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Billet de blog 7 mai 2024

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Fin de carrière: on achève bien les chevaux

Ce billet que l'on pourrait qualifier de « billet d'humeur » offre le témoignage du départ à la retraite « forcée » d'un cadre du sport de haut niveau. Une réalité vécue qui doit être appréhendée par tous ceux qui nous suivront...

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Photo de Norbert Krantz © Norbert Krantz

On achève bien les chevaux.

Ce billet a pour objectif de témoigner de la façon dont la fonction publique remercie ses serviteurs au moment de leur départ à la retraite. J’en ai fait récemment les frais et c’est la raison pour laquelle je m’autorise sur la foi de ce que j’ai vécu, le droit d’en parler.

Une manière pour moi de tirer ma révérence après quarante années d’investissement total dans le domaine du sport de haut niveau et à l’heure où vont se dérouler, dans mon propre pays, les Jeux Olympiques et Paralympiques.

Allons droit au but : je n’y serai pas, « débarqué » que j’ai été dans la dernière ligne droite par la faute d’un manager, récemment nommé, qui n’aura pas respecté l’homme que j’étais et la vision que je développais bien avant qu’il n’arrive. 

Mais on pourrait imaginer que mes propos sont valables pour toute autre situation du même genre (licencié du privé ou en passe de l’être, par exemple), encore plus lorsqu’il s’agit de personnes ayant atteint ou dépassé les 60 ans, conduites de gré ou de force à « rendre leur tablier ». Ou contraintes parfois de négocier à la baisse, les conditions de leur maintien dans la fonction qui était la leur jusqu’à présent.

En ce qui me concerne, et pour information, ma valeur marchande avait été fixée à 1000€ net / mensuel pour un poste de responsable du processus « Gagner l’Or à Paris 2024 » (objectif 15 à 18 médailles d’or) : une mission à haut niveau d’enjeu et de risque, pour un cadre qui avait déjà assumé, durant l’olympiade précédente, le poste de Responsable de la Haute performance ; ayant contribué à l’acquisition par la France de 41 médailles à Tokyo 2021 (contre 21 à Rio 2016).

Belle récompense et évolution pour un cadre qui aurait pu également faire valoir un ensemble de diplômes et expériences diverses assez rare pour devoir être remarqué : Agrégé, Docteur, Diplômé de l’Institut National des Sports, de l’Expertise et de la Performance, titulaire d’un BE 3, etc.

Il faut que vous sachiez qu’ils sont nombreux mes prédécesseurs, dont la carrière aura marqué l’évolution du sport français, à avoir connu cette situation de quasi abandon au moment même où les choses vous quittent. Je cite entre autres : H. Hélal, J.C. Vollmer, C. Colombo, R. Hippolyte et moi-même -si tenté que je puisse considérer avoir été l’un des leur- qui ai rejoint maintenant cette triste liste.

Après avoir fait du mot « accompagnement » l’une des pièces maitresses de la formation des entraîneurs et autres responsables du sport français, du suivi des projets et des acteurs, après avoir déployé des trésors d’attention, après avoir écrit sur toutes ces questions, vous voilà un jour largué « dans la nature » sans remerciement particulier. A un an de l’évènement sportif le plus important qu’aura connu votre pays depuis que le sport moderne existe, voilà que vous n’y serez pas « ou plus » et ce contrairement aux engagements parfois tenus par les prédécesseurs. « Les promesses faites n’engagent que ceux qui les reçoivent ou qui y croient » disait un politicien célèbre.

N’escomptez pas non plus de billet d’entrée, il ne peut pas y en avoir pour tout le monde ; car vous êtes devenu en très peu de temps dans le domaine dans lequel vous étiez le plus qualifié, « tout le monde », c’est à dire « n’importe qui ». Il n’y a pas de place pour vous, vous avez fait votre temps.

D’un seul coup, alors que vous étiez « quelqu’un » ou que vous croyiez l’être, vous n’êtes plus rien ; vous êtes devenu trop vieux, peut-être un peu « has been » ! Sur la base de quoi, je vous le demande ; je m’interroge également ! Ma capacité de travail ; elle constituait une véritable force de frappe. Mon expérience : un véritable atout.

Elle est belle cette réforme de la retraite qui prolonge la durée de vie professionnelle des salariés de ce pays quand parallèlement et de façon très pernicieuse, on vous fait comprendre qu’il va falloir faire de la place, notamment parce que les jeunes qui arrivent sur le marché, vous dit-on ou vous fait-on croire, sont tous devenus « des experts ».

Ce qui est vrai, c’est que certains ont « les dents longues » ! Comme si d’un seul coup, nous ne l’étions plus : « expert », nous qui les avons formés ; nous qui avons accompagné l’évolution du mouvement sportif afin qu’il soit toujours plus performant, plus adapté, plus singularisé.

