Professeur de sciences politiques françaises et européennes à University College à Londres, Philippe Marlière crée avec l’ex député européen Liem Hoang Ngoc un « club » baptisé les « socialistes affligés », qui se réunit samedi 7 juin à Paris.
Pourquoi créer un nouveau club de pensée à gauche ?
Notre réflexion est partie du désarroi crée par la présidence de François Hollande, qui a été aggravé par l’arrivée de Valls. C’est une idée que nous avons longuement murie, et qui éclot parce que nous sommes en total désaccord avec le pacte de responsabilité de Valls. Nous sommes à la pointe de cette contestation. Il ne faut pas oublier que l’on vient de frôler la crise de régime. 41 députés socialistes se sont abstenus lors du vote du pacte de responsabilité. S’ils avaient voté non, il n’y avait plus de majorité à l’assemblée et il aurait fallu organiser des législatives. Donc on comprend que les 41 ne soient pas allés plus loin. Mais il y a un vrai malaise.
N’y a-t-il pas déjà trop de courants au sein de la gauche ?
Nous voulons créer non pas un courant, mais un club. Cette idée de club est liée à ceux de la Révolution française, et aussi aux clubs politiques qui fleurissaient avant le congrès d’Epinay, en 1971. La contestation est riche aujourd’hui, c’est vrai, mais c’est normal, parce que le PS est en train d’emmener l’ensemble de la gauche dans sa défaite. Voire vers l’extrême droite : c’est ce qu’il se passe dans les faits.
Actuellement une centaine de parlementaire français se réunissent tous les mardis avant la réunion officielle du groupe à l’Assemblée. Il y a un vrai problème, nous proposons un lieu de convergence des idées, créer des passerelles entre les roses rouge-vert-rose.
Toute la mandature de François Hollande semble perdue tant elle s’inscrit dans la continuité du sarkozysme. Nous voulons montrer qu’il y a une autre voie.
Sur quels sujets prioritaires portera la réflexion des Socialistes affligés ?
Nous voulons discuter d’Europe, de l’euro, mais aussi des institutions françaises. Il faut en finir avec ce monarque-président crée par la Vème république. Nous allons lancer des ateliers en province sur ces sujets. L’euro, la monnaie unique, ca peut être une bonne idée. Mais si c’est une monnaie surveillée par la Banque centrale européenne à Francfort qui ne veille qu’aux intérêts allemands, soit au taux d’inflation et aux dépenses publiques, on crée de fait une Europe à plusieurs vitesses.
Quel regard portez vous sur l’élection européenne ?
Quand on voit le résultat d’une large victoire de la droite, il faut réagir. Les socialistes ont fait un très mauvais score, le Front de Gauche stagne : l’électorat de gauche s’est visiblement abstenu. On s’enfonce dans l’abime et pourtant personne ne veut prendre l’initiative du dialogue. Il est urgent de le faire. Le Front national a fait une synthèse entre les thèses d’extrême droite sur l’émigration et la contestation de gauche radicale sur le partenariat transatlantique et le social, et il faut démystifier ce discours.
Alors que la droite et l’extrême droite a largement perdu les élections européennes, quels sont les arguments de la gauche ?
Il y a eu une vraie contradiction entre la campagne de Martin Schulz, qui prétendait parler pour la gauche, et la réalité de l’action du Parlement européen ces dernières années. Martin Schulz a œuvré pour faire accepter aux eurodéputés un budget européen en baisse. Ensuite il a fait campagne pour une Europe sociale…c’est de l’hypocrisie. Il a co-géré une Europe néolibérale. Ce qu’il faudrait aujourd’hui c’est une réorientation à gauche de ces dirigeants politiques, comme le Labor d’Ed Miliband est en train de faire. En France, Hollande découvre les délices de la « troisième voie » de Tony Blair, avec 20 ans de retard ! Tout doit passer par le marché., toutes les réformes qu’il fait vont en ce sens.
Sur la Taxe sur les transactions financières, les Français ont tout fait pour la raboter ; et bien ils ont repris le modèle des travaillistes, qui faisaient systématiquement le travail de sape. Hollande fait même de la surenchère par rapport à ce qu’a accompli Tony Blair. Qui a tout de même mené une politique du centre avec une volonté de redistribution et de consolidation des services publics.
Que pensez-vous du processus de désignation du président de la Commission européenne ?
Plus on s’écarte des partis politiques, moins on joue le jeu du Traité de Lisbonne. On se rend compte que les gouvernements veulent continuer de bidouiller comme avant, et on nous sort de nouveaux noms du chapeau : Christine Lagarde, Pascal Lamy…Dans une élection parlementaire, ce n’est pas forcément le premier parti qui forme une majorité. Ça peut être le candidat qui arrive à réunir le plus. Les conservateurs pourraient sans doute s’allier aux libéraux, mais lorsqu’on fait le décompte on s’aperçoit qu’il y a sans doute quelque chose à jouer à gauche.
Vous pensez qu’une alliance extrême gauche/PS et Verts est envisageable au Parlement européen ?
Pour que la gauche radicale soit d’accord, il faudrait que les sociaux-démocrates reviennent sur les politiques d’austérité qu’ils sont en train de mener, c’est ce que Alexis Tsipras, le leader de la gauche radicale a toujours soutenu.
Propos recueillis par Aline Robert
Entretien publié sur le site Euractiv.fr, le 6 juin 2014.
http://www.euractiv.fr/sections/elections-2014/philippe-marliere-le-ps-emmene-lensemble-de-la-gauche-la-defaite-302644