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Billet de blog 27 décembre 2025

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DEVENIR ENTRAINEUR PUIS FORMATEUR : LES RESSORTS D’UNE EXPERTISE A CONSTRUIRE

A la lueur de son expérience de formateur, Norbert Krantz évoque la façon dont s'est construite une compétence. Ce n'est pas un chemin idéal qu'il trace mais les contours d'un cheminement qui peut servir d'exemple.

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Au moment où je parcours ma vie professionnelle, je suis amené à me pencher sur la façon dont s’est construite mon expertise de formateur et plus tard, parce que tout a un impact sur tout, de manager. Pour tout vous dire, je n’ai jamais vraiment aimé employer ce qualificatif "d’expert" parce d’un part, il a beaucoup été galvaudé, parce que d’autre part, il est contraire à la philosophie que j’ai toujours voulu transmettre : « du plus j’en sais et moins j’en sais » (un appel à la modestie). Car dans beaucoup de domaines, la relativité des choses et le côté paradoxal de certains phénomènes nous conduisent à rester prudents face à l’énoncé de quelques certitudes. Exemple avec l’effet Papillon dont je rappelle le principe : l’effet papillon est un concept de la théorie du chaos qui illustre comment de petites variations dans les conditions initiales peuvent entraîner des conséquences imprévisibles et significatives à long terme…

Une façon de se protéger, peut-être! un aveu de faiblesse, non, je ne le crois pas, mais surtout une reconnaissance, celle de notre incapacité à appréhender le monde dans sa totalité et dans son extraordinaire complexité ; impossible de savoir tout sur tout, nos yeux et nos oreilles ne suffisent pas ou plus, notre mémoire est limitée. On pourrait appeler cela de l’incomplétude ! Force nous est de constater que dans bien des cas, ceux qui prétendent maitriser le Savoir dans toutes ses dimensions et qui véhiculent un regard un peu suffisant sur la difficulté du métier d'entraîneur ou de formateur, démontrent surtout qu'ils "savent tout sur rien » ! Une sorte de mise à l’écart par rapport au savoir savant, érigé en vérité absolue s'impose, quand tout nous montre que la vie est par essence singulière, dynamique et incertaine. Je ne conteste pas les effets positifs d’une acculturation par les  connaissances, qu’elles soient de nature scientifique ou procédurale, mais je tiens à relativiser leur impact dans le développement d’une capacité à agir dans un monde vivant et fluctuant, confronté à des humains. Sachant également que comme beaucoup d’entre-nous a pu le constater, ce qui est vrai pour l’un n’est pas nécessairement vrai pour l’autre, et que ce qui a été vrai à un moment donné pour untel n’est plus vrai quelques temps après.

  • Cette position de l’omniscience en toutes choses n’est plus tenable.

A une époque où la production de connaissances est devenue exponentielle, à un moment ou l’intelligence artificielle prend ses quartiers, il parait plus intéressant d’évoquer le niveau d’habileté ou de maîtrise, partial et partiel, qui se construit au fur et à mesure du temps, par « petits coups de pouce », que de faire valoir une posture de type "je vais vous dire avec certitude comment il faut faire, parce que je sais". Qui se construit par va et vient entre le champ de la théorie et celui de la pratique ; on peut apparenter ce type d’intelligence à de l’intelligence situationnelle: contextuelle et conjoncturelle ; une sorte de vision à 360°. L’évolution du sport moderne répond à cette question de la pléthore de compétences par la mise en place autour de chaque sportif, d’une équipe représentant l’ensemble des besoins nécessaires à la réalisation d’une performance. Il faut que je fasse attention à ne pas me laisser embarquer par une réflexion de nature trop théorique ou épistémologique, pour rester accroché à mon objectif qui est de proposer une réflexion concrète sur ce qui pourrait constituer un cheminement intéressant pour atteindre le niveau d'une personne qualifiée dans le champ sportif. Sorte de cahier des charges à remplir pour parvenir à ses fins, si « fin » il y a.

  •  Les fondamentaux en question(s).

On peut tout de même affirmer que ce qui va caractériser dans les années à venir la plus haute qualification sera marquée par quelques attributs essentiels à développer pour a) mieux lire les situations, b) mieux comprendre les contextes, c) mieux appréhender les conjonctures et le comportement parfois atypique des acteurs, d) in fine mieux gérer le traitement de ce qui doit être traité. Pour moi et si je devais résumer ma vision, l'essentiel de ce qui doit être acquis s'inscrit dans le Savoir penser; mon analyse a toujours été la suivante: je ne juge jamais de la qualité d'une intervention au regard de ce que je vois, mais au regard de ce qui m'est dit, de ce qui constitue la logique de l'intervenant et de ce qui nourrit ses représentations. Le reste c'est de l'outillage. 

