Norbert Krantz (avatar)

Norbert Krantz

Ancien acteur du sport de Haut niveau

Abonné·e de Mediapart

18 Billets

0 Édition

Billet de blog 23 mai 2024

Norbert Krantz (avatar)

Norbert Krantz

Ancien acteur du sport de Haut niveau

Abonné·e de Mediapart

Dans la peau d'un managé: une leçon de choses en 10 épisodes

On s'intéresse beaucoup depuis un certain nombre d'années à la fonction de manager; beaucoup moins au positionnement des "managés". Dans cet article, je propose que soit porté un regard sur ce qui est vécu de l'intérieur par ceux qui sont parfois placé sur "le fil du rasoir" et que le doute envahit progressivement...

Norbert Krantz (avatar)

Norbert Krantz

Ancien acteur du sport de Haut niveau

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

J’ai souvent eu l’occasion de travailler sur le métier de manager et sur la posture qu’il me semblait important d’adopter lorsqu’on exerce ce genre de mission ; ceux qui ont travaillé avec moi, savent que je suis un adepte du management participatif ou management horizontal, très près de la conception développée par Pete Mazany in « Teamthing. Management d’équipe : clé du succès » édit INSEP. Comme beaucoup de modèles, il présente des avantages mais également un certain nombre d’inconvénients ou de risques ; je dirai surtout de lui que je l’ai adopté parce qu’il était parfaitement en phase avec mes valeurs et l’idée que je me fais du rapport à l’autre.

Mais mes expériences ne se sont pas limitées à manager les autres ; j’ai également été managé. Et c’est de cela dont je veux vous parler. Souvent les choses se sont bien passées, mais parfois elles se sont très mal terminées. Je ne reviendrai pas sur ma première expérience du genre, elle est relatée dans un site de développement personnel, consultable à loisir ; je souhaite essentiellement évoquer ce que j’ai vécu et appris de ma dernière expérience.

Mon article s’adresse à tous ceux qui sont concernés par un type de management qui laisse planer des doutes quant à la suite des événements, qui ne les place pas en situation de sécurité.  Je veux offrir quelques indicateurs à ce genre de lecteur afin que celui qui se sent positionné dans cette situation particulière : 1) sache qu’il n’est pas le premier dans le genre -malheureusement 2) identifie bien les risques et périls. Il vaut mieux avoir été averti afin de pouvoir se préparer à toutes sortes de scénario plutôt que d’attendre que la sanction tombe. L’anticipation qui est une reconnaissance à priori permet d’éviter que l’effet de surprise désarme ou anéantisse totalement le salarié.

Les alertes ou objets de méfiance.

1. La première rencontre entre les acteurs (le manager et le salarié) ou le discours liminaire est toujours très important(e). On parle de première impression laissée…

  • Elle préfigure généralement mais pas toujours -il peut y avoir de bonnes surprises !- ce qu’il va se passer ensuite ; écoutez bien ce que vous dit la personne qui est placée au-dessus de vous, comment elle se présente, ce qu’elle entend ou veut bien entendre en retour de vous et la façon dont elle se comporte : ses yeux surtout et de manière générale, son positionnement vis-à-vis de vous. Sa façon notamment -voir son envie- de prendre la parole pour marquer son territoire : de vite faire la démonstration qu’il est bel et bien votre supérieur hiérarchique -l’organigramme de société comme référence-, de démontrer par sa phraséologie, qu’il a de la culture et de la profondeur, qu’il peut en imposer ou alors, ne soyons pas pessimiste, faire la démonstration de sa volonté d’œuvrer auprès de vous avec une certaine bienveillance ! Ce qu’il veut faire passer comme message de façon intentionnelle ou non, cachée ou pas ; pratiquez une méta analyse de cet instant vous sera peut-être salutaire.

2. Est-ce que vous percevez l’existence de signaux faibles dans l’environnement qui pourraient être de nature à vous inquiéter ?

