Chaque mois, la température de la planète est la plus chaude depuis qu'on enregistre la température. Les arguments les plus paresseux essaient de convaincre qu'il s'agit d'un cycle, que tel courant marin va nous laisser respirer un peu plus longtemps, que la technologie va magiquement nous sauver, il suffit d'avoir la foi. Pas facile.
Chaque semaine, l'actualité devient pire pour les personnes trans. Le flux et le reflux des timides avancées des droits humains ne peut pas occulter l'implacable marée de la transphobie qui nous menace, où que nous soyons.
Un des arguments qui semble en ce moment prendre de l'ampleur est celui qu'on ne devrait pas permettre aux personnes trans mineures de vivre leur transidentité, au prétexte que le lobe frontal n'arriverait à maturité que vers 25 ans. Je trouve cet argument frappant pour deux raisons. La première, c’est que cette pseudo-logique révèle ce que souvent on laisse entendre plus discrètement : la transidentité c’est mal, c’est un choix délétère, et on ne devrait pas laisser quiconque s’engager dans cette voie sans avoir un cerveau d’adulte.
(scientifiquement non plus ça ne tient pas, cette zone, qui sert entre autres à la prise de décision, est aussi malléable que le reste du cerveau, et continue de s’adapter longtemps après cet âge-là).
La seconde raison, c’est que forcer les personnes trans à attendre 25 ans pour transitionner, est une double torture, physique et psychique. Plus nous attendons pendant et après la première puberté pour engager l’éventuelle seconde puberté, et plus le travail est difficile pour les nouvelles hormones de modifier les effets causés par la première ; et si votre position est à la fois de reprocher aux personnes trans sportives d’hypothétiques avantages injustes obtenus durant la première puberté, et en même temps de refuser aux personnes trans les moyens d’éviter cette première puberté, votre volonté d’éradication se voit.
Les années d’attente imposées seront autant de souffrances à réparer. Le lobe frontal serait maturé comme il faut, le cerveau aura commencé à se fixer dans les règles imposées par une société heteropatriarcale, tout est difficile, tout est un combat. La maturation du lobe frontal est un très bel argument pour pouvoir transitionner quand on le peut, parce que s’adapter à cette nouvelle vie, et à ses défis, sera beaucoup plus facile. C’est une bonne raison supplémentaire de faciliter la vie des personnes, trans ou pas, de leur permettre de tester différentes expressions de genre au cours de leur vie. Ça passe par arrêter d’emmerder les gens qui portent des vêtement qui ne vous conviennent pas, et peut-être d'interroger pourquoi ça ne vous convient pas, ce que ça met en danger chez vous. Ça passe par désacraliser les hormones dites sexuelles, si on ne fait pas un drame d’essayer de microdoser la testostérone ou de la remplacer dans son corps par de l’œstradiol, on pourra se rendre compte que les effets sont lents, progressifs, et s’il sont minuscules pour les personnes qui n’y prêtent pas attention, ces effets peuvent changer la vie, en bien, pour celles qui les guettent. Ça passe aussi, logiquement, par laisser les adolescent·es qui en ressentent le besoin de remettre à plus tard le maelstrom proverbial qu’est la puberté. Faire cette demande, pour une personne qui redoute ou qui sent arriver les premiers tourments des caractères sexuels secondaires, est une preuve de maturité. Et quoi que vous ayez ressenti à cet âge, ce n’est jamais, rien n’est jamais le signe de forcer une personne à une thérapie de conversion. C’est pénible d’avoir à le rappeler, non ?
Tout cela démontre à quelle point ces experts, sénatrices, et autres chroniqueurs n’y connaissent rien. Si ce n’est pas l’ignorance qui explique leur attitude, alors c’est qu’ils nous veulent activement du mal.
Un exemple sidérant : cette ancienne ministre de l’enseignement scolaire, de la famille, et de l'environnement qui sort du bois pour clamer que la soi-disant vague de transidentité serait dûe à des perturbateurs endocriniens ne fait pas que répandre des théories de complots sans fondement ; elle montre le fond d’une pensée nauséabonde, qui déduit que la transidentité doit avoir une cause néfaste, et elle préfère combattre les personnes trans plutôt que cette cause dont elle aurait pu, par ailleurs endosser une part de responsabilité. En admettant une seconde que son assertion vaseuse soit juste, il conviendrait alors de prendre soin des personnes trans, pas de les empêcher d'exister. Nous sommes là, peu importe la cause. Il nous faut maintenant vivre ensemble.