Citons :

1) développement d’une intelligence culturelle large: curiosité vis-à-vis de toutes choses et approfondissement de ce qui parait essentiel et revêt un caractère transposable dans le cadre de l'optimisation de la performance, en n'occultant pas de considérer l'existence plus ou moins cachée, discrète, de ce que l'on désigne sous "les signaux faibles"; 

2) développement d’un esprit critique vis à vis de toutes choses: pour pouvoir se frayer un chemin dans le dédale des informations qui transitent de partout et d’une capacité à poser quelques bonnes questions à l’intelligence artificielle ou encore aux chercheurs associés au(x) projet(s) ;

3) développement d’une capacité à observer et analyser les faits tels qu'ils se présentent (référence au système d'attribution causale) : voir ailleurs, autrement, sous différents angles… les effets des séances mais également les procédures adoptées par d'autres entraîneurs, dans d’autres disciplines, dans d’autres contextes), s’imprégner des logiques internes de fonctionnement… ;

4) capacité à créer ou à imaginer de nouvelles voies dans un ensemble de pensées et de méthodes que l'on pourrait qualifier de dépassées, inappropriées ou insuffisantes; elle agissent comme des habitudes fortement ancrées dans les savoirs faire, offrent des résistances à l'avancée  (oser, se donner le pouvoir de penser, de dire ou de faire);

5) développement d’un point de vue personnel (témoin d'une appropriation singulière) après s’être nourri du point de vue des autres: résister à la tentation de ne se référer qu’à une seule et même école de pensée ;  

6) développement d’une capacité à "savoir être" : développer les bonnes attitudes et les bons discours, offrir un modèle "d'éducateur" généralisable et exportable à l'ensemble des rapports humains ;

7) développement d’une capacité à faire travailler ensemble des personnes au profil différent (compétence liée au mangement).

  • Et moi dans tout ça ?

Ma compétence s’est développée par petites touches successives, c’est ce dont je me suis aperçu après avoir longuement réfléchi à la question qui m’avait été posée par un étudiant, de savoir si « j’avais des pères spirituels ou des maitres à penser ? et si OUI, qui ils étaient ? Tout le monde m’a nourri, absolument tout le monde, n’importe où, n’importe quand… j’ai tout bu, jusqu’à la lie; rien n'était insignifiant. Mais je peux tout de même citer quelques éléments de mon parcours qui ont fait de moi ce que je suis, qui ont façonné ma façon d’entraîner puis d’enseigner ; j’occulterai dans la partie énumération tout ce qui ressort de la vie personnelle et du caractère propre à la personne (ses traits et ses tendances). Ils auront forcément eu une influence directe ou indirecte sur mes représentations du monde et sur la nature de mes rapports avec les hommes ; je me cantonnerai ici à évoquer l’influence qu’auront pu avoir certains pans de mon itinéraire social ou professionnel (des rencontres) ou les leçons que j’aurais pu tirer des nombreuses expériences menées à différents niveaux de responsabilité et/ou d’implication.

