Voici le texte commun, écrit à nombreux, avec l'atelier de l'image dehors, au 3bis F, lieu d’arts contemporains situé dans les murs de l’hôpital psychiatrique Montperrin à Aix-en-Provence, le 14 juillet dernier, du matin jusqu'à tard. Un manifeste sans pouvoir à vouloir.
L’apatride est derrière la fenêtre allumée, n’est pas autour de la table, vient de marcher très longtemps, a soif de ce jus qui coule des lèvres de la femme, n’a pas de place, ne peut pas s’asseoir là, ne sait pas où est sa place, ne veut pas faire semblant.
L’apatride est un homme généralement de petite taille avec des yeux globuleux, n’est pas un homme qu’on oublie facilement, vient de tourner à gauche derrière un platane, a une façon de tendre le bras à droite pour tourner à gauche très singulière, a aussi un sens incroyable pour se déplacer la nuit les yeux fermés, n’a pas son pareil pour garder la bouche fermée quand il parle, n’a plus de dents depuis bien des générations, ne sait pas compter sur ses doigts, ne veut pas pour autant compter sur ses pieds, il dit : la vie n’est pas toujours rose surtout lorsque les fous gèrent le monde.
J’ai connu l’apatride, il était beau et sauvage. L’apatride est seul, l’apatride n’est pas libre, vient de quelque part sûrement, a un besoin de reconnaissance, a aussi une terre quelque part, n’a pas de racines, n’a plus d’espoir et de vitalité, ne peut pas construire, peut rêver, danser et chanter, ne sait pas pourquoi il est là où il est, ne veut pas se résigner à l’errance, dit qu’il est la lutte.
L’apatride vient de nulle part, de tout et n’importe quoi a ce goût de liberté sans limite et sans patrie, a aussi un grand cœur comme il a un grand sens du voyage, n’a pas de vrai chez lui, n’a plus d’endroit où il s’accroche, ne sait pas aimer sa patrie, ne veut pas de limites, dit et se proclame fier de son profil d’apatride.
J’ai connu l’apatride, l’apatride est ce bel homme libre et polyglote, l’apatride n’est pas mesquin, vient de très loin et circule beaucoup , a une guitare enchanteresse et une voix envoûtante, a aussi un grand sac à roulettes, n’a pas de lunettes déformantes, n’a pas de carnet de vaccination ni de couverture sociale, ne peut pas voter.
L ‘apatride est un citoyen, n’est pas un errant, vient de la planète terre, a le sentiment de son identité terrestre, a aussi une souffrance de son absence de passeport, n’a pas de titre de séjour, n’a plus de racines nationales, ne peut pas résider dans certains pays, ne veut pas retourner dans son pays de naissance. L’apatride dit : je suis citoyen de la terre.
L’apatride est léger dans ses mouvements. N’est pas sûr de lui, vient d’une île que peu savent situer sur une carte
L'apatride a les yeux verts.
A aussi une phalange en moins à l’index gauche
N’a pas de manteau ni de chaussettes, n’a plus de ressources, ne peut pas traverser le pont vers la ville, peut seulement regarder l’eau depuis la berge, ne sait pas la légende de ce pays, ne veut pas retourner en arrière, dit dans sa langue ils ne m’arrêteront pas.
L’apatride est un fils maudit, un père maudit, n’est pas un individu méchant, vient de sa terre, partout, a beaucoup d’énergie et d’aveuglement, a aussi une vie rude, n’a pas beaucoup de recul, n’a plus d’espoir, ne peut pas sortir de l’histoire, peut se lover en chacun des autres êtres humains, ne peut pas changer de route, ne peut pas être inactif, l’apatride dit : je suis.
L’apatride est en porte à faux. Il n’est pas une identité, vient de tout près, a une géométrie variable, a aussi une distinction, n’a pas d’amis, n’a plus de souffle, ne peut pas s’isoler, ne sait pas parler, ne veut pas périr. L’apatride dit : Bonjour.
L’apatride est une femme, n’est pas regardée, vient de nulle part qu’elle puisse dire, a plein d’histoires dans son histoire, a aussi des yeux plus perçants que les miens, n’a pas se sourire moqueur, n’a plus de famille où se réfugier, ne peut pas circuler tranquillement, peut partager ce qu’elle est, elle ne sait pas à qui faire confiance, ne veut pas s’attacher à un pays, à un mari, l’apatride dit : Où suis-je arrivée ? où puis-je encore aller ?
L’apatride est quelqu’un sans bord, sans fard. N’est pas un clochard, vient de nulle part, a des centaines, voire des milliers d’années, a aussi beaucoup de goût, n’a pas d’enfants, n’a plus de liens, ne peut pas rêver, peut danser, ne sait pas où se poser pour réflechir, ne veut pas rester à la même place. L’apatride dit : Bienvenue.
Merci les amis