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Billet de blog 13 avril 2013

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Place Bellecour en avril

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Sur un banc de la place Bellecour, les maîtres du monde travaillaient à le maintenir tel qu’il est, regardaient leurs enfants s’amuser tout en parlant entre eux des voyages et des moyens d’obtenir les bons prix pour Tahiti, parlaient du problème de l’avion taxi entre Papeete et les Marquises mais c’était si beau vu du ciel, des côtes ciselées des Marquises aux atolls des Tuamotus, en passant par le lagon de Bora Bora, les vols inter îles offrent des panoramas époustoufflants sur la Polynésie, j’ai un ami qui vit aux Marquises depuis plus de dix ans, disait un maître du monde, il est très sympa si tu veux je te donnerai ses coordonnées, l’autre maître du monde ne répondait pas, il avait entendu mais il ne faut jamais montrer qu’on a besoin de quelqu’un aux Marquises, tout maître du monde le sait, qu’un maître du monde n’a besoin de personne aux Marquises, mais le maître du monde des Marquises n’avait pas pu s’empêcher de proposer les services de quelqu’un aux Marquises car il voulait montrer qu’il fait partie de ces maîtres du monde qui, naturellement, connaissent quelqu’un aux Marquises, connaître quelqu’un aux Marquises donne un je ne sais quoi de simple et d’ouvert et d’égal à égal entre maîtres du monde.

Il faut dire que celui qui avait cette adresse au Marquises était une jeune femme dont les enfants sont vraiment adorables, une fille de dix ans, un garçon de sept ans et demi avec des prénoms rares qui contribuent à leur valeur sociale, tandis que le maître du monde qui n’a besoin de personne aux Marquises, lui, est marié avec une vierge maternelle très douce  qui l’entoure de bienveillance même quand elle n’est pas là, ils ont eu trois enfants, des jumeaux figurez-vous, fille et garçon de presque onze ans et un petit con de sept ans, adorable. Ils n’en veulent pas d’autre car ils peuvent enfin faire des randonnées à vélo et du ski en famille, l’épouse du maître du monde allait d’ailleurs partir la semaine prochaine avec les enfants au chalet profiter des dernières neiges, le maître du monde les rejoindrait sur les sommets quand il aurait fermé sa boutique, enfin c’est façon de parler, ce n’est pas une boutique et il ne ferme jamais, ils sont heureux.

Les vacances de printemps sont vraiment les plus belles, annonçait poétiquement le maître du monde qui connaît quelqu’un aux Marquises, qui est divorcée et qui s’est installée avec son nouvel ami dans le sixième arrondissement où il fait bon vivre, oui c’est sympa, l’appartement est agréable, les maîtres du monde sont capables de comprendre entre eux que la société a changé, nous savons que les maîtres du monde ne pourraient pas le rester sans accepter une certaine évolution des mœurs, ainsi les maîtres du monde ont-ils pu accepter et même aimer l’art moderne, ils ont même eu une phase Kurt Cobain. De quoi parlaient-ils encore,  ah oui, des activités des petits maîtres du monde qui étaient en train de jouer au tourniquet, bien sûr ils font du sport surtout le garçon, du hockey, il y a le catéchisme, le garçon a arrêté cette année mais la fille de bientot onze ans prépare sa communion, elle a une croix en or au poignet droit et une médaille pendue au cou, ses cheveux sont attachés avec deux barettes et un élastique, elle a une chemise rose avec une petite broderie représentant un cheval et sur le cheval une silhouette de joueur de polo, c’est la chemise de sa maman, car la jeune future épouse d’un maître du monde va bientôt chausser du quarante, figurez-vous, elle s’appelle quelque chose-Marie.

Mais elle était obligée d’accepter dans son cercle une sauterelle de son âge à l’air sans dieu ni maître. Parce que la sauterelle était venue avec l’enfant de la maître du monde divorcée qui connaît quelqu’un aux Marquises et qui voulait bien parler à la sauterelle, en tant que fille de divorcés, donc un peu plus souple. Cette enfant de divorcés ayant droit au cercle de la petite maître du monde, puisque les parents se parlaient, il était impossible de fermer le cercle à la sauterelle sans dieu ni maître. 

Comme il faisait chaud, ces merdeux avaient demandé à aller se mouiller un peu, juste les mains, au bassin, mais le maître du monde qui avait prévu d’aller une dernière fois au ski la semaine prochaine et qui n’a pas besoin de quelqu’un aux Marquises n’avait pas autorisé, le bassin est juste derrière les jeux, du côté où les femmes musulmanes sont assises, les enfants des femmes musulmanes ont le droit d’aller mouiller leurs mains au bassin, les femmes musulmanes ont apporté des goûters et elles bougent leurs poussettes avec le pied pour que les bébés soient dans le mouvement de la vie. Les maîtres du monde ont vu les femmes musulmanes qui se reconnaissent avec leurs signes ostentatoires mais ils n’ont aucun rapport avec ces femmes musulmanes parce que les femmes musulmanes n’existent pas, elles sont là mais elles n’existent pas, ce qui existe est décidé par les maîtres du monde qui n’ont évidemment pas l’intention de laisser les femmes musulmanes exister, ce n’est pas seulement à cause de leur allure de femmes musulmanes, mais simplement parce qu’à un certain niveau de maîtrise du monde, tout ce qui n’a pas d’intérêt disparaît à volonté, donc évidemment les femmes musulmanes. Les futurs maîtres du monde ont déjà appris à ne pas voir les enfants des femmes musulmanes, ils ne voient pas ces enfants qui n’appartiennent pas à la catégorie des futurs maîtres du monde.

Les enfants invisibles des femmes musulmanes jouaient à faire flotter des petits morceaux de bois.

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