  • Quelques grands traits… succinctement.
  1. EPROUVER UN VIF PENCHANT. Le premier choc qui explique mon intérêt pour le sport et la curiosité dont je vais faire preuve vis à vis de ce genre d'activité, s’inscrit dans l’histoires des Jeux Olympiques. Et notamment dans celle des Jeux Olympiques de Mexico 1968: j’ai 12 ans / transmission TV en direct pour la première fois et en noir et blanc. A l’occasion de ces Jeux, les athlètes ont effaré le monde par leurs exploits ; je pense au saut en longueur historique de B. Beamon (les études biomécaniques pensaient impossible qu'une telle distance soit atteinte par un homme), et à l’apparition de la technique dite du Fosbury au saut en hauteur… tellement en correspondance avec l’esprit révolutionnaire et créatif des années "60". Un attrait émotionnel qui s’est également inscrit dans le cadre des contestations initiées par les Black Panthers ; cela résonnait de façon particulière pour moi, à l’heure où je venais de vivre 11 ans en Afrique noire et à l’heure où j’avais déjà pris fait et cause, de façon naturelle, contre le racisme et plus généralement la discrimination… ;
  2. OBSERVER ENCORE ET TOUJOURS. Entre 12 et 17 ans, je me suis beaucoup baladé en direction du stade Poniatowski (du côté de la Porte Dorée à Paris), le soir, à la tombée de la nuit, pour observer ce qui relevait de la pratique des autres : handball, basketball, football, volleyball, gymnastique, athlétisme, etc… Ces heures d’observation tout à la fois de la prestation de chacun des acteurs et de leurs comportements sont venues compléter les nombreuses heures de pratique que j’entérinais personnellement, jour après jour, depuis plus de 10 ans : judo, équitation, natation, handball, football, volleyball, athlétisme, etc. Les aventures motrices ont été nombreuses, pas toujours encadrées, souvent autodéterminées et autorégulées ; mon besoin de liberté, de mouvement et d’adaptation ou recherche de solution aux problèmes trouvait là un terrain de jeu et d’expression propice au développement de ma créativité. J’ai beaucoup engrammé durant cette époque ;
  3. APPRONFONDIR ET COMPRENDRE. Par la suite, vers l'âge de 19 ans, j’ai pu enrichir cette base d’expériences motrices par la fréquentation de l’Institut National du Sport et de l’Education physique : établissement d’Elite par excellence (nombreux sports et multitude de champions d’exception). Et moi je coexistais à leurs côtés, fier de pouvoir les côtoyer d’aussi près et de pouvoir me faire une idée quant aux procédures qu’ils appliquaient pour atteindre le sommet de leur discipline. J’ai continué à accumuler de l’observation, à me nourrir des exemples donnés notamment en matière d'exercices mais également du point de vue des procédures appliquées: d'échauffement, de constitution d'un corps de séance, de retour au calme; entre admiration pour ce qu’ils représentaient comme exemples de "talent" et appréhension de plus en plus fine de ce de ce que l’on peut désigner sous la culture du haut niveau (le travail accompli de façon biquotidienne, l'ascétisme dont ils étaient capables de faire preuve). J’essayais de saisir avec beaucoup de respect leurs secrets et de cerner également leur personnalité profonde ; la singularité était déjà un thème qui me parlait.
  4. STRUCTURER SA PENSEE. Plus tard, j’obtiendrai le CAPEPS puis j’assisterai à un cours qui m’a marqué dans le cadre d’un D.E.A. qui portait sur l’éthologie ou l’étude des comportements animaux. Un cours particulier comme vous avez sans doute du en avoir durant vos études, un cours qui pourrait apparaitre comme très éloigné de ce qui constitue le cœur du métier, mais un cours qui a revêtu pour moi un sens particulier. J’y ai appris comment observer avec une grille critériée et sans polluer la scène, discrètement ou comme plus tard je le ferais "de façon participante", « la vie des bêtes ». La rigueur venait de s’emparer de moi par le biais de l’évaluation ; c’est à partir de ce moment-là plus précisément, que s’est imposée à moi, la nécessité de devoir et de pouvoir mesurer la grandeur des phénomènes à transformer, sous forme d'intensités et de volumes. Au même moment, je découvrais dans le champ du sport cette fois, le Mémento Brevet d'Etat et la partie "technologies sportives" écrite par H. Helal. Et tout commença dans mon esprit à s'organiser; les bouts de savoir ont commencé à se joindre, jusqu’à ce que je devienne un adepte et un "expert" de cette matière que l’on désigne sous "la méthodologie de l’entraînement sportif". Et parmi ce qui composait cette science -en est-elle une ? - : la programmation et la mesure des charges… et tout un lot d’autres dossiers très importants comme l'analyse de la difficulté d'une discipline. C’est une époque, je dois le préciser ou le modèle du champion était le seul et l’unique modèle retenu (objet de copiage) et durant laquelle, les méthodes quantitatives l’emportaient sur la vision qualitative. A partir des années 2000, beaucoup de choses changèrent dans ces domaines précisément;
