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Billet de blog 9 févr. 2017

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Le membre de la communauté, «un regard bienveillant»

Christiane Legrand intervient dans les rencontres condamnés-victimes depuis deux ans en tant que « membre de la communauté ». Elle raconte comment elle en est venue à s’engager bénévolement dans la justice restaurative et explique son rôle au sein de ce dispositif. (Dossier justice restaurative, 4/7)

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Propos recueillis par Laure Anelli, OIP-SF.

Illustration 1
© OIP

Comment en êtes-vous venue à participer aux rencontres condamnés-victimes en tant que membre de la communauté ?

Christiane Legrand : J’ai pris ma retraite il y a bientôt quatre ans. Auparavant, j’étais consultante en études de marché. Donc absolument rien à voir. Je n’avais jamais mis mon nez dans la justice. J’étais dans ma voiture quand j’ai entendu une émission sur l’expérience de rencontres entre victimes et détenus qui avait eu lieu à Poissy. A cette époque, j’étais en train de réfléchir à ce que je voulais faire après, et je me suis dit : « C’est ça ! » J’ai sauté sur Internet en rentrant à la maison et me suis aperçue qu’il ne se passait malheureusement rien en France en dehors de cette expérience. De fil en aiguille, je suis tombée sur l’Association nationale des visiteurs de prison et je me suis dit : « Voilà, je vais commencer par faire ça », tout en continuant à me tenir informée sur la justice restaurative – j’ai même suivi une formation sur le sujet. Quand le Service régional de justice restaurative d’Ile-de-France s’est ouvert, en 2014, j’ai appelé immédiatement. On m’a très vite proposé de participer aux rencontres détenus-victimes en tant que membre de la communauté.

En quoi votre expérience de visiteuse de prison a pu conforter votre intérêt pour la justice restaurative ?

Ce qui me frappe, et dont je n’avais absolument pas conscience avant de rentrer en prison, c’est à quel point mettre des gens en prison et les en ressortir X années plus tard, quasiment sans aucune autre forme de prise en charge, est dramatique. Ce sont des personnes qui ont besoin d’évoluer, et la prison ne les aide pas, au contraire. J’en ai vus pas mal qui auraient besoin d’un traitement médical ou d’un suivi psychiatrique, et qui ne voient un psy que de temps en temps – et encore, quand ils en voient un... En termes de réinsertion, c’est aussi très limité. Je me dis qu’on dépense beaucoup d’argent bêtement.

Quel est l’intérêt de ces rencontres d’après vous ?

Pour la plupart des gens, faire dialoguer auteurs d’infractions et victimes paraît totalement improbable, presque contre-nature. Pour moi, le fait que ces gens que tout oppose puissent se parler a forcément un bénéfice : cela permet de recréer du lien social, de changer les images que les uns peuvent avoir des autres – ou d’eux-mêmes – et cela permet à tous d’avancer. Pour les victimes en particulier, je pense que ces rencontres apportent un apaisement, en leur permettant de poser les questions qu’elles n’ont jamais pu poser, parce que le procès est derrière elles, où parce qu’elles n’ont pas pu s’adresser directement aux agresseurs. Assez rapidement, elles se rendent compte qu’il y a des humains derrière la figure du monstre, c’est aussi réconfortant de découvrir qu’on n’a pas forcément que de la haine à porter. Pour les auteurs, l’intérêt est de prendre conscience qu’il y a des victimes et de mesurer ce que le délit qu’ils ont commis peut provoquer chez ces personnes. Dans les cas de violences volontaires surtout, les condamnés n’ont pas vraiment conscience de la lourdeur des effets sur les victimes : ils n’imaginent pas que les gens, trois ans après, puissent encore sursauter lorsqu’ils sentent une présence derrière eux. Dans les cas des violences routières, c’est un peu différent, car les auteurs sont vraiment traumatisés par ce qu’ils ont fait. Ces rencontres leur permettent aussi de pouvoir parler d’eux et d’être reconnus en tant qu’individu, en n’étant pas diabolisés. Et fi nalement, de renouer aussi le lien avec la société - même s’ils ont déjà commencé puisqu’ils sont suivis en milieu ouvert.

