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Billet de blog 15 févr. 2023

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Victimisation secondaire lors d'un procès pour viol aux assises de Chambéry

Cette tribune est un retour de ce qui a été observé d'un œil féministe lors d'un procès pour viol aux assises de Chambéry ces 9 et 10 février 2023. Avertissement TW : violences sexuelles

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Ces 9 et 10 février 2023, un procès pour viol s'est tenu à la cour d'assises de Chambéry.  Charlotte G., victime, avait porté plainte contre Florian M. pour viol par pénétration digitale le 17 février 2019 aux Arcs.

Il aura fallu 4 ans de procédure pour qu'un procès aux assises s'ouvre et que Charlotte G. soit enfin entendue en tant que victime, après cette nuit traumatisante passée aux Arcs.

Comme elle n'était pas de la région de Chambéry, Charlotte avait souhaité être soutenue par les associations féministes pour ces deux journées éprouvantes. Nous étions donc nombreux et nombreuses ces 9 et 10 février au palais de justice de Chambéry, dans la salle d'audience ou devant, à observer ce procès avec nos yeux de féministes .

Comme l'a rappelé Me Anne Bouillon, l'avocate de Charlotte G. de réputation nationale sur le sujet des violences sexuelles, partie civile, "210 000 viols ou tentatives de viol sont déclarés au ministère de la justice chaque année en France, soit 575 viols par jour, 24 viols par heure." C'est si commun. Et bien peu d'entre eux aboutissent à la cour d'assises, lieu où ils devraient être systématiquement jugés.

Cette fréquence nous interroge, nous, féministes. Il nous semble que si ce crime était mieux puni, si les agresseurs connaissaient les peines infligées, ce serait moins banalisé, les victimes seraient moins nombreuses et tout le monde se porterait mieux. 37% des femmes disent avoir subi un rapport sexuel non consenti (source : Rapport du Haut Comité à l'Egalité HCE)

Lors de ce procès, l'avocate générale Me Brunisso était manifestement au courant des problématiques des violences sexuelles, elle a tenu un réquisitoire très approprié et juste. L'avocate de la partie civile a fait une plaidoirie hors pair. La présence de ces personnes nous a semblé permettre de limiter les paroles inacceptables, mais cela n'a pas empêché des propos insupportables de l'avocat de la défense et une certaine indécence dans le déséquilibre des paroles.

En effet, les détails les plus intimes de la vie de la victime ont été relatés, étalés en détail plusieurs fois au cours du procès. Alors que la vie et la personnalité de l'accusé n'ont été que peu abordées. Il ne devrait pas être nécessaire de vivre pareille mise à nu pour obtenir justice pour des faits aussi graves. 

Voilà donc quelques points qu'il nous semblerait utile de remettre en question:  

 - la définition pénale du viol pose problème :  celle-ci ne comprend pas le terme "consentement", ce qui fait qu'il faut prouver qu'il y a "violence, contrainte, menace ou surprise", en plus de la pénétration, pour que le viol soit reconnu. Cela oblige à passer du temps sur le fait qu'il y a eu violence ou contrainte, et ces démonstrations sont souvent pétries de culture du viol.
Ainsi Me Connille, avocat de la défense, a pu déclarer dans sa plaidoirie : "quand on maintient les jambes il y a des rougeurs qui restent..."
Et même : "il en faut de la force pour ouvrir les cuisses de quelqu'un qui ne veut pas" comme si tout un chacun, à commencer par l'avocat lui-même, avait déjà essayé de faire ce geste.

 - la question de l'état de conscience de la victime ne devrait pas être posée, sauf pour parler de circonstances aggravantes. Un temps énorme a été passé à s'interroger si la victime était ivre ce soir là, en fonction du nombre de verres qu'elle avait bu.
A aucun moment les mots  "circonstances aggravantes" pour le viol d'une personne alcoolisée n'ont été prononcés. La question était plutôt de savoir si la victime aurait été ivre au point d'imaginer avoir vécu ce viol sans qu'il n'ait eu lieu.

