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Billet de blog 21 avril 2024

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Quelles leçons tirer des sept mois de blocage de l’aide Américaine à l’Ukraine ?

Le Samedi 20 Avril 2024, après sept mois de blocage à la chambre des représentants américaine l’aide cruciale à l’Ukraine d’un montant de 60 milliards de dollars a finalement été adoptée. Que retenir de ces sept mois de blocage pour l’Ukraine et quelles perspectives peut-on attendre d’une guerre qui ne semble jamais finir ?

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Passée la joie de l’adoption qui assure à l’Ukraine sa survie et un soutien militaire conséquent, l’on ne peut s’empêcher d’avoir un goût amer, le vote a été adopté à une large majorité, une centaine d’élus du GOP soit environ la moitié du parti républicain a voté en faveur du texte. Combien de vies auraient pu être sauvées, combien de missiles interceptés au dessus des villes ukrainiennes, si cette aide avait été adoptée plus tôt ? La question donne le vertige. 

Car si l’Ukraine a vaillamment tenu les lignes durant ces sept mois, aucun effondrement du front n’a été constaté, malgré un manque chronique de munitions avec un rapport de feu qui atteignait parfois dix obus russes tirés pour un obus ukrainien, les civils ukrainiens eux, ont durement payé le prix d’ une défense aérienne insuffisante, et d’un manque de munitions pour ces systèmes de défenses cruciaux qui protègent les villes ukrainiennes.

Les russes ont cyniquement profité des manquements de la défense ukrainienne permise par les atermoiements de la politique américaine pour bombarder comme à leur habitude depuis plus de deux ans les infrastructures civiles, détruisant l’usine électrique de Trypillia à Kyiv, allant même jusqu’à bombarder le barrage hydroélectrique ( le plus grand d’Europe ) de la ville de Zaporizhzhia avec huit missiles balistiques. Si le barrage avait été complètement détruit cela aurait mis directement en danger le refroidissement de la centrale nucléaire de Zaporizhzhia en aval, déjà mise à mal par la destruction du Barrage de Nova kakhovka par l’armée Russe en juin 2023 qui avait entrainé un désastre humain et écologique dans la région de Kherson. La ville de Kharkiv, deuxième plus grande ville d’Ukraine située à seulement vingt kilomètres de la frontière russe et qui avait été durant les premiers mois de la guerre le théâtre d’âpres combat a également durement payé le prix des manquements américains et de l’incapacité des européens à les combler. La ville a été la cible de bombardement constant et, pour la première fois récemment, directement la cible de bombes planantes FAB-500 dévastatrices pour les infrastructures civiles avec pour objectif de rendre la ville inhabitable, Karkhiv est par ailleurs pointée comme une conquête prioritaire par les médias d’état Russes. 

L’arrêt de l’aide américaine illustre par les faits ce que les ukrainiens répètent depuis des mois si ce n’est des années : aucune paix n’est atteignable par l’arrêt de l’aide militaire à l’Ukraine. L’arrêt de l’aide n’encourage en rien les russes à la paix, elle leur donne la certitude et la confiance d’aller plus loin et d’accomplir leur objectif final, la soumission complète de l’Ukraine. L’arrêt de l’aide ne fait que faire grimper la liste des victimes civiles, plonge les villes ukrainiennes dans le noir et accentue le désastre humanitaire de l’invasion unilatérale russe. Promouvoir un arrêt de l’aide à l’Ukraine sans perspective politiques de paix et sans volonté affichée par le pouvoir russe de stopper la guerre n’est pas être dans le camp de la paix, c’est être dans le camp de celui qui colonise et occupe au mépris du droit international 20% du territoire ukrainien. 

Ceux qui espéraient un effondrement ukrainien avec la fin de l’aide militaire américaine peuvent également être déçus, les ukrainiens restent déterminés à se défendre et le feront jusqu’au bout avec ou sans aide occidentale. 


L’autre leçon à tirer de ces sept mois est que l’union européenne n’a pas suffisamment pris acte du retrait américain et que sa capacité à prendre le relai a été grandement insuffisante. Si des étapes significatives ont été franchies, comme l’initiative tchèque sur l’achat de munitions, l’aide financière de 50 milliards d’euros adoptée par les 27 en février 2024 et l’annonce récente par l’Allemagne d’achat de systèmes de défense aérienne Patriot pour l’Ukraine, il faut se rendre à l’évidence, l’Europe n’a pas la capacité de compenser l’absence d’aide américaine, son système militaro-industriel est insuffisant malgré des avancées.

Les déclarations guerrières d’un Emmanuel Macron en campagne pour les européennes ont de quoi faire au mieux sourire, au pire exciter les adversaires de l’Ukraine, tant elles sont en décalage avec la réalité. La France si elle veut être crédible et avoir le rôle qu’elle ambitionne dans la sécurité européenne doit augmenter sa production et ses livraisons à l’Ukraine jusqu’ici largement en dessous des pays européens leaders dans le domaine, plutôt que d’alimenter une ambiguïté stratégique dont chacun sait qu’elle n’est que du vent et a des conséquences néfastes pour le débat public intérieur. Le soutien de pays comme la Pologne, les pays Baltes, les Pays-bas et les pays nordiques à l’initiative Macronienne « d’ambiguïté stratégique »  souligne également des contradictions surtout de la part de la Pologne. Comment imaginer en effet que la Pologne puisse envoyer des troupes quand elle n’abat même pas les missiles russes qui se servent de son territoire pour frapper l’ouest de l’Ukraine ? 


