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Billet de blog 17 mai 2011

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Meurtre d'un personnage

«La mémoire est une lumière tremblante éclairant un sordide musée de la honte», commente le peintre Juan Pablo Castel, assassin de Maria Iribarne, alors qu'il s'apprête à confesser leur histoire. Il convoquera cette mémoire à laquelle il ne croit pas et qui lui fait défaut dans un parcours qu'il veut objectif et sans se soucier du regard des hommes, dit-il, qui l'indiffère du fond de sa cellule.

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«La mémoire est une lumière tremblante éclairant un sordide musée de la honte», commente le peintre Juan Pablo Castel, assassin de Maria Iribarne, alors qu'il s'apprête à confesser leur histoire. Il convoquera cette mémoire à laquelle il ne croit pas et qui lui fait défaut dans un parcours qu'il veut objectif et sans se soucier du regard des hommes, dit-il, qui l'indiffère du fond de sa cellule. S'il écrit, c'est pour être compris, "quand ce ne serait que d'une seule personne", malgré le fait que la seule personne qui pouvait le comprendre, " c'est précisément la personne (qu'il) a tuée". Ainsi, son récit est d'emblée paradoxal, et le lecteur est plongé au coeur d'une réflexion méthodique qui démontre inéxorablement l'insensé, dans la recherche obsessionnelle du sens. Il entre dans la conscience de l'homme qui entend "justifier chacun de ses actes" par une recherche pathologique de causes imaginaires, dans l'enfermement progressif de sa dialectique intérieure nourrie de fantasmes et de délires, génératrice d'une lucidité aveugle, inapte à sérier le réel dans l'emballement des sens. Tout sera dit pourtant de leur histoire, énonce-t-il, pour autant la chronologie minutieuse et le respect illusoire de sa vérité, sont insuffisants à voir l'objet même de sa passion, tant sa conscience malade est travaillée elle-même par la passion. Maria ne lui apparaît qu'à travers une vitre, au plus près de l'imbrication de leurs espaces. L'autre reste une énigme dangereusement inaccessible, un fantôme de beauté qui sourit dans l'ombre. L'homme qui a tué le seul être qui le comprenne était menacé par cet être de l'ombre, dans ce que, tragiquement elle était incapable de se fondre en lui et de devenir le personnage total par lui crée. Le meurtre est alors le seul acte qui incorpore l'autre à soi. En tuant l'autre, la parole peut se délier sans obstacle, n'est plus contrée par l'autre et ses silences coupables, le récit ne se confronte plus qu'à soi, clos sur lui-même il peut alors nommer l'innommable, justifier l'injustifiable et recréer l'oeuvre d'art défunte, détruite. Jamais son récit n'approchera de Maria Iribarne, enfermé dans la contemplation de soi contemplant Maria. La femme devenue objet est perdue aussitôt vue, condamnée par le peintre à être la matière même de son délire, la pâte de sa fiction. Le roman dit l'impossibilité de l'amour de Juan Pablo pour Maria, en ce que cet amour tue l'autre pour le réduire à une image, l'impossibilité de dire l'autre aussi sans le tuer. La fiction comme représentation possible d'une vérité est alors le meurtre du réel adulé et haï parce qu'inatteignable, meurtre ritualisé dans le langage. Mais le roman d'Ernesto Sabato, "Le Tunnel" nous parle aussi de nous. A voir en Juan Pablo un artiste torturé au bord de la folie, on oublie ce que le roman nous dit de notre rapport à l'autre, au désir de l'autre, au corps amoureux inaccessible. Les affres de la jalousie, le tunnel sombre dont chacun est prisonnier n'est autre que la peur de l'autre, peur de s'abîmer dans le don, peur de l'abandon de soi à l'autre, de l'abandon par l'autre de soi. Les pensées distordues, falsifiées alimentent le cauchemar de l'autre, personnage à inventer, d'un récit amoureux sans narrateur. La personne disparaît derrière le personnage qui prend naissance dans la solitude amoureuse et dirige les ébats de la conscience. L'amour vécu sera le meurtre de ce personnage pour qu'émerge des vapeurs du rêve l'Autre réel, dans son inépuisable complexité et sa fadeur apaisée.

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