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Billet de blog 16 septembre 2025

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Présidence du département : le soapopéra charentais

Le mardi 16 septembre 2025, s'est joué un drame en trois actes, comme c'est souvent le cas, certes, mais dont les questions soulevées semblent, faire échos aux temps qui viennent. C'était donc l'élection du nouveau président du conseil départemental de la Charente, une élection intervenant à deux ans de la fin d'un mandat, qui pourrait de prime abord sembler anecdotique ...

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Le mardi 16 septembre 2025, s'est joué un drame en trois actes, comme c'est souvent le cas, certes, mais dont les questions soulevées semblent, faire échos aux temps qui viennent. C'était donc l'élection du nouveau président du conseil départemental de la Charente, une élection intervenant à deux ans de la fin d'un mandat, qui pourrait de prime abord sembler anecdotique, si ce n'est anodine, au regard du contexte national. Pourtant, le contexte et la trame fond de cette nouvelle élection, remportée de justesse par Jérôme Sourisseau, candidat de la droite pourtant minoritaire au sein de l’assemblée, est un événement à mon sens significatif. La gauche, essentiellement le PS, s'est fracassée sur des guerres d'ego d'autant plus laborieuses qu'inutiles. Trois actes, donc, non pas ces trois tours de scrutin, mais trois séquences politiques qui sont autant de marqueurs d’une fin de régime annoncée.

Acte 1 : 2020-2021, le Covid et les élections avortées
Bien que l'on puisse retrouver les prémices d'une telle situation dans la tripartition de la vie politique enclenchée par le début de l'aventure solitaire d'Emmanuel Macron et la capitulation en rase campagne d'un hollandisme décadent, les élections municipales et départementales de 2020 et 2021 ont ceci de particulier qu'elles ont gelé la politique territoriale. Le maintien du 1er tour des élections municipales en mars 2020, rétrospectivement irresponsable, et l'organisation des élections départementales en 2021 dans le même contexte ont figé les équilibres politiques territoriaux, offrant une prime au sortant malgré une abstention avoisinant les 60% des inscrits, probablement plus si l'on prend en compte l'ensemble du corps électoral. Ce sont donc des exécutifs faibles et/ou affaiblis qui se sont retrouvés à la tête des villes et départements, avec une difficulté supplémentaire : gérer une situation de crise sanitaire exceptionnelle avec des moyens plus que limités. Car si le ressort dramatique de l'acte 1 relève d'une intervention externe (pandémie mondiale), il faut toutefois noter que le prologue d'une telle situation se niche dans l'affaiblissement volontaire des collectivités territoriales dans leur capacité à lever l'impôt au profit d'une administration centrale. Celle-ci ayant substitué à cette compétence l'octroi d'une partie de la TVA, manne, dont elle est le seul et unique décisionnaire (surtout en temps de crise des dépenses publiques). Face aux circonstances exceptionnelles, à un affaiblissement de leurs prérogatives financières, à la reconfiguration de la vie politique nationale et à une faible assise électorale, le personnel politique territorial se retrouve K.-O. debout avant même le début de leur mandat, qu'ils doivent engager bon gré, mal gré.

En Charente, suite à une campagne départementale marquée par ce contexte national et des tensions autour des luttes locales (notamment les projets de mégabassines sur le bassin de l'Aume-Coutre), la majorité départementale se met en place, portée par deux poids lourds locaux : la sénatrice PS Nicole Bonnefoy et Philippe Bouty. Tous deux ayant la particularité de s'être accommodé du tournant macroniste de 2017, la première ayant porté un certain nombre de sujets au Sénat avec des macronistes du premier cercle, tel que l'ancien ministre des transports Jean-Baptiste Djébari ; le second, devenu président du département, s'étant illustré en conduisant une liste aux municipales avec La République en marche de l'époque. Un attelage pour le moins curieux, mais qui, bénéficiant de leur implantation locale, n'a pas été remis en cause.

Acte 2 : 2022-2024, dernières sommations
De la campagne présidentielle de 2022 à la dissolution de 2024, l'acte 2 n'a été que la continuation de l'acte 1 avec quelques péripéties majeures : l'union par deux fois de la gauche face à la menace fasciste. En effet, l'accentuation de la tripartition de la politique nationale a provoqué une présidentielle en demi-teinte où l'effondrement des partis de gouvernement s'est fait au profit de la gauche radicale, d'un centre en voie d'extrémisation et d'une extrême-droite capable de déborder sur sa gauche. Assez logiquement, l’effondrement du PS au niveau national a contribué à déconnecter davantage les élites territoriales qui, sans vouloir lancer de véritable travail programmatique, juraient la main sur le cœur qu'elles ne comprenaient pas comment leurs constituants avaient pu voter majoritairement pour le RN et délaisser la gauche de gouvernement. Ici aussi, dans cette Charente pourtant rose depuis des dizaines d'années. Le repli identitaire du PS s'est heurté par deux fois à la nécessaire alliance de la gauche, face au danger imminent de la prise de pouvoir par le RN en 2022 comme en 2024 après la dissolution. La NUPES comme le NFP ont figé, au moins en apparence, ce repli identitaire, le national couvrant d'un vernis d'ouverture le local. Toutefois, dans les arrière-cuisines, il semble qu'à défaut de lancer ce même travail programmatique, les élites territoriales aient préféré faire le dos rond, laissant les plus exposés ou celles et ceux qui avaient plus à perdre, porter la charge.
Les deux législatives de 2022 et 2024 dans la 3e circonscription de Charente en sont un bon exemple : en 22, le sortant pseudo-dissident PS se maintient face à la candidate de la NUPES et fait gagner le RN ; en 24, l’égo de certains quant à la candidature du NFP, portée par une conseillère régionale aura coûté les quelques voix nécessaires à la reconquête de la circonscription. Tout cela, sans compter la candidature dissidente du PSet PCF face à la NUPES sur la 1re circonscription en 2022.