Un autre exemple : la constance de la volonté eugéniste de l’État français contre les personnes trans. En 1992 la France a été condamnée pour son refus de changer l’état-civil des personnes trans qui voulaient se marier. Jusqu'en 2017 la stérilisation était imposée aux personnes trans pour obtenir des papiers d’identité qui correspondent à notre identité. Après avoir été de nouveau condamnée par la CEDH pour ce traitement inhumain, si la loi a été modifiée c’est vraiment à contrecœur. Et dès 2019 dans l’examen de la loi Bioéthique, le gouvernement a défendu sans interruption sa position contre la possibilité de reproduction des personnes trans en leur empêchant l’accès à la PMA, puis en leur interdisant la possibilité d’établir un lien de filiation avec leurs éventuels enfants.
“Non nous ne sommes pas transphobes, c’est juste qu’il faut empêcher les gens d’être trans parce que…” Parce que quoi ? La raison n’est jamais claire, dès qu’on refuse la moralisation plus ou moins religieuse fondée sur le sacré du corps, la perfection de la création, et l’immuabilité de la binarité de sexe.
Entre nous, si ces règles étaient aussi absolues, si elles avaient toujours été vraies, pourquoi avoir besoin de légiférer sur la possibilité de vivre librement, et à égalité de droits, dans un autre genre que celui décrété à la naissance ? Pourquoi avoir ressenti le besoin d’imposer ces règles strictes à l’autre bout du monde, si elles étaient universelles ?
L’autodétermination est le plus souvent un principe qui profite à celui qui tient la matraque. Que la question soit celle du droit de vote, de procréer ou pas, de porter une robe à fleurs ou un voile, de tirer rémunération de telle partie de son corps plutôt que telle autre, il y a toujours eu quelqu’un qui préférerait que nous restions dans la masse, dans la nasse, dans l’enclos, dans la mine.
La jupe est toujours trop courte ou trop longue, si on veut que celle qui porte la jupe ne puisse pas être tranquille. Hier porter un pantalon au lieu d’une jupe était un délit. Aujourd’hui vous exigez que celle qui veut porter une jupe porte un pantalon. Ça pourrait être risible, et c’est pitoyable. La planète brûle, et il semble très important de faire regarder les gens ailleurs, si possible en choisissant des boucs émissaires les plus faibles possible. Le pouvoir politique abdique tout pouvoir d’améliorer les choses pour le climat, pour la planète, et au mieux laisse faire la transphobie qui se décomplexe à tous les niveaux, quand les initiatives ouvertement transphobes ne viennent pas directement de l'État.
Dans les complots qui flottent autour de nous, les personnes trans seraient l'avant-garde de Big Pharma, prêtes à transidentifier les masses et particulièrement les enfants, afin de… faire gagner de l’argent à d’autres ? Faites un effort, accordez-nous au moins des motivations crédibles. C’est vérifiable et non controversé : les personnes trans sont plus précaires, moins salariées, en rupture familiale, en rupture de soin, et notre espérance de vie est plus courte. Alors, où sont nos chèques ? Qui fuitera les Trans Papers qui dévoilent nos comptes en Suisse et nos pavillons panaméens ?
Quelle avancée technologique pourra nous épargner ces agressions incessantes ? Pour sauver la planète on nous promet de la capture de carbone, des batteries éternelles et une productivité qui sera un jour au profit du plus grand nombre. Dès qu’il est possible de lever des fonds avec un vernis écolo, les startups éclosent comme des popcorns et se ramollissent doucement sans bruit. Aucune startup ne propose de venir à notre secours, parce que non, le marché des personnes trans n’est pas porteur. Nous n’avons pas de riches investisseurs, pas de milliardaires, pas même d’employeurs. Nous sommes déjà précaires, le lobby trans n'a pas d'argent, le lobby trans n’existe pas.
Que faire alors ? Tous les billets, toutes les tribunes n’ont pas toujours de but ou de prochaine étape actionnable. D’autres ont récemment fait des pétitions, avec plus ou moins de revendications efficaces.
La mort est la plus belle invention de la vie. C’est le renouvellement perpétuel des générations et des idées, qui permet la création, l’émergence du progrès, et de faire de la place. Le temps sur cette planète nous est compté, pas seulement par l’âge mais aussi par le climat. Espérons de vivre assez longtemps pour laisser la transphobie au passé. Choisissons de prendre soin les un·es des autres dans le temps qui nous reste, les années, les mois, les heures.
Références :
- Cour européenne des Droits de l’Homme, B. c. France, 25 mars 1992
- Cour européenne des droits de l’homme, A.P., Garçon et Nicot c. France, 6 avril 2017
- Code civil, articles 61-5 et suivants
- Association ACTHE, Communiqué de presse du 6 avril 2017
- INA : Cécile Duflot en robe sifflée par les députés à l'Assemblée, 19 juillet 2012
- Sénat, PPL 435 : Prise en charge des mineurs en questionnement de genre, 19 mars 2024
- Sénat, PPL 490 : Reconnaissance du genre à l'état civil, 2 avril 2024
- Assemblée nationale, PL 2504 visant à protéger les mineurs contre certaines pratiques médicales et chirurgicales en matière de « transition de genre », 11 avril 2024