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Billet de blog 9 nov. 2022

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Vigiles - Police : « continuum de sécurité » ou d'arbitraire ?

L'observation de terrain montre que le "continuum de sécurité" promu par le gouvernement revient à un arbitraire accru. L'interdiction faite aux vigiles par le Conseil constitutionnel d'agir sur la voie publique n'est pas respectée. Qu'en sera-t-il lors des JO?

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Un continuum d’arbitraire

Ou comment la police nationale prend la relève d’une action illégale d’agents de sécurité privée

  • Contexte

Une équipe de trois personnes de l’Observatoire parisien des libertés publiques, identifiables par leurs chasubles, était en observation ce 3 novembre 2022 rue de Damiette dans le 2ème arrondissement, où des militant∙es s’étaient rassemblé es pour soutenir les personnes qui avaient élu domicile depuis mi-octobre dans un appartement vide depuis plus d’un an.

L’un des occupants était là pour récupérer ses affaires, puisque, selon ses déclarations, il avait dû quitter ce logement après qu’un vigile, entré par la fenêtre en grimpant le long de l’immeuble l’avait frappé violemment. Il a porté plainte pour le délit de violences ayant entraîné une incapacité de travail de plus de huit jours (21 jours) et violation de domicile. Il venait avec des amis pour ravitailler les personnes encore à l’intérieur, et leur apporter un soutien moral. Leur avocate était également présente, qui rappelait que des voies de droit existent pour expulser des occupants sans droit ni titre et que nul ne peut se faire justice soi-même ou par l’intermédiaire de vigiles privés. Seul un e juge, saisi e par le propriétaire, est habilité e à prononcer une expulsion (article L.411-1 du code des procédures civiles d’exécution).

  • Événements

Alors que les membres de l’Observatoire arrivaient vers 19h rue de Damiette, encore assez déserte, ils et elle ont été arrêté es dans leur progression par les vigiles (environ sept ou huit au départ), qui les ont empêché es de continuer leur chemin. L’un des vigiles s’est emparé du téléphone de l’observateur qui filmait (ce qui juridiquement s’analyse comme un vol d’usage), et a menacé de le casser, si l’observateur ne lui donnait pas son code afin qu’il efface la vidéo (ce qui juridiquement s’analyse comme le délit de menace avec ordre de remplir une condition). Il le lui a finalement rendu après l’annonce d’un futur dépôt de plainte.

Les vigiles, très menaçants (dont un cagoulé avec un chien d’attaque) ont ensuite bloqué la rue avec des rubalises et des poubelles (image 1), ce qui constitue une entrave à la liberté d’aller et de venir, composante de la liberté personnelle protégée par les articles 2 et 4 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen, selon le Conseil constitutionnel. Ils ont également commis le délit d’entrave à la circulation.

Rappelons que le Conseil constitutionnel a interdit (sauf certaines exceptions) aux agent∙es privé∙es d’exercer leur activité sur la voie publique, car seule la force publique peut y intervenir, en application de l’article 12 de la Déclaration des droits de l'Homme de 1789.

Rappelons aussi qu’il est possible de filmer une personne dans l’espace public et encore plus lorsqu’il s’agit de se constituer une preuve.

Plus tard, les soutiens des occupant es sont arrivés. Un homme coiffé d'un casque de moto, sous lequel une cagoule dissimulait son visage, ne portant aucun signe d'appartenance à la police ou à une société de sécurité, a essayé de les dissuader d’avancer en se positionnant devant elles et eux. Il a ensuite rejoint le groupe de vigiles qui organisaient le barrage de la voie publique, puis a fait face aux soutiens en baissant la visière de son casque (image 2).

Or, lorsque la police est intervenue et a bloqué la rue en amont de l’immeuble litigieux, elle a seulement pris le relais de cet acte illégal, sans aucunement rappeler la loi. Puis les vigiles ont œuvré aux côtés de la police pour repousser les manifestant·es. Les policier·es et les agents de sécurité ont été vu∙es à plusieurs reprises discutant tranquillement et riant ensemble.

Loin de faire respecter le droit, la police a donc soutenu une action illégale, quitte à ce que cela la conduise - du fait de l’escalade des tensions - à utiliser la force, en pointant un LBD sur les personnes présentes, y compris l’équipe d’observation, à moins de trois mètres de distance (image 3), en frappant à coups de matraque pour repousser des personnes tentant d’entrer dans l’immeuble et en aspergeant copieusement de gaz lacrymogène (image 4) alors que la foule était globalement pacifique. Ce d’autant plus qu’aucune démarche d’apaisement par un rapprochement entre l’avocat du propriétaire, autorisé à passer le barrage de police, et l’avocate du collectif, qui réclamait de parler à son confrère, n’a été tentée.

  • « Continuum de sécurité » ?

Depuis le livre blanc de la sécurité de 2020, puis la loi Sécurité globale, le rapprochement de la police nationale et des agent∙es privé∙es ne cesse d’être encouragé par le ministre de l’Intérieur au nom d’un « continuum de sécurité ». La LOPMI (loi d’orientation et de programmation du ministère de l’Intérieur) actuellement en cours de vote devant l’Assemblée nationale, promeut dans le rapport en annexe que doit valider l’article 1er de la future loi, la création d’une direction au sein du ministère regroupant tant la police nationale que celle municipale ou les agent∙es privé∙es et même « les industriels fournisseurs de moyens et l’ensemble des acteurs qui concourent à la coproduction de sécurité » (p.44 §186).

Les vigiles, salarié∙es de sociétés privées, peuvent certes accomplir certains actes qui sont interdits aux autres citoyen∙nes mais iels ne peuvent pas violer la loi : il leur est interdit de séquestrer ou de frapper des personnes ou de confisquer des objets…(voir l’analyse sur le site de la LDH Face aux agents de sécurité privée - Ligue des droits de l’Homme (ldh-france.org)).

Or, en se comportant comme des auxiliaires de la police, iels outrepassent leurs fonctions, ce qui devient totalement arbitraire. La police, loin de leur rappeler les limites du cadre de leur action, a pris le relais et a permis au propriétaire, qui a fait appel à cette société privée, de violer les règles de droit puisque ce dernier a préféré l’emploi de la force plutôt que le recours à un e juge dont l’intervention peut être demandée en urgence. Est-ce pour mieux organiser la confusion entre la force publique et de salarié∙es du secteur privé, au mépris des lois, que va être créée la future direction au sein du ministère ?

Le « continuum de sécurité »[1] vanté par le ministre de l’Intérieur révèle ainsi son vrai visage : un continuum d’arbitraire.

Pour visionner les photographies : 2022-obs-du-3-novembre-Vigiles-et-continuum-de-securite.pdf (ldh-france.org)

Presse - Fédération de Paris (ldh-france.org)

Contact : contact@obs-paris.org

Twitter : @ObsParisien

Facebook : facebook.com/obsparisien

http://site.ldh-france.org/paris/observatoires-pratiques-policieres-de-ldh

[1] Voir également : La privatisation des contrôles d’identité ou le « continuum » de surveillance de la population (openedition.org)

SUR LE FOND, se reporter à  :

4 novembre 2022 - Tribune collective "Plutôt qu’aux locataires et squatteurs, attaquez-vous à la crise du logement !" publiée sur Libération - Ligue des droits de l’Homme (ldh-france.org)

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