par Charline Becker et Céline Mayoux de l'Observatoire international des prisons-section française. Dossier "Prisons, zone blanche", 2/10
Les téléphones portables et autres accessoires (chargeurs, cartes sim, etc.) représentent près de la moitié de l’ensemble des objets illicites confisqués chaque année en prison. 40 000 ont été saisis en 2017 : un nombre en constante augmentation selon la Direction de l’administration pénitentiaire, qui n’a pas souhaité communiquer de chiffres plus récents.
« Quand on est en prison et qu’on est loin de sa famille, le téléphone, on ne peut pas s’en passer, s’exclame Romain. Je n’avais pas beaucoup de parloirs : je téléphonais à ma famille, j’allais sur Snapchat, je partageais des photos, des vidéos de ma cellule, j’utilisais la visio pour voir mes neveux grandir. » Autant d’usages avec lesquels ne peuvent concurrencer les cabines téléphoniques, disponibles en promenade, en coursive et – de plus en plus souvent – en cellule. Les tarifs des communications, fixés par l’administration pénitentiaire, sont en effet prohibitifs. Un forfait de 10€ permet par exemple d’appeler une heure vers des téléphones mobiles. Au-delà du forfait, il faut compter huit centimes la minute vers un fixe, et dix-huit vers un mobile. Depuis les prisons d’outre-mer, 20€ permettent 1h20 d’appels, que ce soit vers des téléphones fixes ou mobiles. Des tarifs unanimement dénoncés par les personnes détenues. « Je préfère prendre une carte SFR et avoir un forfait illimité pendant un mois plutôt que de mettre 500€ par mois dans un forfait », affirme Romain. Et ce ne sont pas les visio-parloirs, récemment installés, qui feront changer les pratiques : à 30 centimes la minute, peu nombreuses sont les personnes détenues qui les utilisent.
Au-delà du coût, les cabines présentent d’autres inconvénients. « Quand vous êtes obligé d’appeler dans la promenade, il y a cinquante personnes autour de vous. Vous n’allez pas parler avec votre mère, votre petit frère, etc. alors que tout le monde écoute, c’est bizarre », explique Karim. Outre les problèmes de confidentialité, se posent également des problèmes d’accès aux cabines situées en promenade ou en coursive : les personnes détenues ne peuvent les utiliser qu’en journée. « C’est bête, mais les gens travaillent en journée ! » soupire un autre détenu. « Et puis ils écoutent vos conversations, ça ne sert vraiment à rien » conclut Karim, soulignant le fait que les appels passés depuis les cabines sont susceptibles d’être écoutés par l’administration.
Si le maintien de liens familiaux mis à mal par l’incarcération est souvent le premier argument avancé par les personnes détenues pour expliquer le recours au téléphone portable, il n’est cependant pas le seul. « En prison, Internet m’a sauvé la vie ! J’ai pu faire des démarches comme me désinscrire de Pôle emploi, arrêter mes allocations de la Caf, me connecter à mon compte bancaire et me faire des virements », énumère Karim. Car là aussi, les moyens légaux disponibles montrent vite leurs limites. Les détenus n’ayant pas accès à Internet, seuls leurs conseillers d’insertion et de probation ou assistants sociaux sont à même de les effectuer… si tant est qu’ils en aient la possibilité matérielle et le temps nécessaire.
Enfin, pour les personnes qui purgent de longues peines, il s’agit aussi de ne pas perdre pied avec les évolutions technologiques : « Quand je suis rentré en prison, j’avais le Nokia 3310 ou le Samsung coulissant. Si je n’avais pas eu de téléphone en détention, je n’aurais pas su me servir du tactile. En sortant, j’aurais été foutu ! », s’exclame Romain. Un détail loin d’être anodin, à l’heure où le numérique s’impose dans chaque aspect de la vie quotidienne.
Au sommaire de ce dossier sur la fracture numérique en prison :
- Fracture numérique : les prisons, une « zone blanche » (1/10)
- « Ned » : vers de petites améliorations du quotidien pour les détenus ? (3/10)
- Visiophonie en détention : séduisant mais trop cher (4/10)
- Visio-audience : les droits des détenus malmenés (5/10)
- Télémédecine : un palliatif qui comporte des risques (6/10)
- Sans internet, l’impossible préparation à la sortie (7/10)
- CEDH : vers la reconnaissance d’un droit d’accès à Internet sous conditions ? (8/10)
- À l’étranger, les prisons ne résistent pas au vent de la dématérialisation (9/10)
- En Finlande, des prisons connectées (10/10)