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Billet de blog 9 septembre 2024

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Jeux paralympiques et fédérations : mon analyse des résultats

L'objet de ce billet est de produire une première analyse des résultats obtenus par la France aux Jeux paralympiques de Paris 2024. Pour avoir été un acteur "immergé" dans la préparation de ces Jeux, je propose aux lecteurs un niveau de lecture plutôt positif mais tempéré du plus ou moins grand succès obtenu par nos différentes équipes...

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Illustration 1
Photo de Norbert Krantz © Norbert Krantz

Comme j’ai eu l’occasion de le faire à l’occasion des Jeux Olympiques, je vous livre une analyse quantitative et qualitative -certes partielle- des résultats obtenus par la délégation française à l’occasion des Jeux Paralympiques de Paris 2024 ; avec une exigence qui est celle de la recherche de la plus grande objectivité pour traiter ce qui relève des chiffres mais également, il me faut être honnête, avec une once de subjectivité concernant ceux qui concernent la Fédération Française Handisport. Fédération à laquelle j’ai appartenu (depuis ma date de nomination en janvier 2018), pour laquelle j’ai travaillé comme Directeur des équipes de France, puis comme Manager de la Haute performance, puis enfin comme chef de projet « Gagner l’or à Paris 2024 », avant que je décide de la quitter au regard des conditions de travail qui étaient devenues les miennes (se référer à des articles précédents).  

Au moment de mon départ et à l’heure où j’établis « mon » bilan -soit à un des Jeux, je comptabilisais un potentiel de 15 médailles d’or et de 61 médailles pour la FFH. Un potentiel calculé sur la base des résultats obtenus par nos sportifs de façon récente et dans des compétitions de référence, c’est-à-dire en présence de toutes les nations fortes, ou en tenant compte à l’inverse de leur absence :  cas de la Chine au Tennis de table lors des Championnats du Monde de 2022. Tout en sachant qu’il "nous" restait un petit gain de médailles à aller chercher pour augmenter le capital. Les circonstances ne m’ont pas permis de finir le travail ; je note que la FFH aura gagné lors de ces Jeux 14 médailles d’or et 56 médailles au total. Mes pronostics ne se seront pas actualisés dans les faits mais je tiens à rappeler que je n’aurais plus été maitre de l’ouvrage à quelques encablures de l’échéance.   

Résultats d’ensemble.

Le bilan est globalement satisfaisant mais il n’est pas exceptionnel ; même si la 8ème place obtenue par la France au classement des nations démontre que des progrès certains ont été accomplis (14ème à Tokyo avec 55 médailles), elle n’a pas répondu à l’objectif final qui avait été fixé en haut lieu de figurer dans les 5 premières nations. Il aurait fallu gagner 6 médailles d’or de plus, ce qui n’est pas rien ; le niveau atteint par nos sportifs paralympiques est inférieur de ce point de vue-là, à celui des valides qui ont fini 5ème !

Des médailles qui ont été obtenues dans 15 sports sur 23, ce qui ne constitue pas d’un point de vue théorique, un très bon score (nous étions présents dans toutes les disciplines sauf dans le cas du Basket fauteuil féminin). Il me semble que le travail de soutènement proposé par l’Agence Nationale du Sport aura certes porté ses fruits dans quelques sports bien ciblés comme annoncé officiellement, mais pas dans d’autres. Peut-être que le ciblage a démontré ses limites, peut-être qu’il était un peu trop restreint… peut être « qu’il » est arrivé -le soutien- de façon trop tardive dans certains sports.

La responsabilité particulière de la FFH dans le gain total des médailles.

A l’occasion d’une première analyse, on doit tout d’abord observer que la partie prenante de la « seule » FFH était importante et ce à deux titres : d’une part, parce qu’elle était en responsabilité directe de la préparation aux Jeux dans 12 disciplines sur 23, d’autre part, ce qui ne revient pas tout à fait au même, parce qu’elle était engagée dans le gain de 414 titres ou 1242 médailles sur un total absolu de 523 titres ou 1569 médailles distribuées à l’occasion de ces Jeux. Elle comprenait notamment tous les grands sports pourvoyeurs de médailles : le Para athlétisme (154 titres distribués), le Para natation (125) et de façon plus restreinte, le Para cyclisme piste et route (51) ; il était donc attendu que la FFH puisse obtenir des résultats signifiants à hauteur de 80 % du total des médailles d’or et des médailles toutes couleurs glanées par la délégation française. Au niveau de l’or, la FFH a remporté à elle seule 14 médailles sur 19, soit 73% du « butin », ce qui représente un taux inférieur à ce qui était attendu ; au niveau du total médailles de toutes les couleurs, la FFH a remporté 56 médailles sur les 75 obtenues par la délégation française, soit un taux de 74%.  

