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Billet de blog 22 octobre 2024

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ATHLETISME: ENTRAINEUR DE HAUT NIVEAU ET CHÔMEUR

On peut en France avoir obtenu quelques très beaux résultats, notamment à l'occasion des Jeux et se retrouver sans emploi, à l'heure où les compétitions de référence sont achevées. C'est l'histoire vécue par WK entraîneur d'athlétisme parmi tant d'autres, abandonné par un système qui broie les hommes plus qu'il ne les récompense

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Je continue à observer l’évolution des systèmes, de l’extérieur aujourd’hui parce que je me suis retiré des « affaires », de l’intérieur malgré moi, parce que j’ai un fils qui demeure investi dans l’athlétisme ; j’aurais moi-même passé 30 ans à vivre de cette passion, donc je peux dire que je sais de quoi je parle.

Au sujet de l’athlétisme comme activité de référence.

L’histoire que je vais vous raconter ne constitue qu’un raccourci de ce que j’aurais à dire au sujet de cette discipline dont j’observe et déplore le fonctionnement. Qui s’enfonce inexorablement, incapable de tirer des conclusions des mauvais résultats qu’elle obtient et du climat qu’elle fait naître (référence à la vie et l’avis des clubs) ; qui reproduit sans cesse des solutions qui ont montré leurs limites. L’athlétisme comme chacun le sait, mais il est toujours utile de le rappeler, c’est l’un des sports les plus populaires au monde, discipline pratiquée sur tous les continents. Il suffit pour cela de se référer au nombre de nations qui présentent au moins un concurrent aux différents championnats du Monde ou à l’occasion des Jeux pour être convaincu de son degré d’internationalisation et de concurrence. Il faut invoquer pour comprendre ce phénomène, la facilité avec laquelle ce type de pratique peut être mis en œuvre, partout et avec presque rien : l’athlétisme, c’est avant tout l’ensemble des exercices corporels où se retrouvent les gestes naturels de l’homme : courir, sauter, lancer.

Mais l’athlétisme c’est également un sport éducatif de base : pour les jeunes, un pilier de la préparation physique pour n’importe quel type de pratiquant de n’importe quel sport, un phénomène de société : la multiplication des courses de longue durée démontre qu’il y a derrière l’organisation de ce type d’offre, une forte demande. Je parle au présent, mais je devrais en fait parler au passé ou à l’imparfait -oui, l’imparfait, c’est bien ! -, parce que les choses ont considérablement évolué depuis plus de vingt ans, dans un sens que je déplore et que je dénonce (disparition progressive à l’école de cette discipline, mise en avant quasi exclusive du sport santé, etc.). Pour moi, l’athlétisme qui sert également à la mesure de la valeur physique atteste que génération après génération, le niveau de l’ensemble des aptitudes humaines décroit année après année. J’ai été suffisamment bien placé pendant une ou plusieurs périodes de ma vie professionnelle pour constater cette dégradation progressive des capacités naturelles.

Passion et revenus.

Pire également et c’est de cela dont je veux surtout parler, on a perdu progressivement l’enthousiasme et le niveau d’adaptation / créativité nécessaire au développement de toute structure et de tout projet. Dans un monde ou tout doit être égal, on a perverti dans ce domaine d'activité, le métier d’éducateur et d’entraîneur ; on l’a galvaudé, on l’a bradé. A des étudiants passionnés ou autres intervenants provenant d’autres horizons, je ne conseillerai désormais plus de s’investir comme nous avons pu le faire jadis, corps et âme, au bénéfice de structures qui ne peuvent pas témoigner de leur capacité à honorer ni le travail bénévole, ni le travail salarié. Un travail salarié qui est rémunéré la plupart du temps à la hauteur d’un SMIC et qui ne prend pas en compte le nombre d'heures supplémentaires effectuées par les professionnels (souvent durant leur week-end), pas plus leurs déplacements. Qui ne propose pas de perspectives d'avenir et qui ne tient compte ni des investissements qualitatifs concédés pour la plus grande satisfaction des adhérents, ni des résultats obtenus par les éducateurs et entraineurs impliqués dans les actions mises en place.

Dans ce monde devenu fou et injuste, je pense à la gabegie de dépenses incongrues qui ont été faites à l’occasion des Jeux -période pendant laquelle l’hyper médiatisation a frisé parfois le ridicule- non seulement on a été incapable de remettre « l’église au centre du village » (c’est une image bien entendu), mais il me semble qu’on l'a même éloignée. De quoi va être fait l’avenir ; je veux évoquer le niveau d’écœurement ressenti par nos actuels ou futurs intervenants face aux conditions d’encadrement d’un sport qui n’est pas rémunérateur mais qui demeure sur le fond, extrêmement exigeant.

Le cas WK.

Je regrette parfois de lui avoir communiqué mon amour pour le sport et surtout pour l’athlétisme.  Car la réalité écrasante se présente ainsi ; je vais décrire succinctement le scénario qui est le sien aujourd’hui, après avoir évoqué quelques éléments de son CV.

Avant de consacrer sa vie à l’accompagnement des athlètes et ce quel que soit leur niveau de départ, il a d’abord obtenu une sélection en équipe de France senior alors qu’il n’était qu’espoir, et des podiums au niveau national. Une blessure importante a précipité sa carrière d’athlète vers celle d’entraîneur ; on lui a alors proposé de passer un DES JEPS (l’obtention du Diplôme d’Etat Supérieur, de la Jeunesse, de l’Education Populaire et du Sport, qui est un diplôme de niveau 6 requiert, il faut le savoir, un investissement financier de 6000 à 10 000€) afin d’augmenter ses compétences et de pouvoir postuler à un certain nombre de fonctions. Notamment de responsable de structures type centre d’entraînement ou pôle, etc.

