Jeudi 7 juillet 2016, vers 21 heures, quai du Louvre: la circulation est détournée par des voitures de police et des rubans blanc et rouge. Sans doute en prévision du match du soir, me dis-je, puisqu'en sens inverse (Palais-Royal-musée d'Orsay), deux heures auparavant, j'avais déjà dû renoncer aux bus pour clodiquer sous le soleil de plomb, réjouissance nationale footballistique oblige.
Je traverse donc le quai devant un groupe de policiers et m'engage sur le trottoir qui longe le Louvre afin de traverser par le jardin - trottoir non barré, je précise; ravie qu'aucun piéton n'y piétine, vaguement étonnée d'être ainsi seule sur l'asphalte.
Dix mètres plus tard, j'entends un policier s'étonner à (très) haute voix: "Mais qu'est-ce qu'elle fait là la p'tite dame?"; je comprends vite que la "p'tite dame" c'est moi puisque l'un de ses collègues se dirige vers moi et m'interpelle: "Vous n'avez pas vu que tout était barré?"
- Si, mais pour les voitures seulement, puisqu'ici il n'y a aucune barrière ni ruban et...
- Vous ne pouvez pas passer! continue la mâle voix.
- Je veux juste regagner la rue de Rivoli; je fais comment?
- Vous marchez: vous savez, avec vos petits pieds et vos petites jambes... Vous faites le tour, c'est simple. Tout est barré, vous le voyez bien: une voiture a explosé, personne ne passe.
La brutalité de l'information me sidère et me fait ravaler la remarque acerbe prête à jaillir à propos du mode d'emploi de la marche, si obligeamment à moi rappelé. Décontenancée, je réponds bêtement: "Ce n'est pas le foot, alors?"
- Je vous dis qu'un véhicule a explosé plus loin. Faites demi-tour.
Et demi-tour je fais, inquiète déjà parce que ma fille n'est pas venue au rendez-vous prévu...
La lente traversée des Tuileries me permet cependant de relever un certain nombre d'incongruités: absence totale de sirènes, absence totale de police, amoncellement de touristes béats, familles pique-niquantes... Je me renseigne auprès d'un agent du Louvre en plus ou moins goguette: " Vous êtes au courant pour l'explosion d'une voiture près d'ici?"
Vous aurez déjà compris et j'abrège: pas plus d'explosion que de but allemand ce soir-là.
Alors je m'interroge, et vous avec:
- les forces de l'ordre auraient-elles reçu des consignes pour se rapprocher du petit peuple - "p'tites dames" y compris - afin de faire oublier à ce même petit peuple certains agissements peu réfléchis?
- pratiquent-elles à cette fin l'humour?
- si oui, s'agit-il de consignes préfectorales ou gouvernementales?
- doit-on être reconnaissant pour ces tentatives de rapprochement, quel que soit l'humour pratiqué?
- peut-on aller jusqu'à recommander aux forces de l'ordre, après moults attentats, de revoir leur définition de l'humour?
A moins que cela soit moi, tout simplement, qui manque singulièrement d'humour pour me sentir humiliée et en colère: après tout, faut-il être bête pour s'être ainsi inquiétée une heure durant à propos de ses proches! Ce n'est pas comme si on était en état d'urgence, quand même...