  • Intéressez vous toujours aux premières analyses ou décisions qui vous concernent directement et regardez comment vous êtes placé ou considéré au moment des « grandes messes » - par exemple, concernant le temps de parole qui va vous être attribué dans le cadre des réunions à caractère plus ou moins élargi. Intéressez vous également à la façon dont votre utilité ou votre compétence est mise en valeur, la plus-value que vous représentez dans le cadre de la réalisation du projet d’entreprise : quels sont les termes précis utilisés pour faire valoir ce qui caractérise vos points forts et légitime votre place dans le système ? Scrutez au passage l’impact occasionné sur quelques collègues, dont vous pourriez être tentés de penser qu’ils pourraient constituer des adversaires potentiels. Observez le jeu des forces en présence qui va ensuite se traduire par des actes ou des mots qui vous seront adressés -pas toujours de façon directe ou franche, afin de vous encourager à suivre certaines directions : les nouvelles orientations que prend l’entreprise, ou pour vous conduire à identifier et à ajuster les efforts que vous aurez « désormais » à fournir. Autrement : encore plus, encore mieux ! Avec parfois, des encouragements à ce que vous travailliez avec d’autres personnes dont vous ne partagez absolument pas les points de vue ou les méthodes ; avec qui vous avez déjà vécu des expériences plus ou moins heureuses, mais qui sont remises « dans le bain » … à votre plus grand étonnement. Mesurez l’ampleur du décalage qui existe entre ce qui vous a été affirmé de façon personnelle, en seing privé, et ce que vous constatez dans la réalité : votre -nouveau- positionnement au sein de la société à laquelle vous appartenez, par exemple.

3. Est-ce que le climat général est en train de changer : entre mensonge et manipulation de l’opinion ?

  • Attention au développement de quelques points de vue qui consisteraient à vous faire penser que votre équipe n’est plus vraiment en phase avec vous, que tout le monde reconnait l’apport considérable que vous avez eu mais qu’il est peut-être temps maintenant de prendre de la distance. Que vous avez peut être atteint les limites de votre compétence, qu’un certain nombre de critiques émerge, sans que vous puissiez en avoir la moindre preuve, quant à votre capacité à perdurer dans la mission qui était la vôtre, jusqu’à présent. Que « la machine » est capable maintenant de fonctionner sans vous -que vous avez été « un excellent passeur » ; que l’on vous remercie grandement pour tout ce que vous avez fait, mais qu’il est venu le temps du changement -des têtes. Faites particulièrement attention aux déclarations qui consistent à vous décrédibiliser, vis à vis de vos collègues ou de la direction, pour justifier un certain nombre de décisions à venir ; elles ne portent parfois sur rien mais elle sous-tendent beaucoup de choses. Elles sont le fruit d’évaluations ou de témoignages construits ou relevés « sans foi, ni loi », de façon partielle et partiale pour vous désavouer. Si parfaitement orchestrées qu’elles justifient à postériori, le fait que l’on puisse envisager de faire appel à d’autres compétences, venues d’ailleurs. De même, méfiez vous des discours dithyrambiques à votre sujet ; ils préparent parfois « le terrain ».

4. Est-ce que vous ressentez une impression d’isolement?

  • Attention à ce point là, parce qu’une fois le train lancé, il sera difficile de l’arrêter. Il est souvent latent, ce sentiment de ne plus vraiment faire partie de l’entreprise, de se sentir éloigné -parfois de s’éloigner soi-même parce qu’on n’y croit pas ou plus-, au risque de vous envahir progressivement et de façon sournoise. De vous submerger jusqu’à vous empêcher de respirer. Vous ne pouvez pas le nommer parce qu’il s’exprime de façon subtile, comme un poison lent que l’on vous assénerait. Vous ne pouvez pas enregistrer ni les mots, ni les paroles puisque tout se fait en catimini, dans votre dos, mais vous ressentez bien la froideur du contexte. Est-ce que vous ressentez fortement cette impression terrible qu’on n’est plus avec vous, voire qu’on se ligue contre vous ; que même vos collègues même parmi les plus proches sont en train de vous lâcher, de modifier leur position -entre trahison et abandon, c’est un grand classique ? Pire, sont-ils eux aussi en train de colporter quelques mauvaises histoires à votre sujet, de donner raison -finalement- aux décisions qui s’annoncent et qui vont hypothéquer la suite de votre aventure dans cette « boite » ou de votre carrière ? Acceptent ils sans frémir que vous soyez affaibli, acceptent ils le fait que vous soyez mal traité ? Semblent ils oublier ou remettre en doute ce que vous avez été capable de faire pour eux ? Pour vous, la question primordiale devient la suivante : puis je lutter contre la vindicte populaire qui s’installe ? Et, est ce que ça en vaut le coup, qu’est-ce que ça va me coûter ? Pour les plus résistants d'entre eux, vos amis véritables et sincères, ils seront souvent éliminés: virés, déplacés ou interdits de conserver le rapport étroit que vous aviez instauré ensemble. Beaucoup de managers "s’en sortent" parce que les gens renoncent …

