Je vois que tu es mort sur internet aussi, un site spécialisé dans le rachat de nos manques en tout genres à l'égard des vivants me propose des "bouquets de deuil", d'abord le "Memento" qui fait post-it ou agenda, non, le stress obligatoire n'est pas ton genre de repos éternel, ou le "Clarté", ça pourrait correspondre, je me souviens de la revue Clarté dirigée par Henri Barbusse, écrivain et communiste dont tu parlais déjà dans ta thèse, tu disais du bien de son roman de guerre, le feu, prix Goncourt, oui, mais que n'aima pas Norton Cru, l'auteur de Témoins qui traquait le vrai de la grande guerre dans cette littérature d'un genre nouveau. Dommage, le bouquet est moche, trop blanc, trop pâle, comme si la clarté était une vertu sans consistance, alors le bouquet "Mémoire" peut-être ? ah la la, si seulement la mémoire n'était pas devenue une histoire nationale, on serait presque pour, mais toi et moi on a préféré la mémoire qui flanche de Jules et Jim chantée par Jeanne Moreau, avec la couleur des yeux peut-être vert de gris, et puis tu sais que je t'oublierai, tu me l'as dit, tu le savais, tu as dit mille fois ne m'oublie pas et je t'oubliais quand-même. Alors je ne vais pas te mentir pour te prouver le contraire. Il y a les fleurs en pot "Sagesse", alors là pour nous c'est mort ! Jamais sages, même quand on le voudrait. Ça finit toujours par déconner quelque part, même avec l'âge tu n'as pas gagné en sagesse, la sagesse est un style, on l'a ou on l'a pas. Il y a sinon, une composition florale "Orpiment", j'avoue ne pas savoir ce que c'est, et tu n'es plus là pour me le dire, comme tu as toujours fait, de me dire ce que veut dire tel ou tel mot sans jamais penser que je suis stupide de l'ignorer, ça me changeait, faut dire, cette façon de ne pas être un sale con de prof, comme le sont tant de sales cons. Bref, d'après le CNRTL, subst. masc. PEINT. Trisulfure d'arsenic naturel, de couleur jaune vif ou orangé, utilisé en peinture et dans diverses industries, et que l'on trouve en masses fibreuses ou grenues dans des filons riches en métaux. J'en sais assez pour dire stop. Pas d'Arsenic entre nous, ni jaune ni vif ni rien. Je te le dis une fois pour toutes, j'aime énormément Madame Bovary et tu le sais, mais je ne m'identifie pas. Il reste la gerbe de deuil "éloge", merdalors, même si Arthur Bernard, l'écrivain que tu es le mérite mille fois, quelle distance entre nous ça mettrait soudain, ce funèbre arrangement floral à moins de quatre-vingt balles !
Désolée, Arthur, vu les circonstances, pour les fleurs tu repasseras. Toute façon j'aime pas les bouquets, tu le sais, j'aime que les fleurs pas cultivées.
Ou alors, j'y pense, les fleurs de Rimbaud. Oui ça c'est bien pour toi.
D’un gradin d’or, — parmi les cordons de soie, les gazes grises, les velours verts et les disques de cristal qui noircissent comme du bronze au soleil, — je vois la digitale s’ouvrir sur un tapis de filigranes d’argent, d’yeux et de chevelures.
Des pièces d’or jaune semées sur l’agate, des piliers d’acajou supportant un dôme d’émeraudes, des bouquets de satin blanc et de fines verges de rubis entourent la rose d’eau.
Tels qu’un dieu aux énormes yeux bleus et aux formes de neige, la mer et le ciel attirent aux terrasses de marbre la foule des jeunes et fortes roses.