 - la question de l'état de conscience de l'auteur ne devrait pas être posée de cette manière : beaucoup de temps a été pris pour savoir si l'accusé était conscient de ses actes, ou trop ivre pour l'être. Pourtant, pour l'immense majorité d'entre nous, même sous alcool, même sous substance, on ne viole pas.

 - les informations personnelles livrées lors du procès et notamment des expertises psychologiques et psychiatriques : quelle indécence ! D'assister à une mise à nu de la victime, par la lecture intégrale des expertises psychologiques et psychiatriques, la vie de ses parents. L'intégralité de ses relations amoureuses, prénoms et durée (et jugements portés sur celles-ci, car 10 mois serait une relation "courte"),  raisons de ses ruptures, poids, taille "proportionnée, dans la moyenne", "maquillée modérément sans excès" et description du tatouage de la  victime.
La lecture intégrale des sms qu'elle a envoyés durant la nuit du viol, de sms envoyés avant cette nuit-là à son ex, le témoignage de son ex., les recherches faites sur internet sur son téléphone...
L'auteur, quant à lui, avait (comme par hasard ?) perdu son téléphone au moment des faits.
Les experts psychologiques et psychiatriques qui l'avaient examiné étaient absents, il a été fait une lecture très partielle de leur expertise, avec très peu d'éléments personnels.
Nous ne saurons rien ni de sa mère, ni de son père, ni de ce qu'il pense d'eux. Un traitement fondamentalement à l'opposé de celui fait à la victime.
Au final, on connait plus la vie de l'avocat de la défense, que celle de l'auteur. On sait notamment parce qu'il l'a dit dans sa plaidoirie, qu'il "garde son caleçon quand il va dormir chez des amis" et "qu'il est marié depuis 12 ans".

Les éléments donnés sur la victime sont non seulement teintés de culture du viol, mais aussi inutiles car sans rapport avec l'évènement. Pourquoi n'y a-t-il pas de limite à ce qui est rapporté, à ce qui a du sens pour l'affaire en cours ?
Garder un peu d'intimité, de considération pour la victime parait la moindre des décences. Que son intimité soit au moins aussi protégée que celle de  l'accusé.

- En quoi le fait d'appeler en témoin des ex-compagnons (qui potentiellement nous détestent) est un élément pertinent ?
Nous réclamons le droit à obtenir justice des agressions que nous subissons sans avoir à subir une telle mise à nu de nos vies, de celle de nos parents et de nos ex.
Nous avons le droit d'avoir une vie sexuelle épanouie, y compris avec plusieurs partenaires d'un soir, sans que ça ne soit compris comme une raison qui explique un viol. Les deux choses n'ont rien à voir.
Imaginer qu'il puisse y avoir un lien est une émanation de la culture du viol.
Stop à cette exposition de nos vies à ces regards et ces interprétations pétries de culture du viol.

Alors que c'était le procès de l'accusé, 90% du temps a été passé à s'occuper de savoir si la victime était bien "crédible" car non-alcoolisée, car non guidée par une envie de vengeance sur les hommes.

Tandis que l'accusé restait dans une posture de silence, caché derrière ses  "je ne sais pas", "c'était il y a 4 ans".  Il n'y a eu aucun témoin personnel pour l'accusé,  personne qui n'a témoigné de qui il était au quotidien, comment il se comportait (en tout cas lors du procès) contrairement à la victime.

- Même si cela semble être dans les principes fondateurs de la justice à ce jour : est-il inévitable de terminer par la plaidoirie en faveur de l'accusé ? Cela vient mettre beaucoup de doute et semer des graines de culture du viol dans les esprits des jurés et de l'auditoire, qui repartent avec tout ça.
Même si l'agresseur a été effectivement condamné, les doutes émis à ce moment final vont rester en nous. Et l'agresseur lui-même peut s'inventer sa propre histoire sur cette base et s'estimer innocent et victime d'une erreur judiciaire.
Avec ses mots crus qui donnent l'impression de ne pas respecter les victimes, l'avocat de la défense a déclaré défendre "des enfants que l'on retrouve avec l'anus déchiré", oser avancer que la victime aurait menti  et que son agresseur lui avait peut-être mis les doigts ailleurs que dans le vagin puisqu'on ne savait pas ce que voulait dire  "il m'a mis les doigts" lorsqu'elle le disait en état de choc.