Par ailleurs, il est aussi important pour l’Ukraine de continuer à développer son propre complexe militaro industriel, la production en masse de drones ukrainiens de plus en plus innovants a permis de compenser légèrement le manque d’artillerie, de tenir le front et de frapper durement les capacités de raffinage pétrolier russes, cruciales à l’effort de guerre du Kremlin. Les drones navals de fabrication ukrainienne ont également permis de détruire une grosse partie de la flotte russe en mer noire, un exploit quand on sait que l’Ukraine ne dispose pratiquement pas de Marine. Longtemps mise à mal par la doctrine libérale de Volodymyr Zelensky, la production ukrainienne semble depuis un an enfin prendre son envol, les autorités ukrainiennes ayant compris à quel point le soutien occidental était volatile. Cependant l’Ukraine aussi ingénieuse soit-elle ne dispose pas des moyens financiers et industriels de la Russie pour tenir seule une guerre d’attrition et manque d’une ressource capitale, le temps. L’aide extérieure est donc toujours aussi essentielle. 


Toutes ces leçons sont cruciales, car si l’aide américaine est garantie pour quelque temps, elle reste à la merci de la présidentielle américaine qui aura lieu cet automne et dont le résultat est plus qu’incertain. Donald Trump a déjà signifié plus d’une fois son dédain pour l’Ukraine et s’il venait à l’emporter l’Europe serait très loin de ses priorités, cette aide donne le temps aux pays européens de se préparer à prendre le relais en cas de catastrophe. Il est urgent pour l’Europe de ne plus dépendre des atermoiements de la politique étrangère américaine d’autant plus quand elle soutient tacitement le génocide en cours à Gaza et la politique coloniale mortifère israélienne contre les civils palestiniens. Soutenir l’Ukraine contre la guerre coloniale russe, signifie aussi soutenir les Palestiniens contre la guerre coloniale israélienne, soutenir l’un sans l’autre quand l’on est de gauche n’est rien d’autre que de l’hypocrisie. 

Il faut pour cela combattre à notre échelle par tous les moyens nos propres extrêmes droites qui montent en puissance largement poussées par une propagande de plus en plus insidieuse du gouvernement d’extrême droite russe et dont de nombreuses ramifications ont été mises au grand jour récemment. Il ne faut cependant pas se voiler la face, la montée de l’extrême droite est également rendue possible par la dégradation sans précédent du discours politique et du débat public, grandement alimentée par des médias d’extrême droite de plus en plus nombreux et organisés, et des politiques néo libérales mortifères, notamment en France. 


Les perspectives pour l’Ukraine tiennent donc comme depuis deux ans et demi à un fil, celui du courage infaillible dont fait preuve la société ukrainienne mais aussi celui plus aléatoire de l’aide occidentale. Si la validation de l’aide américaine est un soulagement, en tant que Française dont la grand-mère a émigré d’Ukraine après la boucherie que fut la seconde guerre mondiale en Europe de l’est, je ne peux m’empêcher d’avoir un goût amer en pensant à toutes les vies qui auraient pu être sauvées sans tout ces jeux politiques cyniques de part et d’autres de l’Atlantique. 


Billet par Kamomylle .

Sources : 

Piotr Smolar, Après six mois de blocage, la chambre des représentants adopte une nouvelle aide à l’Ukraine, Le Monde, 21 Février 2024.

Sarah Rainsford, Key power plant near Kyiv destroyed by Russian Strike, BBC, 12 Avril 2024.

Une centrale hydroélectrique touchée par huit missiles, l’une des plus grandes attaques contre le réseau électrique ukrainien, Le Monde, 22 Mars 2024.

Sandra Favier, Barrage de Kakhovka ce que l’on sait de sa destruction, Le Monde, 9 juin 2023.

Elsa Court, Kharkiv at risk of becoming ‘ second Aleppo’ Mayor says, Kyiv Independent, 17 Avril 2024.

Obus pour l’Ukraine : le succès de l’initiative Tchèque, Courrier international, 8 Mars 2024.

L’UE Valide une aide de 50 milliards d’euros pour soutenir Kyiv, le Monde, 1 Février 2024.

Elsa Court, Scholz hope nato countries can deliver 6 more patriots to Ukraine, Kyiv independent, 18 Avril 2024.

Poland says Russian missile was not downed to avoid risk for locals, Ukrainska Pravda, 24 Mars 2024.

Trypillia Thermal Power Plant utterly destroyed in Russian attack, Ukrainska Pravda, 11 Avril 2024.

Kateryna Tyshchenko, Russia wants to turn Kharkiv into uninhabitable « grey zone », Ukrainska Pravda, 7 Avril 2024.

Valentine Fourreau, Quels pays fournissent le plus d’aide à l’Ukraine, Statista, 13 Mars 2024.

Ukrainian UAV production surges ; over 200 companies involved in the sector in 2023, Ukrainska Pravda, 1 Février 2024.

Andrii Kharuk, What’s Left of russia’s black fleet sea fleet ?, Kyiv Independent, 2 Avril 2024.

Ukraine hits drone factory, oil refinery deep inside Russia, Kyiv Independent, 3 Avril 2024.

Dinara Khalilova, Ukraine’s modernized sea drones can carry 1 ton of explosives over 1000 kilometers away, Kyiv Independent, 15 Avril 2024.

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