  5. INVESTISSEMENT SANS COMPTER. A partir de l’âge de 28 ans à peu près, j’ai mis un terme à ma carrière d’athlète de bon niveau (je pratiquais le décathlon que j’avais découvert un peu tard) pour rejoindre le domaine de l’intervention en athlétisme. J'ai très vite évolué d’une implication modérée aux débuts, à une implication de plus en plus engagée ; je me suis investi à raison de 6 jours d'entrainement par semaine. Ces années ont été l’occasion pour moi de développer l’empirisme qui est une source de connaissances je tiens à le souligner ici, et le pragmatisme nécessaire à la conduite du processus d’entraînement. J’ai cessé de porter le survêtement en 2014, à l’âge de 58 ans ; ma dernière fonction régulière aura été celle de préparateur physique en Rugby (CREPS de Bordeaux). J’ai par la suite assuré de façon ponctuelle et dans le cadre de mes missions INSEP, quelques piges comme réathlétiseur auprès d’une population de handballeuses du plus haut niveau. L’expérience de terrain, très abondante et très riche que j’aurais eu l’occasion de vivre durant toutes ces années d'implication et d'exposition, à laquelle on pourrait ajouter mes missions d’accompagnement – conseil auprès des entraineurs du plus haut niveau et de leurs sportifs peut être considérée comme le terreau principal de ce qui m’a construit comme formateur, légitimant ainsi ce que j’avais appris dans le cadre des mes études universitaires.
  6. THEORIE ET PRATIQUE : UN DIALOGUE FRUCTUEUX Durant des années et sans avoir jamais bénéficié d’aucun aménagement horaire, j’aurais mené de front préconisations scientifiques (agrégation, doctorat, Diplôme INSEP, BE3) et régulations pratiques, assurant le "va et vient que j’aurais toujours finalement encouragé. Cette règle m'aura permis de pouvoir disposer d'une certaine crédibilité; je pouvais m'engager dans mes propos parce que je n’étais pas aux yeux de tous, un simple "professeur », mais "un entraîneur" à part entière. Parce je me confrontais, comme mes pairs, à l’histoire des résultats, des réussites comme des échecs. Le contact direct également avec mes étudiants ou avec les stagiaires qui m’étaient confiés aura été formateur parce qu’il m’aura obligé à assurer des fonctions de sensibilisation et de transposition des savoirs savants en savoirs opérationnels; de procéder également à l'analyse des feed-backs et des bilans qui ressortent de la mise en place des situations éducatives. La nature de leurs questions, de même que celles de mes athlètes, m‘aura permis de travailler encore et toujours plus finement à la délivrance d’une connaissance qui ne pouvait pas être que livresque. Il faut également que je mentionne que durant le début de cette carrière, j'ai écrit des ouvrages qui ont permis d'attester de ma position: "20 ans de recherches appliquées en méthodologie de l'entrainement sportif" (1997) et "Les experts en questions: savoirs professionnels en matière d'entraînement"(2000 et 2008). Ils témoignent pour l'un, des nombreuses lectures auxquelles je me serais adonné pour m'imprégner de la culture de la recherche en sport (170 mémoires) à un moment particulier de son histoire, et pour l'autre, de l'intérêt particulier que j'aurais eu à recueillir les réponses de 50 entraîneurs / représentant différentes disciplines sportives, s'exprimant au sujet de la façon dont ils géraient dans sa totalité, le processus d'entraînement (20 question posées). Forcément, ce travail -cette soif d'apprendre- auquel il faut ajouter la rédaction de nombreux ouvrages, articles et création de documents divers m'aura obligé à viser l'excellence. Peut-être pourrais je également ajouter à cet itinéraire, les missions qui m'auront été confiées dans le cadre de nombreux concours, pour assurer des fonctions de jury ou de coordonnateur de quelques épreuves à l'échelon national. 
  7. MES ENGAGEMENTS RESPONSABLES. Par la suite et sur la fin de ma carrière, je me suis enrichi des questions liées à l’accompagnement des acteurs. Ma fonction de Responsable de l’Unité d’aide à la performance que j’occupais à l’INSEP (2011-2018) consistait à écouter les problèmes rencontrés par les entraîneurs et les sportifs, et à répondre à leurs besoins en mobilisant l’ensemble des force disponibles de l’institution. Dans tous les domaines inimaginables de la préparation ; il fallait trouver solution et rapidement. Les multiples rencontres faites avec les plus grands entraîneurs français, voire étrangers, le fait d'intervenir dans des colloques devant des auditoires de spécialistes sur des question précises, a été une source incroyable d’informations et de remises en question ; je les remercie pour leurs confidences et les assure que je porte en moi, quelques onces de leurs discours, de leurs réflexions et de leurs commentaires. Ils m’auront obligé à toujours me dépasser. Je les aurais également accompagnés sur le plan de la confiance et de l’estime de soi, afin que d’eux ils ne doutent jamais ou le moins possible. L’INSEP est un lieu de rencontres et d’échanges unique au monde et j’ai eu cette chance d’y vivre pleinement de nombreuses années.

Ainsi vous aurais-je livré un peu de ma trajectoire ; elle n’implique pas d’être considérée comme la seule et unique voix mais elle comprend en son sein, j’ai en tout cas la faiblesse de le penser, quelques ingrédients à considérer pour la suite et la continuité des formations en entraînement sportif.

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