Les enfants, comme vous le savez, les temps sont difficiles. Il y a des problèmes, de plus en plus de problèmes, des problèmes économiques et des problèmes politiques, des problèmes sociaux et des problèmes psychologiques, il y a tant de problèmes les enfants que nous ne pouvons plus rien y faire, que nous ne pouvons plus nous en sortir, que nous sommes désespérés, que nous n’avons plus de solution, que nous sommes au bout du rouleau alors avant que ça tourne mal, votre père et moi avons résolu de ne pas vous garder. C’est une litote, bien sûr, une jolie manière de dire, à l’ancienne, nous avons réfléchi sur la manière de présenter les choses, votre père et moi avons quelques notions de psychologie et une certaine expérience des enfants, aussi savons-nous choisir les tournures adaptées à vos petites intelligences pleines de sensibilité, nous pouvons choisir cette manière de dire car nous avons du vocabulaire et de la grammaire, la connaissance du français et de ses utiles nuances, oui, je le dis et redis, les enfants, c'est une chance de ne pas être incultes, la culture aide à traverser les temps difficiles, songez à la pauvreté culturelle des pauvres, si c’est pas ça la vraie misère, vous vous n’êtes pas pauvres, les enfants, car votre père et moi, dès votre plus jeune âge, vous donnâmes l’amour de la culture. Si cette vie n’est qu’une suite de malheurs, du moins avons-nous toujours le choix de l’expression adaptée aux circonstances, ainsi pouvons-nous aujourd’hui choisir l’univers des contes pour nous soutenir en ces temps, donc, comme je l’ai dit, difficiles, cet univers des contes permet aux enfants de surmonter toutes sortes de situations, l’imagination rend leur vie plus facile, leurs aventures plus merveilleuses, tout devient soudain plus extraordinaire, la terrible réalité de la vie prend un tour de fantaisie et de charme, bref, pour le dire dans le langage du XVIIe siècle ou quelque chose comme ça, votre père et moi sommes résolus de vous mener perdre au bois, c’est joli, les enfants, c’est de l’ancien français, alors voilà, nous allons ramasser des brindilles et puis, pendant que vous serez occupés à fagotter, c’est l’expression, votre père et moi, nous nous éloignerons discrètement par un sentier détourné, et nous vous abondonnerons, tout simplement, dans la forêt, d’accord ? Allez faut pas traîner. Prenez les pulls, les bottes, n’oubliez pas les écharpes et les gants, là c’est encore l’été mais après il fera froid froid froid, il faut prévoir, mes petits, vous devez dès à présent penser aux frimas, comme les écureuils, dès à présent ils commencent les réserves, il faut prévoir pour épargner, et pas de gaspillage, voilà du pain, un gros bout chacun, prenez mes chéris, gardez bien le pain, c’est pas pour les oiseaux, toi aussi bébé, il faudra le manger lentement, pas d’un coup, attention à pas s’étouffer, fais des petites miettes, pour faire durer et puis après hein, vous allez vous débrouiller, vous êtes des enfants bien portants et intelligents, vous vous débrouillerez, oh si vous saviez combien ça nous fend l’âme, surtout moi, mes petits amours, de vous laisser ainsi vous démerder tout seuls. Cependant nous avons longtemps réfléchi, moult pensé à la situation, at the situation comme on dit en anglais, dans notre lit nous réfléchissâmes, débatîmes, envisageâmes et finalement conclûmes, ah que de tourments nous tourmentèrent, avions-nous bien pesé le pour et le contre, les avantages et les inconvénients, énuméré l’ensemble des alternatives, ainsi nous demandâmes-nous et pourquoi pas la mer, nous nous souvinmes d’Ulysse qui fit un long voyage et qu’il lui arriva de bien belles aventures, et du petit navire qui n’avait jaja jamais navigué, de la courte paille, mais le sort, vous le savez, tomba sur le plus jeune et notre bébé qui ne sait pas encore nager, hein bébé, il faut tout de même te donner une chance, à toi aussi bébé même si tu es délicat et que tu ne dis mot, que tu es en quelque sorte un pauvre petit, tu as toi aussi droit à ta chance et comme disent les