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Billet de blog 10 juin 2014

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Créer un front anti-austérité à gauche

Les « socialistes affligés » ont tenu leur pari et ont rassemblé les dirigeants de partis de gauche qui n’avaient plus l’habitude de se voir et de se parler ces derniers temps : Pierre Laurent (PCF), Éric Coquerel (PG), Clémentine Autain (Ensemble), Gérard Filoche (PS), Eva Joly, Pascal Durand et Julien Bayou (EELV) ont dialogué dans la bonne humeur !

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Les « socialistes affligés » ont tenu leur pari et ont rassemblé les dirigeants de partis de gauche qui n’avaient plus l’habitude de se voir et de se parler ces derniers temps : Pierre Laurent (PCF), Éric Coquerel (PG), Clémentine Autain (Ensemble), Gérard Filoche (PS), Eva Joly, Pascal Durand et Julien Bayou (EELV) ont dialogué dans la bonne humeur !

Dans une salle comble, des économistes, des représentants d'associations et des militants ont débattu pendant quatre heures. Les dirigeants des diverses composantes de la gauche ont toutes redit leur opposition à la politique menée par Hollande et Valls, une politique ultra-minoritaire à gauche, dans le pays, et qui n’a même pas de majorité au sein du PS.

Le club des « socialistes affligés » est maintenant officiellement créé. Ce n’est qu’un premier pas et nous n’allons pas en rester là. Nous comptons organiser cet automne d’autres colloques à Paris et en province. Nous continuerons d’interpeler les partis de gauche pour qu’ils clarifient leurs positions sur la nature de la riposte qui s’impose. Nous proposons de créer un « front commun anti-austérité à gauche ».

Il y a urgence et il y a encore beaucoup à faire de ce côté-là : la politique économique du gouvernement est aussi injuste qu’inefficace. En se coupant de plus en plus de sa base sociale, le gouvernement entraîne toute la gauche dans l’abîme. Le scenario catastrophe d’un Front national aux portes du pouvoir ne peut même plus être balayé du revers de la main.

Les débats ainsi que la conclusion de ce colloque par Liêm Hoang-Ngoc ont été filmés et seront mis en ligne prochainement. En attendant, nous reproduisons, ci-dessous, l’adresse de Philippe Marlière, en introduction des travaux.

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Mesdames, messieurs,                           

Cher(e)s ami(e)s, Cher(e)s camarades,

Je m’appelle Philippe Marlière. Je suis le co-fondateur avec Liêm Hoang Ngoc du club des socialistes affligés. Nous sommes heureux d'accueillir aujourd’hui à Paris les représentants des médias, des militants et des dirigeants de gauche, ainsi que de simples citoyens. Nous ne sommes pas peu fiers de rassembler les dirigeants nationaux des diverses composantes de la gauche !

Avant de céder la parole à nos intervenants, je voudrais brièvement vous présenter les objectifs de ce club, ainsi que son mode de fonctionnement. Je voudrais aussi ouvrir quelques pistes de réflexion pour le débat.

1. Pourquoi former un « club » et pourquoi sommes-nous des « socialistes affligés ?

Nous ne sommes pas un micro-parti, mais une structure de réflexion et de riposte politique qui veut aider à rassembler la gauche de transformation sociale sans exclusive partisane.

Les clubs ont été un foyer d’agitation politique intense pendant la révolution. Nous nous constituons en « Club des socialistes affligés », car ce qui nous afflige et indigne, c’est que la politique du gouvernement pervertit la notion même de socialisme, et l’espoir historique de progrès social associé à ce terme.

Liêm est un dirigeant national du Parti socialiste, un parti dans lequel j’ai milité mais que j’ai quitté il y a plusieurs années. Je suis aujourd’hui un compagnon de route du Front de gauche. C’est là toute l’originalité de notre démarche. Nous nous adressons à tous les socialistes sui generis, pas simplement aux adhérents du PS. Nul besoin d’être membre du PS pour nous rejoindre. On peut adhérer à notre club tout en maintenant une appartenance partisane, syndicale ou associative. Nous sommes en train de constituer un réseau de correspondants locaux qui seront mandatés pour organiser des ateliers en province.

Nous débattrons avec les acteurs politiques, sociaux et intellectuels de questions que la gauche n’a pas résolues ou traitées : Comment coordonner une campagne nationale et internationale contre le Grand marché transatlantique ? Quelle stratégie de gauche réaliste pour l’euro et Europe ? Une 6e république pour quoi faire ? Qu’est-ce qu’une réforme fiscale vraiment de gauche ? Quelle réforme de gauche pour les universités ? Comment mettre en place la planification écologique ? Pourquoi l’altérité ethnique et culturelle sont-elles tabous dans la république ? Pourquoi la gauche n'a rien ou si peu à dire sur l'identité de genre et la domination masculine ?