  • Pour rappel, les sports sous responsabilité de la FFH : Basket fauteuil, Boccia, Cécifoot, Escrime, Goal Ball, Para athlétisme, Para cyclisme (sur piste et sur route), Para haltérophilie, Para natation, Para tennis de table, Rugby fauteuil.
  • Les autres sports : Para aviron, Para badminton, Para canoë, Para équitation, Para judo, Para tir à l’arc, Para tir sportif, Para triathlon, Tennis fauteuil, Volley-ball assis.   

Le niveau stratosphérique du Para Cyclisme  

S’il y a une discipline qui a défrayé la chronique par ses résultats extraordinaires, c’est bien le cyclisme sur piste et sur route.  Classée aux alentours de la 25ème place au classement des nations en 2018, elle a su complètement se révolutionner jusqu’à obtenir la place de 3ème au classement des nations pour le cyclisme sur piste et de 2ème pour le cyclisme sur route. Les résultats sont dus à la conjonction de plusieurs facteurs dont il m’est facile de parler pour avoir œuvré durant 6 ans à leur optimisation : des coureurs au grand talent, un staff extrêmement pointu et très bien managé (avec L. Thirionet ancien champion paralympique à la manœuvre et M. Jeanne dans le rôle de l’entraîneur principal), des moyens financiers alloués pour que ce sport à forte connotation technologique soit capable de relever les plus grands défis. Ce qui est très étonnant, c’est que cette réussite incroyable ne réside pas simplement dans le succès obtenu par quelques grands champions dont le nom était déjà connu mais dans l’émergence d’une nouvelle population de jeunes coureurs ayant su profiter de la dynamique de l’équipe de France. Avec 10 médailles d’or (soit 52%) et 28 médailles glanées au total (37%), le cyclisme aura été le fer de lance du handisport de haut niveau lors de ces Jeux de Paris.

Des sports qui ont surpris.

Il y a quelques disciplines qui ont su également nous étonner, je traiterai ici de ce que je connais le mieux : la Boccia remporte pour la première fois de son histoire un titre paralympique. Bravo à son manager et bien entendu au staff qui a su œuvrer à la réalisation de cette victoire, dans une discipline qui présente de nombreuses difficultés et qui ne bénéficie pas souvent d’un éclairage médiatique. Et puis, il y a le Cécifoot qui revient du diable vauvert et auquel personne ne croyait, qui a su se taire et travailler dans l’ombre, sans faire de bruit et parfois sans moyens ; leur victoire doit être mise en rapport avec la médaille d’argent obtenue en 2012 à Londres. Un très grand bravo au manager de cette discipline qui n’aura rien lâché : C. Simo, et aux joueurs dont j’aurais pu apprécier les valeurs ; ils ont mon soutien à vie.

Des sports en progrès.

La natation a plutôt agréablement surpris les observateurs avec la réussite de quelques nageurs déjà connus mais également grâce à l’apparition de nouveaux talents (Pierre, Denayer, etc). Ils ont témoigné de leur capacité à répondre « présent » au grand rendez-vous de leur jeune carrière. Les 14 médailles gagnées dont 2 en or, ne sont pas anecdotiques ; elles sont à porter au crédit des entraîneurs de club qui entraînent ces nageurs au quotidien, souvent si ce n’est pas systématiquement en les confrontant à des nageurs valides. Dans ce type sport, le mixage est possible, sauf pour les petites classes pour lesquels il faut considérer une organisation dédiée. Ce qui doit tempérer notre optimisme, c’est la 13ème place au rang des nations (25ème à Tokyo 2021) dans un sport qui n’est cependant pas encore accessible à tous les pays ainsi que l'échec des relais!

Le Rugby fauteuil jamais si près.

Michel Terrefond le manager doit être déçu, ainsi que le staff qui a œuvré avec beaucoup de passion à la montée en puissance de cette équipe prometteuse. Mais finir 4ème, c’est tout de même le meilleur classement jamais atteint par une équipe de France de Rugby fauteuil aux Jeux ; elle peut nourrir de très fortes ambitions pour Los Angeles 2028. A la seule condition que son accompagnement soit poursuivi, avec sérieux. De manière générale, j’aurais beaucoup œuvré pour que les sports collectifs soient mieux considérés (dès 2018, j’ai alerté la DTN ou de plus hautes instances sur l’insuffisance des moyens qui leur étaient alloués mais on m’a beaucoup ri au nez !... on n’y croyait pas), plus soutenus et pour que les efforts financiers soient amorcés plus tôt qu’ils ne l’ont été.

Des sports décevants par leurs résultats.

