Les observatrices et observateurs de manifestation agressés et entravés dans leur mission.
Les forces de l’ordre sont redevables devant les citoyens de leurs actions [1]. Il est donc légitime de pouvoir les filmer lors des opérations de maintien de l’ordre et de documenter celui-ci [2].
Telle est la mission que se donnent les observatrices et observateurs indépendants, lors des manifestations.
Leur rôle, essentiel en démocratie, est reconnu par le droit international, qui impose aux Etats de les protéger dans l’exercice de leur mission de documentation du maintien de l’ordre.
Ainsi, la Commission de Venise, en lien avec le Bureau des institutions démocratiques et des droits de l’Homme (BIDDH) de l'OSCE, a adopté le 4 juin 2010, des lignes directrices sur la liberté de réunion pacifique [3], dans lesquelles elle recommande aux Etats membres du Conseil de l’Europe de respecter et de protéger les observateurs citoyens indépendants.
Le Comité des droits de l’Homme de l’ONU a précisé que les observateurs indépendants « jouent un rôle particulièrement important pour ce qui est de permettre la pleine jouissance du droit de réunion pacifique », au sens de l’article 21 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (ratifié par la France) [4].
La Cour européenne des droits de l’Homme exige de l’Etat qu’il défende la liberté d’expression (article 10 de la Convention), ainsi que la liberté de réunion pacifique (article 11), et elle demande la protection par l’Etat des Défenseurs des droits de l’Homme, qui, en attirant « l’attention de l’opinion sur des sujets d’intérêt public…exerce un rôle…semblable par son importance à celui de la presse » (CEDH 22 avril 2013, Animal Defenders c. Royaume-Uni, n° 48876/08, § 103).
Dans sa décision-cadre du 9 juillet 2020 (p.18), le Défenseur des droits[5] a souligné que les journalistes exerçaient une mission essentielle pour la démocratie et a demandé que les observateurs de la LDH soient traités à l’instar des journalistes.
Ce principe se décline dans des traductions pratiques en termes de port de matériel de protection ou de possibilité d'observer une manifestation interdite ou de continuer le travail de recueil d’informations après un ordre de dispersion de la manifestation.
En décembre 2020, la « Commission d’enquête relative à l’état des lieux, la déontologie, les pratiques et les doctrines de maintien de l’ordre » présidée par le député Jean-Michel Fauvergue[6] a préconisé :
« Recommandation n° 22 : Revoir la définition légale de l’attroupement afin de permettre aux journalistes et aux observateurs de continuer à observer les opérations de maintien de l’ordre jusqu’à leur terme. »
Enfin, le Conseil d’Etat a aussi jugé, dans sa décision du 10 juin 2021 [7] que « les journalistes peuvent…continuer d’exercer librement leur mission lors de la dispersion d’un attroupement sans être tenus de quitter les lieux…Il en va de même pour les observateurs indépendants » (§20).
Il faut souligner qu’en 2021, les observatoires indépendants créés à l’initiative des sections locales de la LDH ont reçu le prix de la Fierté civique du Forum civique européen et la remise du prix s’est déroulée en présence (notamment) de la vice-présidente de la Commission européenne chargée du respect des valeurs de l’Union européenne et de la transparence, Mme Věra Jourová, de la représentante pour l’Europe auprès du bureau du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme, Mme Birgit Van Hout et d’un parlementaire européen, M. Pietro Bartolo.
Pourtant, des observatrices et des observateurs se sont fait molester par des forces de l’ordre à Rennes (grenade) [8] et à Toulouse [9], alors qu’ils étaient parfaitement identifiables, que leur présence avait été signalée et qu’ils ne participaient pas à la manifestation mais se positionnaient en tant qu’observateurs. A Paris, un cas d’entrave à l’observation a été analysé [10].
On voit que le non-respect de la mission des observatrices et des observateurs par le gouvernement, M. Darmanin menaçant le 5 avril dernier la LDH à la suite de l’observation à Sainte-Soline, a des effets concrets et immédiats sur le terrain.
Si des membres d’observatoires sont ainsi entravés ou agressés pour avoir filmé les forces de l’ordre, ou pour avoir documenté leurs actions, que risquent alors de simples citoyens isolés ?
Des rapporteurs spéciaux nommés par l’ONU, experts indépendants viennent de critiquer la France sur sa gestion des manifestations depuis mars, les manifestations retraite mais aussi sur Sainte Soline[11].
« Nous appelons les autorités à entreprendre un examen complet de leurs stratégies et pratiques en matière de maintien de l’ordre afin de permettre aux manifestants d’exprimer leurs préoccupations et à faciliter une résolution pacifique des conflits sociaux ».
La porte-parole du Haut-Commissaire aux droits de l’Homme de l’ONU, Mme Ravina Shamdasani, vient d’exhorter la France à « veiller à ce que le recours à la force par la police pour lutter contre les éléments violents lors de manifestations respecte toujours les principes de légalité, de nécessité, de proportionnalité, de non-discrimination, de précaution et de responsabilité. Toute allégation d'usage disproportionné de la force doit faire l'objet d'une enquête rapide » [12].
Non seulement le gouvernement ne semble pas travailler dans le sens du respect de la liberté de manifestation, mais il refuse de protéger les observatrices et observateurs dont la mission est de rendre compte des actions des forces de l’ordre. Les entraves et les atteintes subies risquent d’avoir un effet dissuasif pour poursuivre leur travail bénévole, alors qu’il est essentiel en démocratie.
En conséquence, on ne peut que s’interroger sur les ordres donnés par le gouvernement aux forces de sécurité, ou à tout le moins, sur l’absence d’ordre aux fins de respecter la mission des observatrices et des observateurs.
[1] Article 15 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen de 1789
[2] Voir à cet égard, l’article de Christian Mouhanna, « La déontologie policière réformée. Un écran de fumée ? », dans lequel il écrit « Le seul vrai contrôleur ne peut être de facto que le public », revue Délibérée 2021/1 (n°12) p.13 à 18 ; ou celui de Fabien Jobard, « Police et pouvoir en régime de visibilité », Délibérée 2021/1 (n°12) p.19 à 23. Ed. La Découverte.
[3] https://www.osce.org/files/f/documents/a/4/119674.pdf
OSCE : organisation pour la sécurité ou la coopération en Europe.
[4] https://daccess-ods.un.org/tmp/5986456.27498627.html
[5] https://juridique.defenseurdesdroits.fr/index.php?lvl=notice_display&id=33202&opac_view=-1
[6] https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/rapports/ceordre/l15b3786_rapport-enquete
[8] https://www.ldh-france.org/wp-content/uploads/2023/07/CP-ORLIB.pdf
[9] https://twitter.com/LDH_Fr/status/1675890893671264257
https://www.ldh-france.org/wp-content/uploads/2023/07/Communiquei-OPP-2-juillet-2023.pdf
[10] site.ldh-france.org/paris/files/2023/07/Rapport-OPLP-1er-mai-2023-ESCALADE-DES-VIOLENCES.pdf p.31 à 33
[11] https://www.ohchr.org/fr/press-releases/2023/06/france-must-respect-and-promote-right-peaceful-protest-un-experts
[ 12] L’ONU appelle la France à s’attaquer aux « profonds problèmes » de racisme au sein des forces de l’ordre | ONU Info (un.org)