2. Unité contre l’austérité

Malgré deux débâcles électorales, dont l’une a vu un parti d’extrême droite remporter une élection nationale, François Hollande et Manuel Valls ont indiqué que le cap de l'austérité serait maintenu et le pacte de responsabilité était plus que jamais d'actualité.

Cet entêtement dans une voie manifestement catastrophique pour la gauche constitue un tournant historique. La droitisation du gouvernement est telle qu’elle ne peut plus être présentée comme un repli temporaire ou une démarche contrainte par un environnement hostile. Elle apparaît de plus en plus idéologiquement consentie et acceptée. Est-ce que cette droitisation laisse présager une évolution à l’italienne du PS ? Il est trop tôt pour le dire avec certitude, mais beaucoup le pensent à gauche. En 20 ans, le PCI s’est transformé en une social-démocratie modérée, puis en une variante transalpine du blairisme. Aujourd’hui le Parti démocrate de Matteo Renzi n’est ni socialiste, ni social-démocrate, mais « démocrate », c’est-à-dire de centre droit comme le Modem en France.

Faut-il en déduire que le PS est un « parti de droite » qu’il faut rejeter en bloc ? Si le PS, de manière générale, était de droite, pourquoi le Front de gauche et EELV auraient-ils appelé à voter pour François Hollande en 2012 ? Par ailleurs, si le PS n’était pas perçu par une majorité du public comme étant de gauche, pourquoi l’ensemble de la gauche a-t-elle perdu du terrain lors de l’élection européenne ? Aussi injuste soit-il pour les autres partis de gauche qui n’y sont pour rien dans cette débâcle, la politique de Hollande discrédite l’ensemble de la gauche car les électeurs associent le PS à la gauche.

Ne désespérons pas les électeurs du PS dont une large majorité est aussi déboussolée et en colère que les électeurs du Front de gauche ou de EELV. Les électeurs qui votent socialiste font un vote de gauche, contre la droite et ses politiques. Quelle que soit la nature de la politique gouvernementale, ce vote de classe demeure une réalité politique première. Dire que tout le PS est de droite, c’est implicitement dire aux électeurs du PS qu’ils sont aussi de droite ! Nous pensons qu’il faut dialoguer avec eux et leur proposer, avec les élus socialistes critiques, des débouchés politique à gauche. Il faut donc distinguer le gouvernement et ses soutiens dans le PS, et les militants et électeurs socialistes qui rejettent cette politique.

Ceci dit, les élus et militants socialistes ont maintenant très peu de temps pour tenter d’inverser cette orientation néfaste. S’ils échouent ou s’ils ne s’appliquent pas vraiment à le faire, il est vraisemblable que le PS connaitra à terme le sort du PASOK en Grèce.

3. Rejet de l’interprétation nationale-ethnique de la crise

Le renforcement du Front national place la gauche devant des responsabilités historiques. La percée électorale de l’extrême droite indique que, pour le moment, l’interprétation nationale-ethnique des rapports de domination socio-économique s’est imposée dans les consciences. Comme le remarque Edwy Plenel : « Quand les opprimés se font la guerre au nom de l'origine, les oppresseurs ont la paix pour faire leur affaire, c’est-à-dire des affaires ».[1]

En réaction, certains à gauche préconisent, à tort, un repli national. Ils opposent les réformes « sociales » aux réformes « sociétales ». Le gouvernement porte une lourde part de responsabilité dans ce domaine : il a soutenu du bout des lèvres la loi sur le Mariage pour tous, a renoncé à l’accès à la PMA pour les lesbiennes, a une fois encore abandonné le projet de droit de vote aux élections locales pour les étrangers extracommunautaires. Il y eut enfin une prise de position contraire aux valeurs républicaines sur les Roms d’un ministre de l’Intérieur depuis promu premier ministre.

La gauche doit proposer une représentation du peuple qui inclut toutes les minorités. Opposer le social au sociétal est absurde car les deux sont étroitement liés. La classe et l’ethnie ou encore la classe et le genre ne sont pas des notions antinomiques, mais elles se recoupent. Les questions de salaire et de retraite sont aussi des questions de genre, car les femmes sont les premières touchées par la discrimination sur les salaires et les retraites. Les questions liées à l’immigration sont avant tout des questions sociales, car les immigrés appartiennent en général aux classes populaires.

