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Billet de blog 21 mai 2024

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La triste réalité

Lettre anonyme d'un Kanak à son oncle Yeiméné Yeiméné assassiné le 4 mai 1989 à la suite de la signature des Accords de Matignon

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Lettre à Tonton Yéyé,

Tonton, de là où tu reposes, je pense que la mer est paisible. Il est 17h10 ce lundi 20 mai 2024, quand je commence à t’écrire cette petite lettre, et je pense que le soleil se couche à Nidenode. J’imagine que le ciel est bleu et l’horizon prend une teinte doré. Tu dois être bien. Je t’imagine pensif en observant Mudjero devant et l’horizon.

Ici à Nouméa, je fais un petit feu, et dans le ciel vole un hélicoptère. C’est un hélicoptère de l’armée française. Celle là même que vous avez combattu à ton époque pour que nous puissions, ma génération et moi, avoir les mêmes droits que d’autres, ici chez nous.

Tu as choisi, avec ton frère de lutte ´Pa Jean Marie Tjibaou, et vos adversaires d’alors Jacques Lafleur, la Paix. Un Chemin difficile mais courageux, qui a ouvert une période de 40 années de Paix, pour ma génération et celles de toutes les communautés.

Par ton combat tonton, on a cru que nous serions bien mieux traité. Et ton sacrifice n’a pas été vain parce qu’on a bénéficier de beaucoup d’avancées malgré tout. Je serais mal honnête de te dire que non. J’ai pu aller faire mes études en France, avec beaucoup d’autres de tes nièces, filles, neveux et fils, et beaucoup de Calédoniens. On a des médecins, des docteurs en éducation, en histoire, en Géographie, en Économie, des ingénieurs, etc.

Le congrès de la Nouvelle Calédonie et le Gouvernement sont occupés et même présidé par certains de tes compagnons de route, grâce à l’émergence de l’Eveil Océanien. Je pense que tu te dis « Baet mais il faut qu’ils laissent la place ». C’est ce qu’on se dit aussi la jeunesse.

Tonton, on a réussit à construire des choses avec les autres communautés. Des choses vraiment bien pour la Caledonie. Oui Tonton, ton Pays ne s’appelle pas encore Kanaky. Il n’y a que nous qui l’appelons ainsi.

Mais si je prends le temps de t’écrire ce soir c’est parce que dans le grand Nouméa, ton Pays a brûlé quasiment pendant 1 semaine. 1 semaine durant les fumées noires obscurcissaient le ciel de ton Pays, et empêchaient le soleil de réchauffer ton paradis.

Tu te souviens de ton histoire, ou plutôt ton allégorie de ce qu’est la démocratie à la Française mais appliquée dans un contexte colonial : tu disais que tu offres le café à 1 puis 2, puis 3, puis 4 étrangers. A un moment tu leur dit que tu veux en garder pour ta famille et eux devenus plus nombreux disent on va voter.

Ton histoire Tonton, et ce que tu dénonçais de manière pédagogique et imagée, je le vis aujourd’hui. Et c’est encore cette chose qui a fait flamber le grand Noumea et potentiellement ton Pays.

Le visage des protagonistes a changé. Aujourd’hui Messmer n’est plus mais il a des prophètes et des soldats. La France a un président, bien qu’il ait un prénom biblique, Emmanuel qui veut dire Dieu est avec nous, en réalité c’est l’Enfer qu’il a provoqué en Calédonie par ces choix.

Son projet de loi avec ses valets Calédoniens, Backes et Metzdorf, c’est de faire de ton Pays, de notre pays une colonie de peuplement 36 ans après Matignon. Et plus de 36 ans après que vous ayez, avec le Front, accepté d’offrir notre droit à l’autodétermination aux les victimes de l’histoire. Comme nous, ces personnes sont chez elles ici, et n’ont aucun autre pays ailleurs. Ce sont nos sœurs, nos frères.

J’essaie, Tonton, de ne pas ressentir de haine bien que je vive la situation de manière injuste. Tu sais, j’ai tout fait dans les règles, et comme la société me le demande. Tout. J’ai même intégré l’une des plus prestigieuses université de France. Major de promo. Tout. J’ai donné le maximum pour être légitime non pas parce que je suis Kanak mais parce que je suis compétent, pour revenir construire mon Pays car c’est la promesse de votre sacrifice.

Mais, Tonton Yéyé, quand je suis dans un immeuble à l’Anse Vata, on me dévisage de la tête au pied, comme si j’étais un immigré. Je rentre en salle de réunion on me pense être le serveur de café, alors que j’étais chargé de mission aménagement auprès du directeur de l’équipement. J’entre dans une concession auto, aucun commerciaux ne daignent se lever de sa chaise, moins de 5 min après, les deux commerciaux se lèvent pour accueillir une personne plus clair de peau et lui proposent même un café. Je te passe la discrimination à l’embauche car quand tu viens de Paris, même sans expérience tu passes devant le petit Kanak, l’Océanien.

J’ai tout bien fait. J’ai tout bien fait en respectant tout le monde peu importe leur couleur, leurs opinions, leurs nationalités, j’ai tout bien fait pour honorer ta mémoire, et être digne de votre sacrifice à toi et tes frères de lutte. Être digne du sang que vous versez. J’ai tout bien fait en pensant que je serais traité non pas plus que les autres mais de manière égale. Mais l’Egalité de la devise républicaine ne s’applique pas pour moi et pour beaucoup de Kanak. Moi j’ai réussi, mais imagine ceux qui n’ont aucune perspective. Ils connaissent la misère et la discrimination et ce sont eux qui ont tout flambé quand Le président Emmanuel allait les priver, nous priver du peu de dignité qu’ils nous restait.

Tonton, peut être seras tu tristes de ce que je vais te dire mais les responsables ne sont pas que les « autres ». Nos dirigeants ont aussi une part de responsabilité dans la situation actuelle. Dans les faits on a tous une part de responsabilité dans la situation actuelle, dans ce retour en arrière de 40 ans. Et pour ça je suis tellement désolé Tonton Yéyé de ne pas avoir été à la hauteur de la Paix que vous nous avez offert. Te demande pardon Tonton.

Tu sais Tonton, je n’ai pas envie qu’ils négocient les choses dans notre dos, dans des succursales. J’espère qu’un mouvement populaire demandera à ce que le peuple s’exprime aussi.

Pardon de t’avoir déranger dans ta sérénité à toi. Mais j’avais besoin de t’écrire et te faire part de ma déception, ma colère aussi, et surtout de te demander Pardon d’avoir, pour l’heure, faillit. Il est 20h35. Je prenais le temps pour bien choisir mes mots.

Je ne t’oublie pas, on ne t’oublie pas, surtout en ces heures sombres qui nous replongent dans ce que tu voulais, tes compagnons et toi, nous épargner.

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