Bonjour Celine. J ai lu vos quatre billets à propos de Michel. Ils ne sont pas platoniques. Juste terriblement humains, et la compassion n est pas à mes yeux un renoncement.
J ai avec bcp d autres tenté d oeuvrer à une psychiatrie humaine, laquelle demande bcp de formation, d écoute, d humilité et doit avant tout ne pas juger, donner la parole aux patients et à leur famille, et accompagner inlassablement.
Cette psychiatrie ouverte a existé sans être parfaite. Je peux rappeler à M Bitton ( commenteur ds le fil) les combats de Tosquelles, Diatkine qui fut mon maitre, Paumelle...à l origine d une psychiatrie sociale, ancrée dans la cité.
Ces psy avaient connu la guerre, et s etaient insurgés contre les crimes commis ds les asiles contre les malades.
La psychiatrie a tjs bien reflété ce qu il en est de la violence plus ou moins forte d une société, de sa façon de traiter l autre, le démuni, le rebel, l étranger..Les temps sont durs pour cause de superindividualisme libéral, et le combat est à poursuivre comme l ont fait bien des soignants en 2018.
Mais, j ai recu vos écrits comme un appel porteur de cette question centrale : pourquoi use-t-on de la parole et pourquoi y renonce-t-on? Pourquoi les mots sont tus, les photos déchirées. L unique lettre, tant attendue..car il y a tjs quelqu un qui attend nos paroles sinon à quoi bon vivre? Vous attendiez sans doute cette lettre et je crois qu à votre façon vous l avez lue crée comme disait Winnicott( un pediatre psy bien ancré sur la terre).
Nous ne pouvons habiter notre corps, et notre vie, que d avoir été aimé, vu, parlé par d autres humains. Ce sont ces liens qui libèrent. Et il est vrai que les fracas non dits sont un poison muet qui pénètre au centre de nos vies de toute sa tyrannie.
Alors voilà, ce devrait être évident mais cela demande spontanéité et longue formation du côté des psy, une formation où on n est pas le docteur sachant( et je ne prône aucune attitude démagogique car le savoir est bien sûr utile) mais quelqu un qui comprend que le métier de psychiatre demande plus qu à tout autre médecin d articuler des connaissances avec une aptitude au lien. Pour ma part je suis devenu psychanalyste pour être en mesure d offrir cette psychiatrie centrée sur la parole, une parole à trouver, souvent incertaine qd dominent chaos violence et sensations dépersonnalisantes, une parole non idéalisée et qui fait sa place à une usage raisonné des medicaments ( oui il y a eu pas mal de progrès, en effet pas tjs repérables ds les pratiques de prescription françaises) , et surtout de médiations trop svt délaissées ( écriture, photolangage, theàtre, sport, groupe de parole)
Il n y a de vie pour nous tous que dans le récit que nous nous en faisons, dans le renouvellement de celui ci qui ne peut se faire que dans la rencontre et l amour.
Oui. La parole. Le fantôme des générations. Les violences qu il nous faut nommer car elles sont en nous comme des corps étrangers qui nous gouvernent. Sortir des places assignées. Oser s avouer la maltraitance ( qd elle a existé) de ceux pour lesquels on garde encore de l amour malgré la confiance trahie. Car, c est peut être cela le récit, et peut être cette lettre, nous avons besoin de tenir ensemble toutes ces parties, les meilleures et les destructrices, pour enfin avoir le droit de vivre. Les tenir ensemble, non pas s y soumettre, mais les penser, avoir le droit de le faire, y être aidé. C est ce qui manque terriblement à la psychiatrie actuelle pour mille raisons : nous vivons la chute vertugineuse du manque d ambition à faire lien, parole et rencontre.
Je ne peux que vous donner mon témoignage personnel après une longue expérience sur laquelle j ai écrit( Schizophrénies Dialogues, Puf) en direction des personnels soignants et en étant convaincu que l enjeu de la psychiatrie est politique, sociétal, et que ces deux aspects conditionnent la façon de former et pratiquer : j ai tjs connu des patients, schizophrènes ou pas, soucieux même ds l état le plus délabré des mots et des attitudes d accueil qu on a su leur proposer.
Il est très intéressant de suivre des patients sur des années et de leur donner l espace pour partager ensemble ce qui svt a été vécu comme une impasse violente, absurde ds le feu de l urgence. Pour mieux comprendre ensemble, pour que les psy prennent leur part d erreurs ou de surdité qui surviennent nécessairement ds ces situations complexes et parfois explosives. Ce travail de longue haleine est encore porté par bcp mais plus assez. Il demande moyens et engagement humain. Il restaure la confiance et est le meilleur garant contre les violences institutionnelle.
Merci de votre témoignage que j ai pris comme un appel à une psychiatrie de la rencontre. Nous avons besoin qu elle soit défendue par les citoyens.
Nourredine Ben Bachir psychiatre psychanalyste