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Billet de blog 5 juin 2025

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« Il me dit : “Je suis en France”, et la communication coupe »

Le 22 juin dernier, Donovan*, incarcéré au centre pénitentiaire de Nouméa, s’est retrouvé menotté dans un avion direction l’Hexagone, sans avoir pu prévenir sa famille. Un bouleversement pour le jeune homme mais aussi pour sa sœur Katia*, qui raconte ses efforts pour comprendre la situation et maintenir un lien avec lui, à 17 000 kilomètres de distance.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

« Mon petit frère Donovan a 22 ans. Il était incarcéré au Camp-Est depuis mai 2023 et il a été condamné en février à six ans d’emprisonnement. Lundi 24 juin, un peu avant 9h du matin, je reçois un appel de lui qui me dit : “Je suis en France”, et la communication coupe. L’appel a duré 18 secondes, il a juste eu le temps de me dire ça. J’attends, mais il ne me rappelle pas. J’écris au directeur de la prison et au procureur, parce que j’ai lu que les transferts étaient décidés par l’un ou par l’autre. Je voulais savoir où était Donovan et sur quels critères on l’avait transféré, surtout que mon frère n’a été impliqué ni dans les émeutes en Nouvelle-Calédonie, ni dans les mutineries au Camp-Est. Mais je n’ai jamais eu de réponse de leur part.

« On n’a pas de Donovan dans nos fichiers »

Ne sachant que faire, j’appelle le service des parloirs au Camp-Est, où on me répond : “On n’a pas de Donovan dans nos fichiers.” J’appelle alors le greffier de la prison, qui dit ne pas pouvoir me répondre sur la nouvelle affectation de mon frère, et de voir avec le tribunal. Mais je n’arrive à joindre personne au tribunal, la ligne est saturée. Comme j’ai toujours le mail de son ancien Cpip [conseiller pénitentiaire d’insertion et de probation], je lui écris aussi.

La secrétaire de la prison a fini par me téléphoner le lendemain vers 16h, puis la Dpip [directrice pénitentiaire d’insertion et de probation] trois heures plus tard. Elles m’ont confirmé que Donovan avait été transféré en urgence, avec d’autres détenus, en raison de “mesures d’ordre et de sécurité particulières” et de la surpopulation carcérale, particulièrement forte depuis que des cellules avaient été détruites pendant les mutineries. J'ai demandé si mon frère avait eu le choix. Il m'a été répondu que personne n'avait eu le droit de refuser, qu’on leur avait remis des cartons pour qu’ils y mettent leurs affaires et qu’ils n’avaient pas été autorisés à contacter leurs familles. C’est comme ça que j’ai appris qu’il avait été transféré dans l’est de la France. Ça a été un choc. J’ai posé un congé d’une semaine pour m’en remettre. Ma mère voulait partir tout de suite en métropole et y rester tant que Donovan y serait.

J’ai tout de suite viré de l’argent sur son compte nominatif, pour qu’il puisse nous appeler, mais ils ont mis du temps à faire sa carte de téléphone, donc même s’il avait l’argent, il ne pouvait pas nous joindre ! On n’a plus eu de nouvelles avant fin juillet.

« Tu as 45 minutes pour préparer tes affaires »

Quand on a enfin pu lui parler, il nous a expliqué qu’il avait vécu le transfert très durement. Des surveillants sont venus le chercher dans sa cellule le 22 juin à 15h pour l’emmener voir le chef de détention. Ils lui ont dit de signer pour partir en métropole. Il a dit non, que sa famille était ici. “Tu n’as pas le choix. Tu as 45 minutes pour préparer tes affaires.” Il a été tellement pris de court qu’il ne se souvient même plus s’il a signé ou pas, il pense que non. Il était un peu perdu en sortant de là. Ils l’ont mis dans une cellule d’attente avec tous les autres, ils étaient une vingtaine. Ensuite, ils ont été escortés par les Eris [membres des équipes régionales d’intervention et de sécurité] venus de l’Hexagone jusqu’à l’aérodrome de Magenta, pour prendre un avion militaire qui les a emmenés à l’aéroport international. Là, ils sont montés dans un avion normal, qui a fait escale à Tokyo. Donovan nous a dit que les surveillants et les Eris avaient pu sortir pendant l’escale mais pas eux, ils n’ont pas eu le droit. Ils ont fait tout le voyage menottés, mains et pieds, tout le long, même pour manger. À l’arrivée, ils ont passé une nuit [au centre pénitentiaire de] Réau, puis ils ont été dispatchés chacun dans une prison. Donovan a été conduit en bus jusqu’à sa nouvelle affectation.

Je lui envoie 140 euros par mois, 100 pour les cantines et 40 pour le forfait téléphonique, qui lui permet d’appeler 30 minutes en tout. La Nouvelle-Calédonie ne bénéficie pas du tarif Dom-Tom donc les appels sont encore plus chers, c’est le tarif international. Mon frère nous appelle rarement, à peu près une fois par mois. On s’écrit. Je passe par le site de la Poste : je lui écris sur Internet, la Poste imprime ma lettre en métropole et l’envoie à la prison. Au moins, c’est plus rapide.

Près de 5000 euros pour lui rendre visite

Depuis le transfert de Donovan, j’ai commencé à économiser pour aller le voir avec ma mère. Ça a pris du temps parce que je suis la seule à travailler, ma mère ne travaille pas. On a pu partir début octobre, et on est resté un mois. J’avais réservé un studio sur Airbnb, le moins cher que j’ai trouvé : 1100 euros pour le mois. Il y avait moins cher, mais pas pour une durée aussi courte. Avec le prix des billets, ça nous a coûté au total 4950 euros.

Avant de partir, on avait fait une demande pour avoir droit à plus de visites quand on serait sur place, mais la Cpip a dit que ce n’était pas possible : on n’a pu avoir que deux visites de 45 minutes par semaine. J’ai aussi fait une demande d’UVF**, mais ça a été refusé, ils ont dit qu’il fallait le faire deux mois avant. Au moins, on a eu le droit de faire une photo avec Donovan quand on était au parloir. Avec ma mère, on lui a apporté ce qu’il faut pour l’hiver. L’hiver, il ne connaissait pas ! On lui a aussi donné tout le nécessaire pour nous écrire.

On est rentré en Nouvelle-Calédonie le 2 novembre. Je viens de lui envoyer un carton de cinq kilos de biscuits du pays, pour Noël. L’envoi m’a coûté 92 euros, c’est le prix à payer pour qu’une petite partie de nous et du pays soit avec lui. J’espère qu’il pourra le recevoir.

Maintenant, on va faire des marchés et des vide-greniers pour récupérer de l’argent. Notre objectif, c’est d’y retourner en juillet. » 

Propos recueillis par Odile Macchi

Cet article est paru dans la revue de l’Observatoire international des prisons – DEDANS DEHORS n°125 – Kanaky – Nouvelle-Calédonie : dans l’ombre de la prison 

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