Et vous, en tant que membre de la communauté, quel est votre rôle ? En quoi diffère-t-il de celui d’animateur ?

Dans une rencontre, un animateur rappelle les règles et répartit la parole. Mais, sauf exceptions, il ne va pas relancer sur le contenu. Nous, en tant que membres de la communauté, nous sommes là pour écouter, pour partager des ressentis ou poser des questions parce qu’on n’a pas très bien compris, ou qu’on aimerait bien que quelque chose soit approfondi. Ce sont donc deux rôles très différents. Nous avons aussi la mission de prendre soin des participants. Il y a des moments d’accueil, des pauses, nous sommes là aussi pour aller vers eux, discuter, accompagner quelqu’un dehors s’il sort fumer une cigarette. On a vraiment ce rôle de lien que n’ont pas les animateurs. Les participants comprennent bien que nous connaissons les animateurs et que, d’une certaine manière, nous faisons équipe, mais en même temps, on est tout autant participants. Même si ce qui les réunit ne nous est pas arrivé, nous sommes là pour partager avec eux et exprimer notre ressenti par rapport à ce qu’ils ont vécu, avec bienveillance.

Quelle est votre position ? Vous êtes une sorte d’arbitre ? D’observateur neutre ?

Nous ne sommes pas du tout là pour arbitrer. En fait, les choses se font assez naturellement : c’est avant tout un échange, dans lequel chacun est impliqué et porte de l’intérêt à l’autre. Ce sont de vraies rencontres entre des personnes. Alors c’est vrai qu’on s’interroge toujours avant de prendre la parole : je ne veux pas m’immiscer dans les moments où ils ont besoin de se comprendre l’un l’autre. Dans ces cas-là, je n’interviens pas, je suis simplement là, avec eux. Le langage du corps est vraiment important. Parce qu’il ne faut pas non plus adopter une position de voyeur : on n’est pas là juste pour les regarder et dire « Ah d’accord, ces animaux-là fonctionnent comme ça », pas du tout ! En fait on se questionne beaucoup : « Est-ce que je garde bien ma place ? ». En même temps, il faut être spontané et authentique, ce qui n’est pas très compliqué finalement, dans la mesure où, franchement, l’intérêt pour les gens vient très très vite. De temps en temps, je pose une question parce que j’ai envie de comprendre mieux, mais j’écoute surtout. Le plus important est de garder à l’esprit que c’est leur rencontre. Ils la font à leur rythme. Les silences parfois sont aussi importants que les mots et en disent long. Par moments ça tourne en rond, mais probablement parce que c’est trop dur d’aller plus loin.

On lit parfois aussi le terme de « représentant de la communauté ». Qu’est-ce que ça veut dire pour vous ?

C’est vraiment une expression sur laquelle nous avons réfléchi et qu’on a écartée. Elle me posait un problème de légitimité : qui suis-je pour représenter autre chose que moi-même ? Pour moi, les membres de la communauté sont simplement des citoyens qui se soucient du lien social, de l’harmonie sociale.

Qu’est-ce qu’une rencontre réussie selon vous?

Quand je dis que c’est quelque chose qui leur appartient, ça signifie qu’il ne faut pas se faire une idée de ce qu’ils vont en retirer, avec nos critères à nous. Pour quelqu’un, le fait de simplement parvenir à prendre la parole devant le groupe, à poser des mots, même très peu, peut être un énorme pas en avant.

Que retirez-vous personnellement de ces expériences ?

D’abord, je rencontre des gens très différents. Et puis ça me permet de comprendre ce qui se passe quand ces choses vous arrivent ou quand vous les commettez. Surtout, j’ai plaisir à voir les gens avancer, et à cheminer avec eux. J’avais envie d’être aux côtés de ces personnes qui reprennent le pouvoir sur leur vie.

Cet article est issu du n°94 de la revue trimestrielle Dedans-Dehors, éditée par l'Observatoire international des prisons. Pour consulter l'intégralité du dossier et vous abonner à la revue papier, c'est ici.

A lire aussi :

Justice restaurative : la fin de la logique punitive ? (1/7)

Mettre des mots sur une souffrance (2/7)

Les rencontres détenus-victimes : le dialogue pour s'apaiser et se reconstruire (3/7)

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