Si nous suivons le raisonnement de M. Méhaignerie, nous serons vite contraints d'admettre que c'est le mode de vie des Français qui est trop coûteux. Retraites, "sécu", salaires... Tout cela plombe la compétitivité du pays, non ? Or si nous ne devenons pas plus compétitifs, ce sera le déclin : pertes des emplois, etc. Donc, pour rester dans la course, il faudra réduire les prestations sociales, ne pas augmenter les salaires et accepter de voir le coût de la vie s'envoler. En accélérant un peu le rythme, nous devrions rattraper les Chinois dans quelques décennies. Entre temps, la plupart des Français seront devenus plus pauvres, VRAIMENT plus pauvres.
Les citoyens ont-ils élu leurs représentants pour se voir dire qu'il va falloir se serrer la ceinture encore et toujours ? Ou bien pour préserver leur bien-être et réduire la pauvreté ? Or dans l'économie telle qu'elle nous est présentée par la plupart des hommes politiques et des médias, il n'y a pas d'autre schéma possible qu'une course éperdue à la compétitivité. La mondialisation est brandie comme une donnée aussi évidente que la dérive des continents ou la course des planètes. Or il n'en est rien.
La mondialisation économique actuelle est le fruit de décisions politiques. Certes, les conditions qui ont rendu possible ce scénario - effondrement du bloc communiste, ralliement de la Chine à l'économie de marché, etc. - sont le produit de l'histoire et rares sont ceux à les avoir prévues. Elles n'ont pas pour autant créé ex nihilo la "mondialisation". Cette situation a été instituée de toutes pièces par des décisions purement politiques (abaissement des droits de douane, dérégulation financière, etc.). La mondialisation n'est donc pas le résultat inéluctable de la marche de l'histoire. Tous ceux qui présentent la mondialisation comme un fait indépassable se trompent. Comme toutes les constructions humaines, la mondialisation peut être modifiée ou détruite.
En attendant, elle sert d'argument imparable pour détruire, morceau par morceau, le système de protection sociale, un élément essentiel au bien-être de millions de Français. Pourquoi n'est-il jamais question de remettre en cause cette fameuse mondialisation ? Pourquoi personne ne propose de dresser des bannières douanières qui protégeraient les emplois et, du même coup, le système de protection sociale ? Pourquoi le débat tourne-t-il toujours autour des mesures qui doivent restaurer la compétitivité des entreprises françaises alors même que c'est impossible ?
Refermons les frontières alors ? C'est pas gagné... Les acteurs économiques les plus puissants du pays ont épousé la mondialisation à bras le corps. La grande industrie française n'a plus besoin, sauf à titre d'alibi, des ouvriers français, des ingénieurs français, ou même des informaticiens français, pour prospérer et engranger des bénéfices toujours plus importants. C'est le miracle de la mondialisation : en abolissant, non pas les frontières, mais les droits de douane et autres broutilles qui cloisonnaient les marchés, les gouvernements ont permis ce prodige : désormais, les industriels mondialisés peuvent fabriquer à un coût chinois et vendre à un prix européen ou américain. Dans leur sillage, ils ont entraîné leurs fournisseurs, sommés de délocaliser eux aussi pour réduire les coûts et garder une réactivité maximale. Dans une telle situation, quel industriel ne rêverait pas de délocaliser ?
Seule ombre au tableau : la compétitivité des pays développés comme la France en prend un sale coup... La suppression des barrières douanières entre pays qui ont des niveaux de vie très différents ne peut que bénéficier qu'à celui dont les coûts sont les plus bas. N'importe qui peut comprendre un tel théorème. Est-ce pour cela qu'il faut asséner en permanence que l'économie est désormais "mondialisée", autrement dit, qu'il est impossible de revenir en arrière ?
Le mystère réside dans l'impossibilité d'évoquer les termes de l'échange. Pourquoi personne n'en parle ? Que craignent les hommes politiques de gauche ? De faire peur aux grands patrons qui les appuient ? De ne pas être compris du "peuple de gauche"? Ou bien croient-ils vraiment que la France, ses ouvriers, ses ingénieurs, peuvent devenir plus compétitifs que la Chine à grand coup de réductions des charges et de déductions fiscales ? Un tel raisonnement est proprement aberrant. L'écart est tel qu'il faudrait faire revenir la majorité des salariés français à un niveau de vie comparable à celui de leurs ancêtres du XIXème siècle pour les voir enfin battre les Chinois dans la course à la compétitivité. Alors pourquoi soulever encore une énième polémique sur les 35 h comme Manuel Valls ?
Ou alors les hommes politiques sont-ils aveuglés par le présent ? Allons-nous revivre le même scénario que celui de l'écologie ? Faudra-t-il qu'une majorité de Français se trouve dans la misère pour qu'enfin des barrières douanières soient dressées ? Il sera bien tard et il faudra bien plus de temps pour redresser la situation.