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Billet de blog 18 juin 2013

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POURQUOI LES TURCS SE REVOLTENT-ILS?

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

   « Vivre comme un arbre, seul et libre,

   Vivre en frères comme les arbres d’une forêt »     

                       Nazim Hikmet, poète turc 

Ce n’est pas que « pour quelques arbres », comme le croit le Premier Ministre Tayyip Erdogan, dans son mépris total des révoltés de toutes les villes de la Turquie, traités par lui « d’une poignée de racaille ».  C’est pour l’ensemble de toute une série de menaces sur la vie quotidienne. Voilà un  petit résumé de leurs doléances :

ECOLOGIE :  

Entêtement nucléaire : deux centrales prévues sur deux grandes failles sismiques avec… Areva  et les bâtisseurs de Fukushima !. 

Des rivières entières détournées vers des centrales hydro-électriques, des paysans dépossédés au profit des entreprises capitalistes. 

Des sites archéologiques ou naturels enfouis sous des barrages (Allianoï près d’Izmir, ou le site romain de Zeugma)   

Istanbul livrée aux appétits des grands capitaux américains et saoudiens pour devenir un Dubaï-sur-Bosphore. Ses forêts et ses espaces verts transformés en forêts de gratte-ciels, ses centres culturels en centres commerciaux, ses écoles historiques en hôtels… Les habitants pauvres chassés du centre-ville vers des périphéries lointaines, des quartiers entiers rasés au profit des spéculateurs, des logements réquisitionnés dans toutes les villes du pays pour « non-conformité sismiques » -prétexte à des opérations immobilières juteuses pour les proches de l’AKP-, entêtement pour un 3ème pont sur le Bosphore, les littoraux et les forêts partout ouverts aux bétonnage. 

Quelque chose de naturel subsiste malgré tout : le gaz aspergé sur les manifestants !  « 100% bio », assure le ministre de l’intérieur…  Ouff !…

LIBERTES : 

Les oubliettes de la prison de Silivri pour la moindre opposition au parti AKP de Tayyip Erdogan. Des milliers d’étudiants,  une centaine de journalistes, 8 députés, de nombreux avocats, enseignants, universitaires, leaders de partis politiques, syndicalistes, officiers anti-américains,  embastillés depuis plus de cinq ans, avec des procès  dignes de celui du Reichtag sous Hitler.  

Interdiction de certains sites Internet, de fêtes laïques et républicaines, de la consommation d’alcool dans les espaces ouvert et après 22 heures.

Tweets et de feuilletons télé jugés irrespectueux des valeurs islamiques (le célèbre pianiste Fazil Say condamné à 10 mois de prison pour avoir tweeté des versets de Omar Khayyâm).  Le pays presque entier sur écoutes téléphoniques et sous surveillance vidéo. 

CULTURE    

  « Je crache sur ce genre d’art », dixit le maire AKP d’Ankara, en référence aux sculptures de femmes nues : brisées toutes sous ses ordres. Le maire AKP d’Inebolu arrête la projection d’un documentaire et ordonne à ses auteurs de « foutre le camp, avant (qu’il) ne leur casse la gueule ». 

La sculpture à la mémoire des souffrances arméniennes et turques est qualifiée de  « monstruosité »  par Tayyip Erdogan, et démolie au marteau-piquer  avant même qu’elle ne soit terminée. Procès contre des dessinateurs humoristiques. Licenciement des comédiens des théâtres publics et des opéras transformés en entreprises commerciales.

FEMMES : 

Parmi les premières au monde à obtenir le droit de vote (en 1934, soit 10 ans avant les Françaises)  les femmes turques sont transformées aujourd’hui en enjeu politique. Le long chemin parcouru est inversé par Erdogan qui se bat pour le « droit » des femmes à  …l’invisibilité sous le voile, et à la ségrégation des sexes. Interdit dans l’espace public depuis près de 80 ans, le voile islamique est érigé aujourd’hui en drapeau de vertu pour la femme. Les jeunes filles et même les adolescentes encouragées, voire rétribuées par l’AKPpour parader voilées, ou carrément en tchadors noirs.   

Des murs devant les plages de certaines communes de l’AKP, des contrôles de virginité dans des écoles, des peines symboliques pour les auteurs de violence contre les femmes, l’augmentation des cas de viols et de meurtres. 

Exhortation des femmes à faire au moins 3 enfants, à éviter l’accouchement par  césarienne, pénalisation des « grossesses non déclarées » !.  