S’ils savaient, ces mêmes penseurs ce que je pense au plus profond de moi-même ! Je leur dirai bien de se reporter aux propos magnifiques du peintre dessinateur Japonais Hokusai qui a écrit ces mots tellement inspirants et significatifs de ce que je voudrais faire passer comme message : « Depuis l'âge de 6 ans, j'avais la manie de dessiner la forme des objets. Vers l'âge de 50 ans, j'avais publié une infinité de dessins, mais tout ce que j'ai produit avant l'âge de 70 ans ne vaut pas la peine d’être compté. C'est à l'âge de 73 ans que j'ai compris à peu près la structure de la nature vraie des animaux, des herbes, des arbres, des oiseaux, des poissons et des insectes. Par conséquent, à l'âge de 80 ans, j'aurai fait encore plus de progrès ; à 90 ans, je pénétrerai le mystère des choses ; à 100 ans, je serai certainement parvenu à un stade merveilleux et, quand j'aurai 110 ans, tout ce que je ferai, un point, une ligne, sera vivant ».

Mais la vague du jeunisme comme elle s’est imposée de façon tout à fait récente sur un plan politique veut que la modernité s’inscrive sous la forme d’une certaine technocratisation ou bureaucratisation de la société ; elle touche désormais toutes les structures et les formes de pensée de la société et érige une barrière de fait entre les générations. Alors qu’elle ne devrait être que complémentarité. Elle n’est parfois, cette réputation d’expertise que la marque d’une certaine médiocrité pour des gens qui n’ont pas encore « navigué » suffisamment pour atteindre le niveau de compétence et de sagesse qu’il faut pour assurer certaines fonctions. Mais il faut bien « tuer le père » comme le dit l’adage célèbre, ne serait-ce que d’un point de vue symbolique !

Alors vous partez, ce n’est même pas « eux » qui le décident, c’est vous, en toute responsabilité et après avoir développé maintes réflexions, après vous être mille fois interrogé… parce que le risque : c’est celui de l’inutilité, de l’exclusion et de la perte de confiance. Et vous assistez, les yeux exorbités, à la moisson d’abandons et de trahisons qui sont celles des vôtres, des proches parfois, de ceux que vous aviez pourtant protégés ?

Et vous percevez surtout les silences ; ils sont tellement assourdissants que vous en perdez votre propre équilibre. De ceux que vous aviez pourtant tant « aimés » ! Pas tous, loin de là, il y en a beaucoup parmi tous les collègues croisés qui conserveront de votre passage dans leur cursus de vie, un souvenir fort ; je sais que j’ai marqué toute une génération, ils me le disent, mais plus personne ne peut rien pour moi. Le rouleau compresseur est en train de passer…

Et le Ministère dans tout ça, où est-il ? celui qui vous gérait, vous détachait pour des missions de confiance, qui avait fait de vous un cadre de classe exceptionnelle ; formateur parmi les formateurs, dynamiseur de système parmi les dynamiseurs. Eh bien, il acte votre départ à la retraite : une simple pièce administrative mais pas un coup de fil ; il n’y a plus aucun humain de l’autre côté, que des ordinateurs.

Vous partez dans l’anonymat le plus complet. Un simple accusé réception : l’expression utilisée n’est -elle pas significative « vous êtes radié de la fonction publique ». On ne vous a pas répondu et on ne vous répondra plus.

C’est cela que j’ai vécu à un moment ou la parole de l’Etat n’a pas été tenue. Et il en est de même pour les organismes de tutelle avec qui vous aviez travaillé souvent de façon étroite, de façon directe ou indirecte, pour le rayonnement sportif de la France (ANS, AS DTN) ; tous sont devenus si étrangement solidaires de ce nouvel équilibre des forces.

Et ce ne sont pas les propos de la ministre qui gentiment vous aura répondu qui modifieront l’impression que vous ressentez à ce moment précisément ; parce que les mots qui se veulent réconfortants témoignent en fait qu’ils ne mesurent pas à leur juste valeur, l’implication qui a été la vôtre durant toutes ces années et le sentiment de forte injustice qui ressort de cet abandon de l’Etat.

Tout le monde est désolé parce qu’il vous est arrivé mais il y a un enjeu majeur autour duquel la nation doit faire corps : les Jeux, et il n’est pas venu le moment de se soucier de votre petite personne, des conditions de votre départ et de l’imposture dont vous avez été victime, par un petit nombre de personnes, toujours les mêmes. Ils étaient là cachés dans la pénombre à attendre que vous partiez parce que l’héritage que vous laissez est inestimable ; ils vont pouvoir se délecter. Qu’elles reposent en paix -ces personnes- avec leur conscience ; le temps les rattrapera. Car si le temps ne va pas vers plus d’humanité, alors l’humanité aura perdu son temps…

Je ne regarderai pas grand-chose des Jeux, je ne fais plus partie de la confrérie ; je ne suis plus un membre de la communauté française. ON m’a trahi ; ne me demandez pas d’offrir ma solidarité…

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