oblomov (avatar)

oblomov

Abonné·e de Mediapart

68 Billets

2 Éditions

Billet de blog 21 novembre 2011

oblomov (avatar)

oblomov

Abonné·e de Mediapart

Contagion

Le film de Soderbergh, malgré sa brochette de stars à l’affiche et une bande annonce alléchante pour des ados en mal de sensations fortes, n’est pas le film qu’on peut croire.Si vous êtes friands de superproductions à l’action échevelée autant que grotesque, vous ne vous y reconnaitrez pas : ce film là , si le montage parallèle le dynamise, est aussi lent que les étapes de confection et de mise à disposition d’un vaccin par les scientifiques.

oblomov (avatar)

oblomov

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Le film de Soderbergh, malgré sa brochette de stars à l’affiche et une bande annonce alléchante pour des ados en mal de sensations fortes, n’est pas le film qu’on peut croire.Si vous êtes friands de superproductions à l’action échevelée autant que grotesque, vous ne vous y reconnaitrez pas : ce film là , si le montage parallèle le dynamise, est aussi lent que les étapes de confection et de mise à disposition d’un vaccin par les scientifiques. Si la musique, parfois oppressante, joue avec le modèle du film catastrophe à suspens, c'est-à-dire avec nos nerfs, le film de Soderbergh à la limite du genre, ne fait jamais que vouvoyer son modèle, comme à distance et en propose une évolution très maîtrisée.

Contagion, emprunte son sujet aux films catastrophe, il s’agit de lutter contre un virus particulièrement coriace qui grâce à la mondialisation se propage aux quatre coins de la planète. Bien sûr, le monde occidental, et surtout les américains, est aux avant postes de cette lutte. Mais cette fois-ci, loin d’être l’occasion pour un héros hors du commun de sauver l’espèce humaine, ou pour un réalisateur adepte des jeux du cirque, de déployer le maximum d’effets spéciaux, de scènes d’une ampleur pharaonique pour combler les trous béants d’un scénario étique - le sujet, donne lieu à un film désincarné et clinique, qui comme le virus qu’il traque, colonise les canons du genre de l’intérieur, l’affaiblit, et le fait succomber presque sans douleur, en toute conscience, et en toute impuissance.

Les personnages, d’abord, aussitôt rencontrés, à peine suivis, déjà la bave aux lèvres, et le sac plastique mortuaire en ligne de mire. Le personnage joué par Gwyneth Paltrow, morte à la dixième minute, disséquée à la douxième, ne sera plus de loin en loin que l'élément d’une enquête scientifique , un vecteur de transmission, un individu dont le destin n’a aucun intérêt, et dont l’image falote n'apparaitra plus que sur des écrans de caméras de surveillance, des photos mal cadrées.

Apparue, disparue, Kate Winslet, de la même manière. Pas le temps de s’attacher à la jeune chercheuse dévouée, elle aussi succombera.

Notre Marion nationale, en émissaire de l’OMS chargée de traquer le virus, de comprendre le mode de propagation et d’en trouver la source, évincée elle aussi d’un traitement classique, nous la suivons, puis la perdons, pour la retrouver et la perdre à nouveau irrémédiablement. Ainsi va-t-il des personnages du film, tous traités sur un pied d’égalité, dissous dans la trame narrative, simples jalons sur la route du virus. Laurence Fishburne sera discrédité dans son rôle de grand ponte, Jude Law cynique et hystérique de même, et Matt Damon, en témoin impuissant, ne prendra jamais l’épaisseur d’un héros. Tous représentants d’une espèce fragile.

Le film ne s’intéresse pas vraiment à ses personnages, ils n’ont qu’un rôle secondaire, ils sont des victimes dans une guerre aux ennemis indénombrables. Et c’est là que réside le renversement du film, c’est finalement le virus le héros invisible, traqué sur les visages, les surfaces de contact, les objets, les mains, dans les gestes de cette humanité qui s’offre à lui, son souffle, ses râles. Dans les laboratoires, les flacons, les boîtes de culture, dans les seringues, c’est lui encore, dans les microscopes et sur les cartes qui montrent l’évolution de la pandémie, lui toujours. Ainsi le film devient clinique, froid, une enquête minutieuse, une course contre la montre insatisfaisante, parce que l’ennemi protéiforme a toujours une longueur d’avance sur ses poursuivants, qu’il est partout .

La mise en scène est sobre, même dans les scènes de panique , le réalisateur prend le parti de l’objectivité, nul besoin de spectaculaire, une toux, un raclement de gorge, et la menace est identifiée. Un pillage entrevu de nuit, un magasin saccagé, entraperçu, la violence est suggérée par une mise en scène qui ne verse jamais dans la complaisance. Si l’angoisse est intériorisée, elle prend naissance dans le contact avec l'autre et le monde physique. L'espèce humaine cernée, retrouve les automatismes dictés par l’instinct de survie, et si l’altruisme, en particulier dans la communauté scientifique est patent, journalistes, individus lâchent vite leur apparente humanité pour se consacrer à leur lutte individuelle. Si le collectif reste la solution, tous, individuellement auront réagi à un moment dans leur intérêt personnel et on ne saurait leur en tenir rigueur. Malgré tout, le virus n’est pas si égalitaire que cela, et le plus fort reste celui qui est en position de résister politiquement, socialement, et intellectuellement.

Ainsi, Contagion n’est pas le navet qu’on attendait, il est un film maîtrisé, qui ne tombe dans aucun des travers du genre auquel il s’apparente et mieux, lui offre une cure de jouvence. L’intelligence de Soderbergh est d’avoir su comprendre que le cinéma n’est pas uniquement un moyen de jouer avec les affects des spectateurs surtout lorsqu’il s’agit de leur montrer leurs peurs.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.