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Billet de blog 15 août 2024

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Jeux olympiques 2024 : à vous, les perdants

Les Jeux on produit plus de perdants que de gagnants. J'exprime une pensée émue et sincère vis à vis de celles et ceux qui n'ont pas réussi en dépit de leurs efforts dans leur quête de médaille. Ceci est un message pour que chacun trouve un peu de soutien durant la période difficile qu'il est peut être en train de traverser...

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Ce billet vous est adressé parce que je veux marquer ma solidarité vis-à-vis de ceux qui n’ont pas réussi leurs Jeux, qui ne sont pas parvenus malgré tous leurs efforts et leurs investissements, au niveau de réussite qu’ils s’étaient fixés. Le sport est souvent injuste, mais ça, vous le saviez déjà. Et qui s’isolent dans quelque coin perdu parce qu’ils veulent oublier leur déconvenue, sans doute également pour la plupart d’entre eux parce qu’ils ont besoin de se reposer, par ce qu’ils ont besoin de se retrouver, parce qu’ils aspirent après toute cette fureur, au calme. Etrange paradoxe, on récupère à niveau de charge ou de pression égal, d’autant plus mal que l’on n’a pas réussi…

Qui ont souffert non pas simplement de leurs résultats, mais de l’absence d’intérêt des médias ou du grand public vis à vis de leur prestation, qui sont pour nombre d’entre eux encore plus déçus d’avoir déçu en retour l’ensemble de leurs supporters et de leurs soutiens de toute nature.

Comme dans d’autres champs de l’activité humaine, ils vont traverser l’ensemble des étapes qui marquent une cruelle désillusion (référence aux théories connues dans le cas d’un licenciement) :

  • Le point 0 est marqué par l’annonce ou la prise en compte du résultat
  • Les phases qui suivent correspondent à des stades successifs de dépression durant lesquels, celui qui est en souffrance, n’éprouve pas ou plus de satisfaction à faire ce qu’il faisait et ne dispose pas ou plus d’un niveau d’énergie suffisant
    • Refus de comprendre (incompréhension, négociation, rejet total)
    • Résistance (inertie, argumentation, révolte sabotage)
    • Décompression (tristesse, absence de ressort, désespoir, dépression)
    • Résignation (absence d’enthousiasme et de conviction, attitude dubitative, nostalgie du passé).
  • Et enfin, Intégration (changement accepté, pas de nostalgie, changement plus considéré comme tel, action de soutien). C’est la période de la reconstruction

Chaque sportif affecté par son niveau de résultat passera ainsi par chacune de ces phases, il y restera plus ou moins de temps : de quelques jours à quelques semaines, voire quelques mois, voire encore quelques années. Certains ne s’en remettront pas … pas tout de suite ou pas tout à fait, ou auront l’impression de s’en être remis ; il faudra un gros travail des entraîneurs et des préparateurs mentaux pour effacer la ou les traces laissées par les événements. Quand elles se répètent, elles deviennent indélébiles.

On pourrait objectiver que les sportifs ne sont pas des salariés ; je pense le contraire, ils sont les salariés de leur propre entreprise, responsables du projet et de la façon dont il va être mené, des investissements et des sacrifices concédés. Et quand le projet n’atteint pas le niveau d’expectation espéré, c’est comme si l’entreprise (petite ou moyenne) faisait faillite. Avec toutes les remises en question que l’on connait : sa propre capacité, à propos de l’entourage affectif, à propos des collaborateurs, etc.

On pourrait également comparer ces états d’âme à des échecs amoureux, et dans le cas d’une suite, il faudra prêter une grande attention à ce que l’on nomme l’attachement au malheur. Un subterfuge que le sportif peut être amené à se créer -bien malgré lui- pour se déresponsabiliser en quelque sorte d’un certain nombre de causes, comme s’il était la victime malheureuse et impuissante d’un destin, d’une tragédie qui l'emporte bien malgré lui. Le sportif aime toujours et passionnément la pratique de son sport, à haute intensité et à haut risque, il adore l’aventure et l’incertitude qui sont liées à sa réussite mais au fond de lui-même, il ne croit pas ou plus en sa réussite. Parfois, il faut cependant bien le reconnaitre, le sportif aime son sport parce que c’est la meilleure façon qu’il ait trouvé d’être aimé, d’être entouré; les ressorts sont parfois très compliqués à appréhender.

Dans certains cas, on parle également de système d’attribution causale : il est toujours intéressant d’entendre les raisons qui sont attribuées à un échec : manque de chance, manque d’effort, manque de compétence, manque de lucidité, environnement, etc. Ces attributions se modifient dans le temps, d’instantanées et réactives (dans les 24 à 48h qui suivent la compétition), elles deviendront avec le temps plus circonstancielles et systémiques, plus objectives, influencées également par le poids des commentaires et analyses qui ne manqueront pas de surgir avec le temps. Avec la sagesse également.

On retrouve un même type de configuration chez le sportif blessé ; ce qui est très étonnant, pour revenir sur la souffrance occasionnée par une fin de non-recevoir, c’est qu’un « tout petit rien » finalement (ce n’est que du sport) prend toute la place du bonheur. Au point d'en oublier les autres, ses proches, ceux qui vous aiment pour ce que vous êtes, intrinsèquement. Et c’est comme si la vie tout entière était affectée par une seule toute petite partie de ce qui fait le bonheur de vivre. ; et la raison n’y peut rien.

On affirme souvent que l’échec est un émulateur de progrès, mais ceci ne peut être vrai que dans le cas ou le sujet prend conscience de ce qu’il ne sait pas faire ou de ce qu’il n’a pas su faire, et qu’il exprime une forte volonté d’en tirer les conséquences... de rebondir. Pour se faire, il faut être capable de tirer les leçons du passé et de se réinscrire dans le présent en élaborant des stratégies de remédiation, avec la même énergie que précédemment (c’est ça qui est souvent le plus dur), la même croyance en vous ; c’est à ce prix que le futur pourra s’écrire. Il ne faut jamais commettre deux fois la même erreur!

Encore une fois, comme dans d’autres domaines de la vie, le sport c’est le dur apprentissage de la vie ; une vie dans laquelle chacun est -aussi- responsable de ses transformations.

Mais si le sportif aime toujours sa pratique, s’il aime toujours s’entraîner, qu’il éprouve toujours du plaisir, que la somme des plus l’emporte sur la somme des moins, alors pourquoi ne pas réessayer ?

Sa légende

J’ai l’habitude de dire que chacun écrit son épopée à « la sueur de son sang ». Si j’ai un message à vous transmettre, vous les déchus de ces Jeux, c’est de considérer que votre vie quel que soit le point d’arrivée mérite d’être vécue, que votre passage sur terre, parmi vos contemporains compte peut-être plus, comme valeur d’exemple que celle de quelques vainqueurs aux valeurs et à l’image très hypothétiques. Pour beaucoup, le destin, celui dont vous avez décrié le sens, a fait de vous des êtres d’exception, puisque vous êtes là, bénéficiant d’un certain talent ; que votre mission, c’est d’exploiter ce que « Dieu » vous a donné. Sans rechigner, sans vous plaindre, parce que vous êtes quelque part des nantis.

Que la vie reprenne ses droits, vous en fasse voir de toutes les couleurs, puisque c’est celle que vous avez choisie, c’est ce que je vous souhaite de meilleur. Vous en sortirez toujours vainqueur...

Illustration 1
Photo de Norbert Krantz

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