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Billet de blog 22 juin 2013

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Quelqu’un pour faire le chien

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Tu as vécu longtemps chez des parents. Comme c’étaient des parents tu les appelais Maman et quelquefois Papa, ça leur faisait plaisir, à toi aussi dans une certaine mesure. Avec le père vous étiez une sorte de milieu. Le milieu était un début de famille mais pour la famille il y avait des manquements, ta mère manquait à ses devoirs, elle était sans milieu, extérieure au milieu elle ignorait la loi, mangeait avec ses doigts, avec ses doigts elle faisait des ouvrages, des œuvres de bonne femme, des erreurs, à tort et à travers, se mettait en faute, était incompétente, c’est qu’elle était conçue pour la violence du père, ainsi concevait-elle aussi dans la violence, c’est là qu’est née ta sœur.


Ta sœur, au début, était nue, jetée comme un ver sur ton lit elle buvait, dormait, faisait des bruits, braillait des paroles de plus en plus humaines. Elle buvait et dormait dans ton lit, en début d’humain faisait des bruits, parlait dans les autres, parlait sans ciel, n’avait pas de voûte ni d’étoiles, pas d’harmonie concentrique, n’était rien que terrestre et même pas sociale, après, plus tard, à l’âge de se taire elle a eu René Char. Elle avait collé sa photo sur le mur de la chambre, sur le mur il y avait cette gueule de René Char, c’était lui, maintenant tu t’en rends compte, tu te rends compte de tout maintenant, cette belle gueule de malfrat, ses yeux durs, sa figure sorgue, ses cheveux rangés, ses belles oreilles, son nez digne. Ta sœur appelait René Char son frère, c’était pour t’ignorer, ce type n’aurait pas pu être un frère ni une sœur ni un enfant de ta sœur, parce qu’il est né en 1907. Et même sans parler de la naissance, tu sais que René Char n’aurait pas supporté d’avoir ta sœur comme sœur. Il se serait senti instrumentalisé, je veux dire utilisé à des fins personnelles. Pour ta sœur il était un moyen à des fins personnelles. Ta sœur avait René Char en personne, tu le comprends maintenant, elle n’aurait pas pu tenir sans lui, comme toi, en enfant des parents, pourtant les parents étaient de bons parents, d’un certain point de vue, par exemple ils n’étaient pas du genre à te frapper ou à frapper ta sœur, non non, eux ils se frappaient entre eux, de mots, pas plus, les mots suffisaient à leur bonheur, leur bonheur se contentait de ces mots en coups bas, frappant bas, en effet, ta sœur le disait, disait chez eux c’est bas, les mots, ça frappe au-dessous de la ceinture, la ceinture était le niveau de la mère, le niveau du père montrait parfois au cou, sans serrer, pour dire qu’il pouvait, c’est vrai qu’il pouvait, pourtant suivant les heures il savait être aimable, sinon il y avait des raisons, les raisons étaient simples, c’était la loi comme on dit dans le milieu, le milieu que tu formais, avec ton père, à deux, parfois, quand ta mère se roulait dans son œuvre, quand ta sœur se suspendait à ce malfrat de René Char, se suspendre et se rouler, quoi de mieux pour tenir sous le pouvoir, tenir c’est la petite résistance des victimes, toi tu préférais y aller, tu t’en rends compte maintenant, tu préférais faire alliance, tu étais l’allié, tu partageais le pouvoir dans le milieu du père, en faisant partie tu sortais des victimes, tu te distinguais, tu étais l’associé.

Tu regardais le père frapper le chien du pied. C’est vrai que le père en avait souvent après le chien, on peut comprendre, maintenant tu comprends. Ta sœur avait ce malfrat de poète, toi tu avais la protection du milieu, le père avait le chien, enroulée la mère voyait ce chien, ne faisait rien pour le chien, personne ne faisait rien, il est mort attaché à la chaîne, couché longtemps sous la pluie dans sa merde.

A la mort du chien il y a eu du changement. Il suffit d’une mort, parfois même un animal, une mort ça déclenche. Elle déclencha le père, il passait la nuit à réfléchir au sens de la mort du chien ou à autre chose, ou à presque rien mais pas à la mère. La mère, la pauvre, s’en voulait, se battait toute seule, sans aide se battait, se foutait des torgnoles, se démontait les phalanges, se trouait la peau, il faut dire et redire la tendresse de la mère, sa peau de mère, il suffit à la mère d’un rien une petite blessure et ça devient à faire peur, un sacrifice humain, la mère se sentait dans le sang alors elle est partie.

Après le chien mort, c’est normal, c’est la mère qui est partie. Le père t’avait encore, tu étais le prochain car le plus proche après le chien, le père c’était toujours d’abord le plus proche qu’il aimait comme soi-même, il y aurait eu la mère mais elle était partie et il y avait la loi, il fallait quelqu’un pour faire le chien. Et ta sœur, tandis que tu te demandais comment faire, comment faire, pendant que tu t’affolais, pauvre animal, pauvre petit, ta sœur t’a dit ça. Elle a dit René Char. C'est une vieille bête. Il servira de chien. La poésie peut prendre des coups de pieds dans les côtes. 

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