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Billet de blog 15 juin 2023

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Suite en sol et suivantes

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

La seule chose que je sais, c’est que le jour ne tombe pas, a dit le littérateur.

Le petit avait la tête sur l’épaule gauche, les jambes repliées, la mâchoire serrée et ses yeux au mur. On part, allez on y va, laisse-le, dis-lui au-revoir, le père a parlé à sa femme, une résistante à vaincre, dis-lui à bientôt ou adieu enfin tout ce qui te passe par la tête on s’en fout il entend rien et le père a enfilé sa veste et il a tiré la mère par la manche, il pouvait à tout moment la plaquer contre un mur et lui bander les yeux ou la frapper derrière la nuque ou lui pincer la joue la piétiner l’insulter cracher à sa face ou lui serrer le poignet ou lui tirer l’oreille, tout ce qu’il pouvait lui faire, elle avait l'habitude, la crainte était sa loi, elle s’est levée et elle a suivi le père ce mari, l'a suivi sans dire adieu à son petit, est partie main vide et bouche fermée, le silence de la mère n'est pas à respecter. Il demanderait une révolution mais on n'avait pas le temps. Lui, le père, on l’entendait encore cracher sa colère au bout du couloir, maintenant c’était contre le personnel, la lenteur de l'agonie bon dieu c'était scandaleux de faire venir sans cesse un père, quand allaient-il arrêter d'annoncer pour rien la mort du petit qui coûtait cher en essence et sans compter l'autoroute, il expliquait ça toutes portes ouvertes, que les autres en fin de vie l'entendent bien et crèvent tous.  

Le petit ne dormait pas. Le littérateur a remonté le drap. Ça ira petit. Le jour n'est pas encore tombé, c'est l’été, tu veux boire ? Le petit ne dit pas oui ni non. Dans la paille le raisin ne monte pas vite mais monte, aspire petit, allez. Parce qu’il fait chaud, pas pour la saison mais pour la lattitude. Sur le parking en bas, tu veux que je te dise, quelqu’un a ouvert un parapluie comme une ombrelle, c’est l’évolution du temps qui fait celle des mœurs. Hier la fontaine des trois ordres était un lavabo, aujourd’hui c’est un parapluie qui fait l'ombre. Le personnel est passé, le petit a dormi, il a parlé, il a bien mangé à midi la purée de brocoli et le poisson, c’était du merlan, n’a pas beaucoup bu, elle s'amuse, vous buvez mieux avec vos amis, c’est normal, boire tout seul n’est pas bien boire. Je vais baisser le barreau du lit, puisque vous êtes là, quand il est seul il peut tomber, alors à tout à l’heure je repasse pour les médicaments.

Le vélomane revenait des sommets, il était en tenue. Tu arrives pour le goûter my friend, le littérateur était content, ils allaient parler foot. J’ai grimpé, j’ai descendu, j’ai fait mes quatre-vingt kilomètres. Comment ça va mon ami ? On va manger un peu, j’ai apporté des fraises, allez goûte voir si c’est aussi bon que beau. Il faut le remonter un peu, une-deux-trois, tu peux lui redresser un peu la tête ? Sa joue est creuse et l’épaule dure, ça penche mais moins. Ouvre et goûte-moi ça. Elles viennent du marché tu m’en diras des nouvelles. Le petit ne disait pas de nouvelles mais il mangeait, tandis que je portais sa tête qui retombait souvent, il tient bien sa tête certains jours, pas aujourd’hui, a dit le littérateur. Je n’avais pas porté de tête depuis les nouveaux nés, le poids d’une tête de bébé c’est déjà assez lourd, celle du petit pesait son poids d’homme, ce qu’on dit du cheval mort. Voilà les comprimés, c’était encore le personnel. Vous pouvez les écraser dans la cuiller et mélanger aux fraises. Le vélomane a écrasé, il racontait l’altitude, les cascades et les sapins si frais. Le petit avait les yeux sur les consignes d’évacuation, on aurait dit que l’hôpital allait flamber.

Le jour est tombé le lendemain. Le littérateur et le vélomane étaient assis près de la fenêtre. Ils parlaient à côté du petit mort, la tête avait été redressée autant que possible et le drap remontait jusqu’aux épaules, la jambe était bien droite à côté de l’autre.

Il vient demain, a dit le littérateur, il parlait du père, on a un peu de temps. Il fallait s’occuper de tout, le vélomane avait des idées de résurrection et le littérateur pensait aux suites pour violoncelle. On s’en chargera pour ne pas le laisser faire, il parlait du père. Il faut dire que le petit avait commencé un jour à appeler le littérateur Papa, bonjour Papa, alors Papa, comment ça va Papa, il disait toujours Papa au littérateur, tandis qu'il n'appelait jamais son père ni Papa ni rien. Voilà comment on choisit sa famille.

J’ai dit au littérateur que pour les suites, je connaissais un violoncelliste. C'est un musicien, pas seulement un violoncelliste, j'ai dit sans expliquer mais on ne peut pas tout le temps tout expliquer. Non seulement un musicien mais aussi mon frère, sans rien expliquer.

J’ai quitté l’hôpital, j’ai appelé mon frère. Il a dit d’accord. Il n'a pas seulement dit d'accord, il a dit évidemment, et pas seulement évidemment, mais aussi avec plaisir et il a joué à l'enterrement. Sans connaître le petit, a joué comme un frère. Voilà comment on choisit sa famille.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.