« Maintenant, les armes vont parler » nous avait-on annoncé solennellement il y a près d’un quart de siècle. Cette déclaration d’intention belliqueuse venait non pas d’un dictateur fou ou d’un terroriste recherché mais d’un homme d’état pour lequel j’avais voté, en croyant à la paix: le défunt président Mitterrand !
L’annonce grave qui avait résonné dans nos foyers le soir du 16 janvier 1991, a dû donner froid dans le dos de plus d’un citoyen. Je me souviens très précisément d’avoir ajouté mécaniquement quelques bûches de plus dans le poêle, tout en essayant de réconforter ma fille de 5 ans, glacée elle aussi, non pas par le discours guerrier du Président de la République qu’elle ne pouvait pas encore comprendre, mais par les rumeurs qui couraient dans son école maternelle sur un « super canon avec lequel Saddam allait nous attaquer » !
Presque un quart de siècle s’est écoulé depuis. Je ne sais pas si le chantage macabre des marchands d’armes et des lobbies de guerre a continué à travailler les esprits jusqu’au niveau des maternelles, mais nous savons que les armes qui ont commencé à parler en cet hiver 91 ne se sont plus jamais tues. Et elles ont fait beaucoup de dégâts. Au nom de la liberté, de la démocratie, de la justice, des droits de l’homme et de toutes les autres valeurs sacrées de nos sociétés, nous avons semé la terreur, répandu le feu et le sang sur des peuples qui avaient la malchance d’être nés trop près des gisements de pétrole, d’uranium, de phosphate ou d’autres richesses naturelles. Nous étions les « forces du bien » coalisées contre les « forces du mal ».
Combien d’enfants innocents ont succombé à l’embargo en Irak même quand ils avaient pu échapper aux bombardements des coalisés ? Combien parmi les survivants ont grandi dans les pépinières de la mort pour ne connaître que les lois de la violence comme la norme? Combien d’enfants et de jeunes en Afghanistan ont assisté impuissants à l’irruption dans leur foyer, au milieu de la nuit, des « forces du bien », brisant leur porte d’un coup de botte, plaquant tout le monde au sol et trainant vers l’inconnu leurs proches soupçonnés d’être liés aux Talibans ? Sans parler de l’indignation soulevée par Guantanamo où l’Amérique défiait impunément toutes les lois et les conventions internationales, et ses propres valeurs.
A quel moment Kadhafi est-il devenu ce dictateur sanguinaire que tout le monde s’est précipité de maudire? N’était-il pas le même homme quand il a planté sa tente devant l’Elysée? Le jeune président syrien, accueilli en grande pompe à Paris, pour assister aux défilés du 14 juillet, à la tribune d’honneur, s’est-il transformé du jour au lendemain en un tyran à abattre?
Même si tel était le cas, de quel droit la France devrait-elle chercher à renverser les présidents de pays souverains? De quel droit on s’autoriserait à pousser ces pays à la guerre civile, en y créant le chaos, en y semant la mort, en les transformant en des champs de ruine sous nos « frappes chirurgicales »? Si c’est pour libérer ces peuples de leurs « tyrans », la liste serait alors bien longue et il y aurait des priorités bien plus urgentes: comme le dictateur nord-coréen, ou le président russe, auteur du génocide de près de 250 000 Tchétchènes, les dirigeants israéliens qui ont bombardé durant des jours la population civile de Gaza devant nos regards indifférents, sans oublier les mollahs d’Iran ou nos « amis » saoudiens chez qui on décapite, on tranche les mains, on lapide les femmes, on condamne à mille coups de fouet et dix ans de prison pour un seul tweet jugé irrespectueux… Si on agissait sous l’égide de l’ONU, cette chambre d’enregistrement des souhaits des grandes puissances du monde, qu’a-t-on fait pour contraindre Israël à respecter les résolutions de ladite organisation et de se retirer des territoires palestiniens qu’il occupe ?
Ce ne sont pas des terroristes venus de Mars qui attaquent aujourd’hui nos valeurs. Nos valeurs sont bafouées en premier lieu par nos propres dirigeants politiques qui, agissant au nom de l’Etat français, se sont transformés en VRP des fabricants d’armes, en marchands de mort !...Pourquoi attendre des autres de respecter ces valeurs que nous-mêmes ne respectons point, en utilisant deux poids et deux mesures rendues encore plus écœurantes par le discours hypocrite qui les entourent ?
