« On sait moins que Broch est aussi un penseur politique, un philosophe de l’histoire, particulièrement attentif aux phénomènes de la massification des sociétés démocratiques […] » (Jorge Semprún)
« L’œuvre de Hermann Broch (1886-1951) est polymorphe, comportant romans, essais, correspondances, mêlant philosophie, histoire, psychanalyse et littérature. Cette diversité n’est pas, cependant, synonyme de dispersion puisque tous les écrits revêtent des enjeux éthiques et politiques. Broch, auteur engagé, concentre sa pensée sur l’homme, sa situation dans le monde moderne. L’absence d’ « un » sens et le sentiment de solitude forment la toile de fond de ses romans et de sa pensée. Son concept d’ « état crépusculaire » est à la fois symptôme et révélateur de la crise de l’homme et il montre le lien étroit entre théorie et création littéraire dans son œuvre. Dans un contexte marqué par l’expérience de l’antisémitisme et du totalitarisme, Broch développe une anthropologie de la responsabilité qui dénonce l’individualisme et l’indifférence. L’écriture relève pour lui de la « responsabilité sociale » et engage des enjeux éthiques et politiques. Hermann Broch croit à la « conversion » de ceux qui sont dans l’ « état crépusculaire » et qui somnolent. Il décrit la crise du monde moderne qu’il met en valeur, mais au-delà de l’analyse, sa réflexion a peut-être avant tout une visée pratique, comme son idée de la « conversion » en atteste. La dimension politique va de pair avec son engagement éthique. Il propose une éthique de l’humanité.»
Hermann Broch (1886-1951) était écrivain, philosophe et politologue. Son œuvre emprunte donc plusieurs voix pour saisir l´homme, le comprendre, l’approcher dans ses sinuosités. Elle s’inscrit dans le contexte historique de la Seconde Guerre mondiale qui fournit le cadre à l’intérieur duquel Broch s’est intéressé aux problèmes de l’homme dans la masse et à ses motivations pour y adhérer. C’est parce que l’homme se sent isolé qu’il cherche à appartenir à un groupe. Le thème de la solitude apparaît dans ses romans et essais tout comme dans sa correspondance. Dans son œuvre, Broch montre des individus seuls en proie à une crise due à l’absence de sens et de lien à l’autre, une solitude qui devient alors isolement, privation des autres, manque de sens. Cette situation peut être lue à la lumière de la proclamation de Nietzsche « Dieu est mort » qui est la parole inaugurale du monde moderne. En effet, la modernité advient sous la forme d’une rupture car un tournant a lieu, l’ancien était sous le signe de la communauté, d’un lien horizontal et vertical entre les hommes unifiés autour d’une croyance commune en un dieu, en une morale, une vérité. Or, si la croyance en dieu est déstabilisée, vacille aussi toute une myriade de croyances et de modes de vie. La modernité est rupture : cette rupture annonce une crise, un monde à venir sous le signe de l’errance de sens. L’homme est renvoyé à lui-même, à sa solitude quand la référence commune disparaît. Broch apparaît comme un auteur engagé qui accorde à ses écrits une visée pratique : il entend dénoncer certains comportements et participer à l’éducation et à la « conversion » des individus à la démocratie.
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http://trajectoires.revues.org/192