La réalité, c’est que le diplôme n’a servi à rien ; seulement à contrecarrer les assauts de quelques personnes malveillantes qui auraient pu trouver prétexte à son non recrutement

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Photo de Wilfried Krantz © Norbert Krantz

ou à son éviction. Il n’a servi à rien, ni du point de vue des clubs qui souhaitaient l’embaucher mais à tarif modéré, ni du point de vue des structures fédérales nationales ou de ligue, qui ont toujours admiré d’une certain façon sa capacité d’investissement mais qui n’ont jamais osé miser sur le recrutement d’une personne aux caractéristiques atypiques. La différence fait peur ; la réussite également. Certains clubs néanmoins ont franchi le pas ; il leur restera le souvenir de quelqu’un de loyal et de très engagé, qui aura toujours défendu la cause des sportifs. Et qui aura toujours réussi ses paris, là où il passait, qui était présent sur le terrain 7 jours sur 7.

Ces vingt dernières années, il aura tout connu comme succès, tant au niveau des jeunes qu’à celui du plus haut niveau, en passant par les catégories intermédiaires. Des qualifiés aux France en pagaille, des champions de France ou podiums nationaux et Elite, des meilleurs performances mondiales dans les catégories jeunes, une coupe d’Europe, des titres continentaux, des podiums mondiaux. Des titres continentaux acquis à l’occasion des championnats d’Afrique, lorsqu’il était entraîneur national en Tunisie (la révolution l’aura obligé à quitter cette fonction et à revenir en France). Des podiums mondiaux dans le domaine du Para athlétisme avec la 3ème place acquise par l’une de ses athlètes aux Mondiaux de Paris 2023 ainsi qu’aux Jeux de Paris 2024.

Combien sont-ils les entraîneurs français à avoir obtenu lors des Jeux Olympiques et Paralympiques, dernières compétitions de référence, des médailles? Dans le domaine valide, on peut en comptabiliser une seulement : celle obtenue par Cyrena Samba-Mayela aux Jeux olympiques de Paris (athlète qui s’est préparée aux Etats Unis) ; dans le domaine du handi : il y en a eu cinq (dont 2 pour Timothée Adolphe et 1 pour le Sport adapté). Autrement dit, ils sont quatre entraineurs à avoir atteint l’objectif que la nation leur avait fixé. Croyez-vous que cela suffise pour être remercié (aucun retour à ce jour des institutions) et pour être protégé à l’avenir ? Comme si nous avions en athlétisme, foison de talents ! Et la réponse est « Non » en ce qui concerne WK, parce que le retour à la réalité, c’est le retour au chômage et au système « D ».

Alors comme il va falloir à nouveau et encore vivre -de sa passion-, il essaye de développer une activité en se frayant un chemin dans le dédale des contrats courts. Il a 44 ans ; c’est l’âge ou on commence à faire un bilan ! WK ne renoncera pas, mais vous dire qu’il est désabusé ne vous surprendra pas. Il sait maintenant, il en a eu la preuve, que le système ne le reconnaitra pas ; peut-être parce que comme me l’a dit un responsable du CPSF, « il porte ton nom » ! Sidérant…

Il lui reste à ne pas oublier le degré d’affectivité et de confiance dont il bénéficie de la part de ses pairs et des athlètes ; quand je l’accompagne, je suis toujours surpris par l’énorme masse de personnes qui lui sourient et qui essayent de rentrer en communication avec lui. On vient le voir, on le salue et on l’invite à prendre un café ou une bière. Parce que WK est très aimé, très apprécié pour ce qu’il donne, qui dépasse la simple contribution de l’entraînement.

Je ne sais pas ce que deviendra WK sur le plan professionnel, on lui en a fait voir de toutes les couleurs, mais j’ai une pensée émue pour tous les autres, ces hommes et femmes qui avaient comme souhait de s’investir dans l’un des plus beaux sports qui existent, et qui avaient comme espoir de pouvoir en vivre dignement. Mais qui en sont revenus, marqués du sceau de la déception, du sceau de l’inhumanité et de celui de l’incompétence…

C’est ainsi que l’athlétisme français perd ses ressources parmi les plus expertes et les plus fidèles, parce qu’elle est incapable cette discipline de changer de logiciel ; l’avenir n’est pas ou plus dans le déploiement des cadres techniques mais dans l’identification et le renforcement des endroits et personnes dans lesquels et par lesquels ils se passe ou il risque de se passer quelque chose. "Il faut arroser là ou ça pousse" disait F. Juillard, ancien DTN de l'athlétisme français. Il devrait y avoir un redéploiement des ressources financières, un re fléchage, peut être un dégrossissement des investissements concédés par l’institution fédérale dans les taches de type "secrétariat", administratives, de communication ou managériales ! Peut-être faut-il revenir sur les fonctions des Cadres Techniques Sportifs -assurément, il y a des problèmes de casting- pour donner une chance à des personnes issues du monde privé de faire preuve de leur capacité à réussir et à faire rayonner la France. Sans doute faut-il s’interroger sur la fuite « de nos cerveaux » (métaphore) qui n’ont souvent pour seul choix que de s’enfuir ou d’abandonner !

Sans doute encore, faut-il rappeler aux décideurs de tout bord, que là où il y a quelqu’un de passionné, il se passe quelque chose.

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