qualifié de beau monde ?

- Vidamment. Car si la qualification de beau est le résultat d’un jugement de valeur, et si nous différencions, comme le fait Walter Benjamin à propos de l’œuvre d’art à l’époque de la reproduction mécanisée, la valeur d’authenticité et la valeur d’exposition comme deux modalités du jugement esthétique, il est certain que le jugement ne s’exerce pas ici sur ce qu’il appelle valeur d’authenticité, mais sur la seule valeur d’exposition.

- Mais là tu supposes que nous pouvons étendre à ce beau monde des concepts élaborés à propos de l’œuvre d’art

- En effet, car nous considérons ce qui fonde le jugement esthétique, lequel s’étend sur tout ce qui concerne le beau. Tu comprends ça ?

– Je le comprends. Mais j’aimerais beaucoup que tu poursuives ton propos, car je ne sais toujours pas ce qui te fait dire que ce beau monde n’est pas joli joli

- Lorsque nous qualifions cette bande de kékés de beau monde, nous considérons l’exposition comme seul fondement de la valeur. Il nous faut donc renoncer, comme dirait Baltasar Gracian, à l’homme substantiel pour l’homme d’ostentation

- Tu veux dire pour le type qui cherche à attirer l’attention sur sa personne en tant que trou du cul  ?

- Assurément, car l’ostentatoire est une manière d’être qui accorde au paraître la valeur de l’être, et par là-même, déforme la singularité en la séparant de l’ipséïté, autrement dit détourne l’authentique en le détachant de l’identité substantielle, et prive ainsi le monde de l’immanence qui fait sa valeur hic et nunc

- Il est donc évident que ce beau monde n’est pas très substantiel

- Ouais, ce monde manque de hic tout autant que de nunc

- C’est clair.

- Et pour se désigner sans crainte d’être contredit, il privilégie les signes mêmes de son inconsistance.

– Carrément. Il suffit qu’il se reproduise en image sur le web pour paraître être sans avoir de substance.Or ne penses-tu pas qu’il nous faut préférer le solide de la substance au vide de l’ostentation ?

– C’est la base.

- Néanmoins, reconnaissons que ce primat substantiel ne peut nous apparaître que parce qu’il paraît, et que l’être sans paraître ne serait pas ce qu’il est.

- Sans doute.

- Même si ce qu’il paraît n’est pas exactement ce qu’il est. You feel me ?

- C’est le fameux truc de ne pas se fier aux apparences ?

– Assurément. Et cela pose le problème suivant : le beau peut-il être limité à l’ostentatoire sans être dégradé de quelque manière ?

- Il ne le pourrait certes pas, si nous acceptions cette conception du beau associée au bon et au vrai, telle que Diderot la présente, s’amusant de cette formule profonde, le vrai, qui est le père, qui engendre le bon qui est le fils, d’où procède le beau qui est le saint-esprit

- Diderot sait nous amuser

- Carrément

- Est-ce qu’il ne serait pas le précurseur de cette philosophie de l’amusement à laquelle tu réfléchis ?

- Certainement, certainement. Mais examinons, si tu le veux bien, la question du beau qui procède du bon engendré par le vrai. Je me dis que ce beau monde, non seulement n’est pas joli joli, mais n’a rien à voir avec le monde ainsi qu’il est vraiment.

- Je te répondrai pourtant que c’est un vrai monde.

- Ça je l’entends bien, mais ce vrai monde est-il en rapport avec le monde, en vrai ?

- Ça dépend de ce que signifie le monde. Si c’est tout l’ensemble constitué des êtres et des choses, ou si c’est l’ensemble de tout ce qui existe sur terre, perçu par l'homme et le plus souvent en opposition avec lui, alors c’est sans rapport

- Ce que je me demande, c’est pourquoi ce monde veut bien être pris en photo à des soirées de trous du cul

- Qu’entends–tu exactement par soirées de trous du cul ?

– Je dois t’avouer ici que je ne peux pas te le dire, car aucune explication ne saurait te faire percevoir cette notion.

- Ah bon pourquoi ?

- Il faut, pour comprendre le concept, faire appel à l’expérience sensible

-  Pas de langage qui vienne à bout de la perception pure ?

- Aucun langage en effet, comme le dit Leibniz dans ses Méditations sur la connaissance, la vérité et les idées ; il existe une connaissance à la fois claire, si j’ai par elle la possibilité de reconnaître l’objet qu’elle représente, et confuse, quand je ne peux énumérer séparément un nombre de caractères suffisants pour distinguer l’objet des autres objets. Verstehst ?

- Tu veux dire que la seule façon d’accéder à la connaissance du monde, c’est de regarder les photos de ces soirées de trous du cul ?

- Ouais

- Bon mais Leibniz dit aussi, dans ses Méditations, qu’il n’y a point de confusion qu’en apparence, à peu près comme il en paraîtrait dans un étang à une distance dans laquelle on verrait un mouvement confus et grouillement, pour ainsi dire, de poissons dans l’étang, sans discerner les poissons mêmes.

-  C’est vrai qu’on ne discerne pas très bien les poissons.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.