5. Est-ce que vous êtes impliqué dans un système où « les coups bas » semblent permis ? 

  • Posez vous la question de savoir jusqu’où sont capables d’aller les gens avec lesquels vous travaillez, y compris votre manager : pour réussir, pour grimper dans la hiérarchie, pour obtenir plus d’argent, pour éventuellement vous éliminer, prendre votre poste ? Mais également pour gagner en légitimité, en notoriété, en réputation, en visibilité, etc… Est-ce que vous pensez que vous pourriez être la cible d’une campagne qui viserait à remettre en cause votre loyauté et votre moralité, par la mobilisation d’un service contentieux ou d' un comité d’éthique quelconque ? Après toutes ces années de grande fidélité et les nombreux témoignages que vous avez offerts de votre humanité : au service des hommes, voilà qu’on vous prêterait facilement des pratiques fallacieuses alors que rien ne peut et ne pourra jamais justifier ce type d’attaque. Le système prête l’oreille à des balivernes -faisant courir le bruit « qu’il n’y a pas de fumée sans feu »- et cherche la faute : ce que vous avez fait et qu’il ne fallait pas faire ! On pourrait finalement douter de votre niveau de fréquentabilité, avec une certaine mauvaise foi !

6. Est-ce qu’on vous parle mal -par l’utilisation par exemple, de mots qui blessent ou par le ton qu’il emploie- ; est-ce que vous avez l’impression qu’on vous manque de respect ?

  • Le manager vous rappelle par exemple, que vous êtes sous ses ordres -il est le patron, le boss-, que vous êtes dépendant de lui et de ses décisions, de ses jugements, à son service ou dans un autre genre, que vous êtes en bout de carrière, que vous ne devez plus rien espérer et que votre niveau d’expectation ne doit plus être le même. Que vous avez été mais que vous n’êtes plus. Il en appelle à la hiérarchie alors que vous auriez été en droit d'attendre qu’il utilise une autre argumentation que celle de l’ordre et du commandement. Parfois c’est à un véritable sketch auquel vous assistez, dans lequel le manager surjoue son rôle. Parce qu’au final, il souhaite être considéré comme le seul responsable : l’acteur maître et central du processus, le seul vrai preneur de décision, celui à qui reviendra en définitive l’honneur de récolter le succès des investissements collectifs et accumulés au fil du temps. Parce qu’il prend des risques, comme si vous n’en aviez jamais pris... avant qu'il arrive ! Que vous êtes éventuellement un hypocrite, voire un menteur -il remet en cause votre parole et intente un procès en honnêteté- parce que vous auriez déclaré ceci ou cela à celui-ci ou celui-là… propos souvent rapportés par des personnes de son entourage le plus proche et sortis de leur contexte. C’est un procédé que l’on connait bien : à qui profite le crime ?

7. Est-ce que vous constatez que vos fonctions s’étiolent avec le temps ?

  • Le manager vous « déshabille » petit à petit des fonctions qui étaient les vôtres, voir détruit une partie de votre « œuvre ». Restructure en vous déstructurant ; découpe en vous découpant ; toujours avec des bonnes raisons. Des raisons qui cependant n’arrivent pas à vous convaincre ; vous ne ressentez plus aucun alignement avec l’analyse de la situation telle qu’elle est présentée, vous n’êtes plus en accord avec les décisions qui sont prises par votre n+1. L’homme vous insupporte … S’il n’accorde plus aucune attention, votre supérieur hiérarchique, au travail important et millimétré que vous accomplissez néanmoins au quotidien, parfois 7 jours sur 7, c’est que vraisemblablement il ne veut pas ou plus vous être redevable de quoi que ce soit ! Cela irait à l’encontre de son propre intérêt. Pour attribuer au final un certain nombre de responsabilités qui étaient les vôtres à des personnes qui n’ont parfois pas votre niveau de compétence ou votre réputation, sous tendant par ces procédés l’existence d’un clan ou d’un réseau qui agit en sous-main ! Votre surface d’action diminue à vue d’œil ; pour l’intérêt du service, c’est ce que l’on vous dit, tout en vous rappelant que vous êtes encore un peu responsable d’un certain nombre de choses (il faut bien faire avaler la pilule et ne pas aller au conflit tout de suite !) … Démontrer qu’il ne s’agit pas d’un conflit personnel mais que vous avez du mal à rentrer dans les rangs. Parfois, il s’agit d’une simple question d’égo mal placé ; le manager ou d’autres collègues peuvent avoir l’impression que vous leur faites de l’ombre, jalousant la réputation de personne intègre que vous avez construite au fil du temps. Résistez car vous n’êtes sans doute pas l’homme pour lequel on tente de vous faire passer ; le risque, c’est pour vous, la perte de confiance et d’estime.