psychologues, pour bien grandir il faut un environnement favorable, si pas la mer il y a la montagne, nous y avons pensé, le grand air, des sapins, un beau chalet, le vin chaud, la luge et les tartiflettes mais notre bébé est trop petit pour le ski et quand on imagine ses petits pieds glacés, ses petites mains toutes froides et que feriez vous à trois-mille mètres au milieu d’une tempête de neige, et ce brouillard, sur les étendues infinies de blanc, au-dessus desquelles croassent de vieilles corneilles, noires, affamées, tout de même, nous ne sommes pas des vaches votre père et moi, c’est pourquoi la forêt. La forêt est pleine de mystère et en même temps c’est pratique, il y a toujours quelque chose à manger dans une forêt, des baies, des chataîgnes, des petites bêtes, des écorces, du bois pour faire du feu, d’ailleurs voici des allumettes, ne les gaspillez pas, on ne joue pas avec les allumettes, c’est pour se chauffer et pour allumer les barbecue, les laissez pas à portée des plus jeunes, hein mon poucet, tu touches pas aux allumettes, promets à maman. C’est bien, poucet, viens que je te fasse un gros bisou mon chou, oh combien tu vas me manquer, tout frêle et couillon sois-tu, tu es tout de même un petit enfant, les enfants manquent à leurs parents, y a rien à faire c’est la loi de la nature, quand nous entendons brâmer, hurler, beugler, ce sont leurs petits que les animaux pleurent, il paraît qu’en Afrique, on a vu des lionnes tourner en folie de ne plus trouver l’un de leurs lionceaux, les parents sont humains, ils aiment leurs enfants, vous allez tous nous manquer beaucoup, vous nous manquerez, à votre père autant qu’à votre mère, même si votre père n’est pas démonstratif, il est parfois un peu bourru, il est bûcheron, mais il n’est pas indifférent à votre sort, c’est une litote. Pour dormir, un conseil, gardez vos manteaux et vos chaussettes, en vous serrant bien les uns contre les autres ça fera comme une couverture chauffante, ainsi par grand froid parvient-on à survivre, les grands réchauffent les petits, le bébé vous le coincez bien au milieu, ça se refroidit plus vite un bébé, mais attention, il est si petit, faudra pas l’étouffer. La toilette c’est dans la rivière, il doit bien y en avoir une quelque part, et sinon sous la pluie, frottez-vous bien, n’oubliez pas le cou et les oreilles, voilà un savon parce que ça pousse pas dans la forêt, le savon, hein, alors je vous en donne un, servez-vous en, je ne serai pas derrière vous pour vérifier, il faut être propre, c’est la dignité vous comprenez, on ne peut pas se présenter tout sale dans la vie, même les animaux se lavent, il faut bien se laver et se coiffer aussi, voici un peigne pour bien vous coiffer, les enfants qui ne se coiffent pas on voit bien d’où ils sortent et qu’ils n’iront pas loin, si vous voulez aller loin il faut vous coiffer, et prenez vos brosses à dents, il faudra montrer au bébé, pour les dents, quand il en aura, qu’il prenne de bonnes habitudes, les dents c’est ce qui fait le sourire, et le sourire c’est ce qui fait le bonheur, gardez toujours le sourire les enfants, en toute circonstance, c’est votre carte de visite, ce sourire. Je pense que j’ai tout dit, manger, dormir, se laver voilà pour l’essentiel, après il y a l’éducation, votre père et moi y avons pensé, nous avons pensé que vous pourriez appliquer la pédagogie de l’école de la vie, une excellente école, à laquelle beaucoup de parents renoncent par crainte de la liberté et du bonheur naturel d'apprendre librement, par l'expérimentation et l'observation de la nature, la liberté est dans la nature, la nature est une bonne mère, elle éduque bien mieux que la société corrompue et remplie de vice et de méchanceté. En route mes chers petits, l’aventure vous attend, une grande aventure forestière, une vie libre et pleine de surprises, la vie de la jeunesse au plein air, avec ses chansons, ses rires et ses veillées poétiques sous la nuit étoilée !
Billet de blog 13 juin 2013
L'école de la vie
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