L'avocat de la défense n'a cessé de rappeler "cette affaire c'est la preuve du rien par le vide", insinuant que l'accusé pourrait être condamné sans preuve. Or des preuves il y en avait. Si il n'y en avait pas eu un minimum, l'accusé ne serait pas passé devant la cour d'assises. Laisser insinuer qu'on condamne des innocents, c'est encore une fois participer à la culture du viol.

Évidemment, la référence à l'affaire Outreau, systématiquement utilisée pour décrédibiliser la parole des victimes, a été faite durant l'audience, par l'avocat de la défense qui a fait lecture du profil psychologique de Myriam Badaoui, pour essayer de montrer une ressemblance avec le profil psychologique de la victime.

Charlotte avait été victime d'inceste par son père, qui avait été condamné. Le procès se tenait alors à huis clos puisque Charlotte était mineure et représentée par sa mère. L'avocat de la défense a eu l'indécence d'utiliser des preuves de cette autre affaire passée il y a 18 ans et de les ramener dans sa plaidoirie, en résumant cet épisode hautement traumatisant en peu de mots. On peut d'ailleurs se demander dans quelle mesure il est autorisé de relire des détails précis extraits du témoignage de la victime lors d'un procès en huis clos d'il y a 18 ans.

L'avocat de la défense a même osé émettre l'hypothèse que Florian aurait refusé de sortir avec Charlotte et que la victime aurait fomenté ce plan pour se venger de lui. Il faut oser. Une telle insinuation mensongère crée un énième traumatisme.

Au final, est-ce normal de devoir subir 1h45 de discours si blessant pour la victime

Heureusement, nous avions entendu, en amont, 45 minutes d'une plaidoirie ferme, efficace et même poétique de Me Anne Bouillon, avocate de Charlotte G. qui a déclaré, "Au contraire de ma cliente, Florian M. n'a déplacé aucune montagne, pas la moindre colline, pas le moindre petit talus". 

Après avoir rappelé que la plupart des viols sont commis par des hommes ordinaires et non des assassins multirécidivistes, elle a cité Adèle Haenel : "Les monstres ça n'existe pas" et Gisèle Halimi "C'est la vie normale qui fait le violeur". Elle a également rappelé que "Toutes les femmes paramètrent leur vie en fonction de la peur du viol". 

"Le viol c'est la négation de l'autre, l'objetisation de l'autre à ses fins" a déclaré l'avocate générale lors de sa réquisition.

Suivant leur intime conviction, les juges et jurés ont reconnu l'accusé coupable et l'ont condamné à une peine de 5 ans de prison dont 3 ans fermes et incompressibles ainsi que 2 avec sursis, avec une peine d’inéligibilité pendant 10 ans, une obligation de soin et une inscription à vie dans le fichier des auteurs d'infractions sexuelles ou violentes (Fijais).

Les jurés ont permis de remettre le monde de Charlotte à l'endroit, tel que le demandait Me Bouillon.

Que ce serait-il passé si les jurés avaient décidé de l'acquitter ? Il n'aurait pas été possible pour la victime de faire appel de cette décision, contrairement à l'accusé qui peut faire appel de sa condamnation sous 10 jours, ainsi que l'avocate générale dans des cas exceptionnels.

Il n'est pas non plus possible à la victime d'obtenir une condamnation pour autre chose que celle qui est l'objet du procès en Assises, dans ce cas précis, celle de viol. L'agression sexuelle étant pourtant avérée par une preuve ADN, la victime n'aurait pas pu relancer un procès car on ne peut juger deux fois une personne pour un même fait. 

Il semble utile de rappeler que la culture du viol n'a pas sa place durant un procès, pas plus que dans la vie normale.

Pour que le nombre de viols baisse, il est essentiel de sortir de l'impunité et de faire en sorte de prendre plus en compte la victime pour ne pas créer de victimisation secondaire et ainsi, donner confiance dans la possibilité d'obtenir justice. 

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