C’est en parallèle de cette séquence que le torchon brûle au niveau départemental. La dure réalité des calculs électoraux se heurte aux ambitions locales. Le torchon brûle entre la sénatrice et le président du département sur la désignation de la candidature aux législatives de 2024, au point que celle-ci provoque la scission de la majorité départementale. La sénatrice concentrant l’essentiel des critiques sur la personnalité de son ancien allié et ses manœuvres autour des législatives plutôt que sur un fond politique. Un groupe de 6 conseillers départementaux ira jusqu’à faire chuter le budget du département en 2024, préférant le confier à la cour des comptes régionale.
 En effet, le tour de vis budgétaire national de 2025 a eu des conséquences sur les finances de la collectivité, mais plutôt que d'y trouver des solutions politiques, et, sans réelle minorité de blocage au sein de la majorité départementale, le choix est fait par ces conseillers récalcitrant de confier à la technocratie le fait politique. Drôle de conception d’un mandat. Le président, sous pression, démissionne. L’acte 3 peut commencer.

[Malgré le chaos de la situation, il faut reconnaître que les grands mouvements nationaux n’auront pas su mettre fin au repli des conseillers départementaux sur leur volonté de bien gérer et, surtout, surtout, de ne pas faire de politique au sens premier du terme, mais de régler leurs comptes interpersonnels par le biais d'articles de Charente Libre. Drôle de conception d’un mandat, encore.]

Acte 3 : 2025-2026, ce qu'il aurait pu rester
Mardi 16 septembre 2025, la scène se joue à l’intérieur du conseil départemental de Charente. À l’extérieur, un nouveau premier ministre vient d’être nommé et le chantage à la dette fait rage.
Les deux premiers tours de l'élection reflètent le blocage de la situation : 16 votes pour la majorité, 4 pour la candidature dissidente, 18 pour l'opposition de centre droit. Au troisième tour, la sénatrice retire sa candidature dissidente et laisse ses ouailles voter selon leur conscience. Résultat : 4 abstentions. Une belle leçon de courage politique que de faire chuter une majorité pour laquelle on a été élu, sans en porter les stigmates. 
L’abandon du politique et de tout logiciel idéologique aboutit logiquement aux petits arrangements de postes ; la sénatrice reviendra dans l’exécutif de son opposant politique, à défaut d'être dans celle de son opposant personnel. Il y aura eu au moment de ce dénouement des discours sur le nécessaire dépassement des clivages dans une vie politique tripartite et/ou territoriale. Sur le principe en effet, cela peut être cruciale : l'exemple de la commission sénatoriale bipartisane qui a permis de lever le lièvre des 230 milliards d'aides publiques aux entreprises en est un. Mais il faut toutefois se rappeler que celle-ci ne s’est pas faite sur la nécessité de travailler entre gauche et droite, mais sur la défense de l’intérêt général et des valeurs.
Certes différentes, mais des valeurs quand même. Y’en a-t-il seulement eu dans toute cette histoire ?
Notre drame s'achève ainsi sur une victoire du centre-droit par bêtise de la gauche, tout du moins à cause des égos malheureux de celles et ceux qui voient dans la fin du fait majoritaire la dissolution de la politique dans la gestion "en bon père de famille". N'en déplaise aux chantres de cette nouvelle donne politique, ils et elles seront à la fin de leur tour d'honneur relégués aux confins de l'histoire politique. À l'aune des changements majeurs qui se profilent, de dures crises sont amenées à se succéder. Pour y remédier, ne faudrait-il pas "(...) aller à l'idéal en passant par le réel", comme le disait Jaurès, et non pas au réel en abandonnant l'idéal.

La séquence qui s'ouvre de 2026 à 2028 comporte en elle le risque d'un marathon électoral dans un espace très resserré, balayant l'ensemble des échelons politiques (législatives, municipales, sénatoriales partielles, présidentielles, départementales et régionales). Si les élites politiques, nationales comme locales, oublient que le centrisme, de droite comme de gauche, n’a rien à proposer que l’idéal déjà dépassé de l’accompagnement d’un capitalisme mortifère, le risque de confier les clés du camion à l'extrême droite est plus que réel. Sans affect positif ou de perspectives emancipatrices, les citoyens n’auront que faire du dialogue transpartisan, lui préférant le dégagisme. 

C’est l’impératif de bifurquer qui devrait guider les idéaux du camp progressiste, et peut-être même surtout au niveau territorial. Car c’est de là que se créeront, à l'aide des luttes locales, les bases arrières d'une autre société, osons le dire, d’une société enfin post-capitaliste.

(Edit 17/09/24 : Reprise de certaines parties du texte et correction de coquilles) 

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