EDUCATION :   

Lycées laïques transformés en écoles d’Imams, sans même la consultation des élèves ou de leurs parents. Cours de religion obligatoires même dans les écoles laïques. Déploiement scolaire  à travers le monde au service de la scientologie américaine (3 écoles en France). 

La devise d’Erdogan : « Nous ne voulons pas d’une jeunesse éméchée. Nous voulons une jeunesse religieuse et rancunière » 

Les vers préférés d’Erdogan : «Les minarets sont nos baïonnettes / les coupoles sont nos casques / les mosquées sont nos casernes / et les croyants, nos soldats ! »…

PRESSE :  

« Je vous ferai bouffer ces articles », l’approche la plus douce de l’AKP à l’égard des journalistes,  exprimée par la bouche de son ministre de l’intérieur. 

Chaînes de télé et presse écrite passées sous le monopôle quasi absolu de l’AKP, soit par le chantage soit par le pouvoir de l’argent, à part quelques rares titres irréductibles et courageux. Même les correspondants étrangers séduits par les largesses de l’AKP. Leur rédactions « incitées » à se débarrasser des journalistes peu convaincus par les vertus de l’islam « modéré » de l’AKP.

DEMOCRATIE : 

 « La démocratie est un tramway, nous descendrons quand on arrivera à l’arrêt qui nous convient », dixit Tayyip Erdogan. 

Plus de séparation des pouvoirs. La justice et le législatif désormais soumis à l’exécutif, ou plus précisément à Tayyip Erdogan, seul Maître à bord, qui a le premier et le dernier mot sur tout, qui a une opinion sur tout (allant jusqu’à l’accouchement par césarienne), qui monopolise les écrans de télé tous les jours pour aboyer des menaces contre tous ceux qui ne sont pas du même avis que lui.  

Les circonscriptions ne votant pas AKP tout simplement abolies et rattachées à celles dirigées par un élu AKP !  Seuil de 10 % minimum aux élections générales barrant la route du Parlement aux petites formations politiques.  

ECONOMIE :    

Vente de tous les biens publics,fruit du travail collectif de millions de citoyens pendant des décennies. Usines,  raffineries,  chantiers navals, banques,  régies de tabac et d’alcool, de gaz et d’électricité, et même les ports et les aéroports vendus pour une bouchée de pain aux proches du gouvernement ou à des capitaux étrangers. A l’heure actuelle, l’Etat turc ne possède plus aucun port maritime dans un pays entouré de mers

Ouvriers dépossédés de leur outil de travail, paysans interdits de planter les cultures traditionnelles comme le tabac ou le coton.  

Exploitation moyenâgeuse de la main d’œuvre, souvent non déclarée, sans sécu et congédiable à n’importe quel moment. Semaines de travail de 72 heures avec des journées de 12 heures, pour un SMIC d’à peine 300 € par mois. Syndicats brisés, le code du travail jeté à la poubelle, même les grévistes de Turkish Airlines licenciés par un simple SMS.

MINORITES : 

 « L’Islam modéré » ou l’avènement d’une quasi nouvelle religion, haineuse, colérique et menaçante envers tous ceux qui ne partagent pas ses nouveaux codes religieux.   

Les Alevis (un quart de la population turque) considérés comme hérétiques, leurs lieux de culte détruits au profit de mosquées imposées à leurs villages. Fonctionnaires d’état et officiers de l’armée alévis évincés de leurs postes. 

 Les Juifs, peuple protégé par les Turcs pendant l’inquisition du 15ème siècle en Espagne et pendant l’époque nazie en Europe, transformés en la cible d’une campagne antisémite pendant le show  médiatique de Mavi Marmara à destination de la Palestine.  

PAIX :  

« Paix dans le Pays, Paix dans le Monde », c’était la devise de la Turquie, léguée par Atatürk.  Pour Erdogan, c’est la guerre sur tous les fronts.   

Exécuteur enthousiaste du projet américain du « Grand Moyen Orient, le nouveau Sultan exaspère parfois même ses commanditaires par sa précipitation et son zèle pour attiser les hostilités entre différents groupes de belligérants en Syrie, en leur fournissant des armes et en offrant des bases de repli et des camps d’entrainement sur le sol turc aux djihadistes venus de tous les pays du monde. 

Voilà une partie des raisons qui exaspèrent les Turcs. Ils résistent et manifestent leur colère depuis bien longtemps déjà contre le gouvernement d’Erdogan, mais les dirigeants et média occidentaux, qui semblent étonnés des récentes explosions de colère, ont préféré, durant toutes ces années, cautionner aveuglément cet homme dangereux, et fermer les yeux sur ses coups de butoir contre la république laïque d’Atatürk. 

le 6 juin 2013

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