Qui sont en fait les barbares, si ce n’est nous ! Nous condamnons les peuples à la faim en détruisant leurs structures agricoles, en leur imposant nos règles de « libre échange » qui ne sont libres que pour nous ; et en guise de remerciement, nous leur larguons nos drones sur la tête ! Arrêtons au moins de parler de « barbares » qui auraient pris en otage notre civilisation alors même que nous, nous saccageons la leur sans ménagement, niant même son existence, et en dansant sur les ruines avec nos verres de champagne.
Comme les passagers du Titanic, nous sommes inconscients du naufrage probable, alors que le navire penche déjà dangereusement dans le tourbillon de la troisième guerre mondiale. Une guerre moins perceptible que les deux autres précédentes car plus diffuse et aux méthodes moins habituelles. Ce n’est ni en sombrant dans un délire sécuritaire ni en lançant des cris de guerre nationalistes avec la main sur le cœur, singeant ridiculement les présidents américains, que nous pourrons vaincre l’hydre mortifère créée de nos propres mains, qu’il s’appelle Daesh ou el Kaïda ou Boko Haram.
Au lieu de succomber à l’hystérie nationaliste et de crier partout « aux armes citoyens », en nous jurant d’abreuver nos sillons « d’un sang impur », il serait peut-être plus approprié de chanter « Give Peace a Chance » ou « Imagine » de John Lennon. Mais, l’auteur de la chanson n’a-t-il pas été tué, lui aussi ? D’ailleurs, sa chanson a causé bien des ennuis récemment à une enseignante française qui voulait l’apprendre à ses élèves dans plusieurs langues, dont l’arabe !… Des parents furieux sont passés à l’attaque contre l’école, contre l’enseignante et contre la chanson!
Peut-on s’abriter alors derrière Einstein, plus « sérieux » que Lennon et moins contestable que lui : « Désarmer ou Mourir » prévenait le génie en pointant les risques fatals pour l’humanité d’une troisième guerre mondiale qu’il voyait déjà poindre à l’horizon. Voilà nous y sommes en plein dedans, comme vient de le confirmer le Pape. Ecoutons-le plutôt que les sirènes des médias qui nous invitent à l’orgie annuelle de consommation pour fuir la violence de la réalité. Mais la voix du Pape qui a déclaré indécente cette orgie, vu l’état du monde, se perd déjà parmi les publicités des cadeaux de Noël. On va encore se gaver jusqu’à vomir, pour fêter l’anniversaire d’un Arabe humble né il y a 2015 ans et dont tout le monde se fiche complètement en réalité.
Pourtant, le refus de consommer pourrait envoyer un bon signal à nos dirigeants car c’est le seul langage qu’ils comprennent. Leur vision limitée les prive même de la capacité de voir la gravité de la situation où ils nous ont mis. Malheureusement le reflexe sécuritaire du citoyen le rapproche plus d’un troupeau qui court pour s’unir autour de son berger.
Or, il faudrait plutôt sanctionner ces mauvais pilotes roulant sur des cadavres. Ce sont eux les vrais coupables ! Nous avons une longue liste de conducteurs écervelés et aveugles, qui déboulent avec leurs passagers vers le précipice, tout en tirant des pétards tout au long de leur folle course. Il faut juger et faire condamner, dans un tribunal international et indépendant, tous ces alter-egos de Daech, ces dirigeants à courte vue, transformés en marionnettes des industries d’armement ou en otages de leurs propres ambitions mortifères. A commencer par les Bush père et fils, Mitterrand à titre posthume, Fabius à deux reprises, Tony Blair, Dick Cheney, Collin Powel, Condoleeza Rice, Sarkozy, Hollande, Netanyahou et Erdogan, … Sans oublier le pitoyable intello de service de cette triste coalition, BHL ou Bernard Henry Levy.
Il nous faut de vrais hommes d’état qui puissent nous sortir de cette logique de guerre et nous libérer de l’emprise des industries de l’armement. Sinon nous allons tous disparaitre avec nos armes, qu’on soit côté « civilisé » ou côté « barbare ».
Nur DOLAY