Il ne s’agit pas de désigner d’un doigt accusateur quelques disciplines, quelques champions ou quelques entraîneurs, mais quand même l’équipe de France de Tennis de table avec 1 médaille d’argent et 5 médailles de bronze finit à la 20ème place au rang des nations, alors que le programme des compétitions était plus dense (avec l’apparition de nouvelles catégories dans le domaine des doubles), alors même qu’elle avait été classée 3ème aux Jeux de Tokyo (dont 2 médailles d’or). Et le bilan aurait pu être pire puisque comme chacun aura pu le constater, de façon tout à fait étrange et injuste par rapport à d’autres disciplines, on ne joue pas dans ce type de sport, la médaille de bronze ! Permettez moi cependant d’adresser une petite réflexion à la jeune manageuse de cette discipline qui avait fait preuve avec moi de beaucoup d’arrogance ; je n’irai pas plus loin sur ce terrain mais elle aura appris la vie. L’escrime également passe à côté de ces Jeux ; il faut bien reconnaitre que les sports duels imposent une loi irrémédiable, c’est celle de la Chine qui truste tout. Dans cette discipline, la France finit à la 11ème place avec une seule médaille de bronze. Autre déception, le Para haltérophilie qui n’aura jamais été en position de gagner une médaille alors qu’elle en avait gagné 2 à Tokyo. Pour ces deux dernières disciplines, les causes de cet insuccès sont différentes : en ce qui concerne l’escrime, le travail est fait et je crois à leur capacité à revenir au plus haut niveau, mais le chemin est long et il le sera encore ; en ce qui concerne l’haltérophilie, il y a toute une structuration à mettre en place pour dynamiser dans tous les sens du mot la pratique de ce sport -pour lutter également contre l’impression d’esseulement ressenti par les pratiquants et l’encadrement.

Des sports auxquels on n’a jamais vraiment cru.

Pour avoir trop longtemps vécu dans l’ombre, ignorés du plus grand nombre, ils ont connu défaite sur défaite : le cas du Goal ball (du Volleyball assis) et celui du Basket fauteuil qui présente pourtant pour l’avenir, un vrai potentiel de performance. Je suis certain que si les bonnes décisions sont prises et si un minimum d’engagement est concédé suffisamment en amont, elles pourront toutes réussir à Los Angeles. De manière générale, les sports collectifs obéissent à des lois de développement et de montée en puissance complexes ; ils ne peuvent pas être apparentés au travail à mettre en place dans le domaine des sports individuels, leur préparation qui porte sur un collectif, donc sur l’harmonisation des relations entre joueurs doit être envisagée sur du long terme.

Le Para athlétisme : catastrophique.

Que dire à son sujet ? La France n’a jamais atteint un niveau aussi bas : 43ème nation avec 4 médailles (plus une obtenue par la Fédération Française des Sports adaptés), elle disparait dans le fin fond des classements… très loin derrière des tout petits pays. De façon inexorable, puisque l’alerte avait déjà été donnée lors des championnats du Monde qui se sont déroulés à Paris en 2023. La mise en place d’une nouvelle équipe sur fond d’éviction de ceux qui présentaient pourtant un profil très intéressant pour l’avenir de la discipline, n’aura pas porté ses fruits… pire même ; dans cette discipline, comme cela devrait être le cas en ce qui concerne l’athlétisme valide, il faudra revoir de fond en comble la copie. Seul un changement radical pourra être porteur de sens mais il faudra aux décideurs un même niveau de courage que celui dont ils ont fait preuve pour appliquer le même type de mesure que celui qu’ils ont appliqué -parfois avec beaucoup de brutalité - à leurs prédécesseurs. Certains cadres ne pourront pas rester en place…

Petit panel de statistiques complémentaires.

  • Les sports les plus disputés, c’est-à-dire les sports dans lesquels on note une véritable internationalisation des pratiques sont dans l’ordre / sur la base du nombre de pays ayant obtenu une médaille au moins à ces Jeux : 65 nations se sont disputé les médailles en Para athlétisme, 36 en Para natation, autour de 20 en cyclisme. Il est à remarquer l’absence de pays africains dans ces deux derniers types de sport.
  • Dans certains sports, la concurrence est faible parce que les infra structures, le coût ou la culture de la discipline ne remplissent pas les conditions minimales pour qu’émerge une élite (Canoë, Aviron, etc.). Le gain des médailles dans ce type de sport parait plus confidentiel (limité à quelques pays).
  • Les Français ont notablement et également brillé -ou pas- dans les disciplines suivantes : Para triathlon et Para badminton 3ème nation, 6ème en Para tir sportif, 8ème en Para aviron et Para canoë, 11ème en Para judo -une performance d'ensemble très en décalage avec les résultats obtenus par l'équipe valide-  12ème en Para taekwondo et curieusement absent -cad 0 médaille en Para équitation, Para tir à l’arc et Tennis fauteuil.

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