4. Jalons pour une riposte unitaire

Il faut se rendre à l’évidence : la dénonciation et la critique argumentée de la politique du gouvernement ne suffiront pas à renverser le rapport de force. Les électeurs de gauche ne nous rejoindront que s’ils ont le sentiment que leur vote en notre faveur est utile et « peut faire la différence ». Je soumets ici très brièvement deux pistes pour que la gauche reprenne contact avec son électorat :

Premièrement, pour vaincre, la gauche doit tenir un langage clair, précis et proposer une série de mesures fortes qui, si elles étaient mises en œuvre, « feraient la différence » et amélioreraient la situation des Français. Nos électeurs réels ou potentiels doivent pouvoir identifier dans le paysage politique un pôle unitaire qui porte ces mesures. La visibilité que cette démarche nous procurerait permettrait à la gauche de reprendre la main et redonnerait espoir à nos électeurs.

Nous avançons, à titre d’exemple, quelques mesures, susceptible de briser le cycle de démobilisation et de dépolitisation en cours chez nos électeurs : les 32 heures, la réforme fiscale, la séparation des banques, un système de retraite juste et efficace, la revalorisation du Smic, le contrôle des licenciements, le recrutement de fonctionnaires dans les hôpitaux et l’enseignement public, la transition énergétique, la 6e république. Il faut mettre l’accent sur des réformes radicales de rupture avec le néolibéralisme dans le cadre d’une coalition rouge-rose-verte.

Nous proposons de mettre sur pied une coordination permanente d’un « front commun anti-austérité » Elle aurait la responsabilité de mener campagne dans les médias et d'interpeler le gouvernement.

Les partis ne disparaîtraient pas dans ce rassemblement ad hoc. Il est fondamental que le Front de gauche continue de développer un pôle de radicalité concrète en parallèle de son engagement dans un front commun anti-austérité. Un Front de gauche sectaire et replié sur lui-même ne servirait pas à grand chose. Inversement, un Front de gauche qui ne cultiverait plus sa radicalité ne permettrait pas à la gauche de construire les ruptures nécessaires avec l’ordre actuel.

En résumé, on peut imaginer un cadre dans lequel les actions de partis de gauche autonomes se recouperaient au sein d’un front commun anti-austérité.

Deuxièmement, la forme de parti de gauche traditionnelle doit être rééquilibrée par une ouverture vers les nouvelles formes de militance issues des mouvements sociaux. La gauche partisane doit aussi rebâtir son action par le bas. Son combat doit davantage s’inspirer des résistances, des luttes et des aspirations quotidiennes des citoyens. Il faut associer et relier davantage les couches moyennes, les milieux populaires et les nouvelles catégories précarisées. Il faut imaginer de nouveaux modes de militance qui reposent sur des discours moins idéologiques et se réfèrent à des symboles plus contemporains.

Le succès de Podemos en Espagne, mouvement issu des Indignados, apporte la preuve qu’une campagne et des candidats issus des mouvements sociaux, parlant un langage neuf mais clairement de gauche, peuvent mobiliser et redonner espoir. Comme le suggère le sociologue Éric Fassin, il faut que des « publics » minoritaires – c’est-à-dire  des gens mobilisés pour une cause spécifique - se réapproprient une « langue de gauche » contemporaine et deviennent des « minorités agissantes ».[2] Des publics déterminés peuvent faire triompher une cause minoritaire.

******** 

Le 14 mai, sur le plateau « En Direct Mediapart », Jean-Luc Mélenchon, débattant avec Jean-Christophe Cambadélis (PS) et Emmanuelle Cosse (EELV) affirmait : « On peut bien sûr débattre à un niveau idéologique, mais il faut ensuite venir sur des choses concrètes et parler sérieusement programme ». Nous sommes entièrement d’accord avec toi, Jean-Luc : débattre à gauche, d’accord, parler programme, assurément. A cela, ajoutons : ripostons politiquement ensemble, maintenant. Voilà ce que les socialistes affligés proposent à la gauche !


[1] Edwy Plenel, "Notre responsabilité", Mediapart, 4 juin 2014, http://www.mediapart.fr/journal/france/040614/notre-responsabilite

[2] Éric Fassin, « Il faut peser plus que notre poids, devenir des minorités agissantes », Regards, 6 mai 2014, http://www.regards.fr/web/eric-fassin-il-faut-peser-plus-que,7707. Voir aussi du même auteur : Gauche : l'avenir d'une désillusion, Paris, Textuel, 2014.

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