8. Est-ce que vous êtes encore décideur de quelque chose ou est ce qu'on fait semblant ?

  • Si vous constatez que certaines décisions qui vous concernaient, ont déjà été prises en comité restreint et/ou que le budget attribué a été discuté puis arbitré sans que vous ayez été concerté, c’est que vous êtes en train de perdre le pouvoir d’action qui était le vôtre. Dans ce cas-là, précisément, vous pouvez être amené à vous interroger sur ce qui parait désormais être de votre ressort et ce qui ne l’est pas ou plus ; et si les conditions pour exercer convenablement sont satisfaisantes, à la baisse ou pourquoi pas mais dans ce cas-là, il n’y a plus de problèmes, à la hausse. Si vous n’êtes plus convié à certaines réunions pour lesquelles votre présence ou votre avis auraient dû être requis, c’est que vous commencez à ne plus peser lourd ! De même si votre n+1 ne conçoit plus ses rapports avec vous, que médié par la présence de ses collaborateurs, c’est qu’il est en train de vous réduire à pas grand-chose, voire à néant. Peut-être devenez vous sans vous en apercevoir inutile à ses yeux ; puis à ceux qui constituent ses alliés. Si vous constatez que de façon de plus en plus fréquente, de nouvelles personnes sont consultées en votre absence à propos de quelques affaires importantes qui relevaient de votre responsabilité, en gros, si vous disparaissez de la chaine de décision, c’est qu’on est train de vous éliminer. De même, si vous constatez que votre responsabilité passe progressivement dans les mains d’un autre, c’est que vous allez être déplacé ou remercié. 

9. Est-ce que les promesses faites sont tenues ?

  • Le manager qui vous demandait de le soutenir dans la mise en place de sa politique, vous soutient il
    Illustration 1
    Norbert Krantz tee shirt Legende © Norbert Krantz
    lui même ? Est-ce qu’il est globalement à vos côtés ou pas ? Est-ce qu’il est disponible vis-à-vis de vous, à l’écoute de vos problèmes et plutôt favorable aux solutions que vous lui proposez d’adopter ? Si le « non » l’emporte sur le « oui », c’est que vous n’apparaissez pas à ses yeux, comme une force de proposition crédible ou pertinente. Est-ce que cet homme qui est votre patron, vous laisse prendre des initiatives ou bien est ce qu’il est toujours derrière votre dos, surveillant votre travail, toujours méfiant et vous muselant dès qu’il le peut ? Est-ce que vous avez plutôt l’impression que quoi que vous disiez ou fassiez, il ne modifiera pas sa vision et son analyse de ce que vous êtes, de votre travail, de votre implication ; dans ce cas-là, cela signifie que les conditions -minimales mais essentielles- d’un travail étroitement collaboratif ne sont pas remplies. Vous allez souffrir au quotidien. Et s’il ne vous remercie jamais alors qu’il le fait pour d’autres, c’est que vous ne lui plaisez pas ou plus.

10. Une loi du silence et de l’acquiescement qui s’est imposée.

  • Dans ce type de fonctionnement, terrible par nature, les acteurs sont invités à ne pas montrer leur solidarité vis à vis de leur compagnon d’infortune. Certains le feront malgré tout parce qu’ils n’acceptent pas le sort qui aura été réservé à leur ami ; mais beaucoup -la plupart- se tairont parce que la menace pourrait être celle d’un désaveu, vis-à-vis de leur mission et de sa pérennisation dans le temps… de leur présence à l’occasion de grands rendez-vous ou à l’occasion de la distribution de récompenses (salaires, primes, etc.). L’un des indicateurs les plus intéressants dans ce domaine réside dans le fait que vous ne pouvez plus entretenir avec eux une discussion de fond, au caractère  "intime", parce que cela leur demanderait de se démasquer. Et que vous pourriez constater et mesurer à la suite de ce genre de confession, le delta qui peut exister entre ce qu’ils vous ont dit dans une alcôve secrète et le comportement qu’ils adoptent dans le cadre de la vie professionnelle -un vrai cas de conscience. Parce que tout simplement la loi est de façon implicite celle de l’omerta et de la lâcheté. D’une manière générale, est ce que dans le système que vous fréquentez, il est possible d’exprimer le moindre doute, voire son désaccord vis-à-vis d’un certain nombre de questions ? Si le manager est devenu tout puissant parce qu’il occupe tous les postes de responsabilité et qu’il est omniprésent, ne déléguant dans la réalité et malgré ce qu’il prétend, que très rarement un certain nombre de tâches, c’est que vous êtes dans un système autocratique. Alors, il faudra considérer si vous êtes par essence un vrai démocrate, que vous ne pourrez peut-être pas ou plus rester.

Ainsi va la vie !

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.